27 octobre par Nicolas Sersiron
La page 134 du livre Extractivisme d’Anna Bednik est remplie avec le seul énoncé des nombreux métaux composant les diverses machines indispensables à l’utilisation d’un « simple » code barre, devenu aujourd’hui universel. Or tous ces robots de plus en plus complexes ont une vie très courte. Après quelques années il faut en fabriquer de nouveaux tout aussi gourmands en métaux et énergies fossiles extraits des sous-sols de la planète.
Ainsi, pour continuer à faire fonctionner notre société marchande globalisée, toujours plus connectée, totalement dépendante de cette high-tech, il faudra creuser des espaces toujours plus grands, plus profondément, avec toujours plus de désastres environnementaux, de pollutions et de réchauffement climatique. Pour obtenir parfois moins d’un gramme d’or, il faut aux multinationales, dans les grandes mines des Andes, broyer une tonne de roches et l’arroser ensuite d’énormes quantités d’eau mélangée à du cyanure et d’autres poisons pour agglomérer la poudre d’or (lixiviation), avec des pollutions de l’eau dramatiques et des risques immenses en aval. « La coulée de boue hautement toxique, issue de la rupture d’un barrage minier dans l’état brésilien de Minas Gerais, le 5 novembre 2015, a atteint l’océan Atlantique après un parcours de 650 km à travers le fleuve Rio Doce » |1| : un exemple récent de la terrible concrétisation de ces risques. Même si ce sont là les résidus d’une mine de fer, c’est un désastre irréparable pour les peuples et la nature à cause des pollutions toxiques. La mine d’or Yanacocha, à Cajamarca, au Pérou, bientôt épuisée, veut se déplacer à Conga, 20 km plus loin. Les rondas paysannes, au vu des immenses désastres perpétrés, résistent à cette extension, malgré le harcèlement policier constant. Ce sera la perte de leurs montagnes, lacs, sources (alt. 4 000 m), territoires, leur culture et leurs moyens de vivre depuis des siècles. Toujours pour de l’or, à Pascua-Lama au Nord du Chili, Barrick Gold veut déplacer des glaciers !
Le mode de vie à l’occidentale, construit sur une consommation marchande effrénée et de plus en plus globalisée, repose sur une croissance de l’extractivisme et une complexité grandissante liée à la financiarisation, la high-tech envahissante, les transports internationaux et l’énergie.
Mais alors, que faire face à la finitude des ressources qui s’annonce et les impacts catastrophiques de leur exploitation et de leur utilisation ? Plus de confort et de biens matériels aujourd’hui, c’est plus de pollutions, de destructions de la nature, de réchauffement climatique. C’est aussi moins de ressources pour les générations futures et moins de chance de conserver un biotope Terre vivable. La croissance verte ou le développement durable ne sont que des oxymores destinés à endormir les citoyens inquiétés par les rares informations sérieuses, causes et conséquences, que les grands médias sont contraints de laisser passer devant l’évidence des désastres en cours.
Une sortie du modèle consumériste et gaspilleur est possible et s’imposera avec ou malgré nous. Pour construire un autre monde, il nous faut changer notre imaginaire. Nous avons tous à comprendre que l’économie de moyens et la sobriété, aussi bien sur le plan alimentaire que sur celui du matériel, est une voie qui n’est pas régressive. Bien au contraire, car le bonheur, le bien vivre se trouvent dans le partage, la mise en commun des savoirs et des outils. L’appropriation de la nature, l’individualisme exacerbé, l’hybris de l’accumulation infinie nous ont plongés dans la peur. Ils nous ont mis face à la finitude de notre monde, de notre humanité. L’extractivisme des ressources naturelles, sur lequel nous avons bâti la modernité, se révèle être un désastre. La croissance des inégalités est devenue explosive et le réchauffement climatique sera très bientôt incontrôlable. Oublions les paillettes du monde qui ne veut pas mourir, soyons les sages-femmes attentives de celui qui naît.
Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète