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Climat : le GIEC peut-il gagner contre l’inertie ?

8 octobre 2018 | tiré de mediapart.fr

Le « rapport spécial 1,5° » du GIEC a été adopté lundi matin par 195 pays. Ce rapport explique qu’il reste une chance minime de maintenir le réchauffement sous les 1,5° si des décisions d’ampleur sont prises dans les toutes prochaines années. Mais l’alignement des planètes politiques rend un tel sursaut hautement improbable.

C’est une petite « bataille », d’à peine deux heures, mais qui en dit long. Samedi 6 octobre au matin, à Incheon en Corée du Sud, les délégués de 195 pays examinent depuis six jours le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) en vue de son adoption. Jean-Charles Hourcade, directeur de recherche au CNRS, et un des auteurs du rapport, raconte : « L’Arabie saoudite voulait empêcher que la partie économique du rapport soit claire. Elle ne voulait parler ni des NDC (les contributions à la lutte contre le changement climatique pour chaque pays) ni de l’accord de Paris. L’Égypte non plus, le Salvador idem. Il est 11 heures ce samedi. Les États-Unis sont silencieux mais n’en pensent pas moins. On finit par trouver un compromis au bout de deux heures, en arguant de faits scientifiques. »

Le compromis est trouvé mais l’Arabie saoudite n’a pas désarmé. Selon trois sources citées par Climate Home News, ce pays aurait déposé « une déclaration de non-responsabilité concernant le rapport, qui ne sera rendue publique que dans plusieurs mois ». Toujours selon cette source, cette déclaration rejetait « une très longue liste de paragraphes dans le rapport sous-jacent ».

Cette péripétie n’a pas empêché l’adoption durapport et du «  résumé à l’attention des décideurs ». Quand le rapport fait des centaines de pages, le résumé n’en fait qu’une trentaine. C’est sur la base de ce document que les 195 chefs d’État et de gouvernement devront prendre leurs décisions.

La commande en avait été faite au GIEC lors de la signature de l’accord de Paris, en 2015. Aux termes de cet accord, les pays se sont entendus pour tenter de contenir la hausse de la température « bien au-dessous de 2 °C et de poursuivre leurs efforts pour limiter cette hausse à 1,5 °C ». Les pays signataires avaient donc demandé une compilation des études scientifiques disponibles afin de voir dans quelle mesure l’objectif de 1,5 °C était atteignable et quelles différences il y avait avec une hausse de 2 °C.

Le tableau dressé par ce « rapport spécial 1,5 » est à la fois sombre et éclairant. On y apprend que même avec une hausse de 1,5 °, la Terre et ses habitants seront affectés. De façon moindre certes qu’avec une hausse de 2 °, mais tout de même. Ainsi, sur 105 000 espèces vivantes étudiées, avec une hausse de 1,5 °, 6 % d’insectes perdraient leurs habitats, 8 % des plantes et 4 % des vertébrés, tandis que cela concernerait 18 % d’insectes, 16 % des plantes et 8 % des vertébrés avec une hausse de 2 °.

Dans un autre