Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Coca-Cola est comme ça

« Merci de partager du bonheur » nous dit la dernière publicité de Coca-Cola. Mais en regardant les choses de plus près, il semble bien que Coca-Cola ne partage que très peu ce bonheur. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les travailleurs des usines que la multinationale veut fermer dans l’Etat espagnol, ou les syndicalistes persécutés – et y compris kidnappés et torturés – en Colombie, en Turquie, au Pakistan, en Russie, au Nicaragua ou les communautés de l’Inde qui sont restées sans sources d’eau après le passage de la compagnie. Sans parler de la pauvre qualité de ses ingrédients et de leur impact sur notre santé.

Selon les chiffres de l’entreprise, chaque seconde on consomme 18.500 canettes ou bouteilles de Coca-Cola dans le monde entier. L’empire Coca-Cola vend ses 500 marques dans plus de 200 pays. Qui aurait pu le prédire quand, en 1886, John S. Pemberton, inventa ce breuvage à succès dans une petite pharmacie d’Atlanta ? Aujourd’hui, la multinationale ne se contente pas de vendre une boisson, c’est bien plus que cela. A coups de chéquiers et de campagnes de marketing multimillionnaires, Coca-Cola nous vend quelque chose d’aussi précieux que le « bonheur », « l’étincelle de la vie » ou « un sourire ». Néanmoins, même son « Institut Coca-Cola du Bonheur » est incapable de masquer toute la douleur provoquée par la compagnie. Son historique d’abus contre les droits sociaux et du travail traverse, comme ses rafraîchissements, toute la planète.

C’est maintenant au tour de l’Etat espagnol. La compagnie vient d’annoncer une Procédure de Régulation d’Emploi (procédure de restructuration et de licenciement collectif, NdT) qui implique la fermeture de quatre de ses onze usines, le licenciement de 1250 travailleurs et le replacement de 500 autres. Une mesure prise, selon la multinationale pour « causes organisationnelles et productives ». Un communiqué du syndicat CCOO dément cette affirmation en soulignant que l’entreprise dégage d’énormes bénéfices, de plus ou moins 900 millions d’euros, et a un chiffre d’affaire de plus de 3 milliards d’euros.

Les mauvaises pratiques de l’entreprise sont aussi globales que sa marque. Selon le « Rapport alternatif sur Coca-Cola » de l’organisation « War on Want », en Colombie, depuis 1990, huit travailleurs de Coca-Cola ont été assassinés par des paramilitaires et 65 autres ont reçus des menaces de mort. Le syndicat colombien Sinaltrainal a dénoncé le fait que la multinationale se trouve derrière ces actes. En 2001, à travers l’ « International Labor Rights Fund » et la « United Steel Workers Union », Sinaltrainal est parvenu à déposer une plainte aux Etats-Unis. En 2003, le tribunal a rejeté cette plainte en alléguant que les assassinats ont eu lieu en dehors des Etats-Unis. Mais la campagne de Sinaltrainal a, de toute manière, permise d’obtenir de nombreux soutiens.

On retrouve des cas d’abus de Coca-Cola dans pratiquement chaque recoin de la planète où l’entreprise est présente. Au Pakistan, en 2001, plusieurs travailleurs de l’usine du Punjab ont été licenciés pour avoir protesté et les tentatives de syndicalisation de ses travailleurs au Lahore, Faisal et Gujranwala ont été frustrés par les obstacles dressés par la multinationale et les autorités. En Turquie, en 2005, ses employés ont dénoncé Coca-Cola pour intimidations et tortures et pour utiliser à ces fins une branche spéciale de la police. Au Nicaragua, la même année, le Syndicat Unique des Travailleurs (SUTEC) a accusé la multinationale de ne pas permettre l’organisation syndicale et d’utiliser la menace de licenciements. On retrouve des cas similaires au Guatemala, en Russie, au Pérou, au Chili, au Mexique, au Brésil et à Panama. L’une des principales tentatives pour coordonner une campagne de dénonciation internationale contre Coca-Cola a été menée en 2002, quand des syndicats de Colombie, du Venezuela, du Zimbabwe et des Philippines ont dénoncé conjointement la répression subie par les syndicalistes chez Coca-Cola et les menaces d’enlèvement et d’assassinat.

Mais la compagnie n’est pas seulement connue pour ses abus contre les droits des travailleurs ; l’impact social et écologique de ses pratiques est également en cause. Comme elle le reconnaît elle-même ; « Coca-Cola est l’entreprise de l’hydratation. Sans eau, il n’y a pas d’affaires ». Et elle pompe jusqu’à la dernière goutte d’eau là où elle s’installe. De fait, pour produire un litre de Coca-Cola, il faut trois litres d’eau. Et pas seulement pour la boisson elle-même, mais aussi pour laver les bouteilles, les machines, etc. Cette eau est ainsi rejetée ensuite comme eau contaminée, avec le préjudice consécutif pour l’environnement. Pour satisfaire sa soif intarissable – une usine de Coca-Cola peut consommer jusqu’à un million de litres d’eau par jour -, l’entreprise prend le contrôle unilatéral des sources aquifères qui ravitaillent les communautés locales, en les laissant dépourvues d’un bien aussi essentiel que l’eau.

Dans plusieurs Etats de l’Inde (Rajasthan, Uttar Pradesh, Kerala, Maharastra) ces communautés sont sur le pied de guerre contre la multinationale. Plusieurs documents officiels soulignent la diminution drastique des ressources hydriques là où elle s’est installée, épuisant ainsi l’eau nécessaire à la consommation, à l’hygiène personnelle et à l’agriculture qui fait vivre de nombreuses familles. Au Kerala, en 2004, l’usine de Plachimada de Coca-Cola a été obligée de fermer ses portes après que la municipalité ait refusé le renouvellement de sa licence d’exploitation en accusant la compagnie d’épuiser et de contaminer l’eau. Plusieurs mois auparavant, le Tribunal Suprême de Kerala avait jugé que l’extraction massive d’eau de la part de Coca-Cola était illégale. Sa fermeture a été une grande victoire pour la communauté locale.

Des cas similaires se sont produits au Salvador et au Chiapas, parmi d’autres. Au Salvador, l’installation d’usines d’embouteillage de Coca-Cola a épuisé les ressources hydriques après des décennies d’extraction et elles ont contaminé les sources aquifères en rejetant dans la nature de l’eau non traitée. La multinationale s’est toujours refusé à assumer les coûts de l’impact de ses pratiques. Au Mexique, la compagnie a privatisé de nombreuses sources aquifères, laissant les communautés locales sans accès à celles-ci et cela grâce au soutien inconditionnel du gouvernement de Vicente Fox (2000-2006), ancien président de Coca-Cola Mexique.

L’impact de sa formule secrète sur notre santé est également amplement documenté. Ses hautes doses de sucre sont préjudiciables et nous transforment en « accros » à ce breuvage. Comme l’a démontré la journaliste Marie Monique Robin dans son documentaire « Notre poison quotidien », la consommation à haute doses de l’aspartame, un édulcorant non calorique remplaçant le sucre présent dans le Coca Zéro, peut provoquer des cancers. En 2004, en Grande-Bretagne, Coca-Cola s’est vu obligé de retirer après son lancement l’eau embouteillé Dasani après qu’on y ait découvert des niveau illégaux de bromure, une substance qui augmente le risque de cancer. L’entreprise a du retirer un demi million de bouteilles d’une eau qu’elle avait annoncé être « l’une des plus pures du marché », et cela en dépit d’un article de la revue « The Grocer » qui soulignait que sa source n’était autre que l’eau du robinet de Londres…

Les tentacules de Coca-Cola sont si étendues qu’en 2012, l’une de ses directrices, Ángela López de Sá, a été nommée à la tête de l’Agence espagnole de Sécurité Alimentaire. Quelle sera alors la position de l’Agence face à l’utilisation systématique de l’aspartame par Coca-Cola, quand sa nouvelle directrice était encore payée par Coca-Cola il y a peu de temps encore ? Un authentique conflit d’intérêts, comme celui signalé ci-dessus avec le cas de Vicente Fox.

La marque nous dit vendre du bonheur, mais elle apporte plutôt des cauchemars. Coca-Cola est comme ça dit la publicité. Ainsi l’avons-nous montrée.


Article publié dans Publico.es, 24/01/2014.
http://esthervivas.com/2014/01/24/coca-cola-es-asi/
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Esther Vivas

Auteur de "En campagne contre la dette” (Syllepse, 2008), co-coordinatrice des livres en espagnole "Supermarchés, non merci" et "Où va le commerce équitable ?" et membre de la rédaction de la revue Viento Sur (www.vientosur.info).

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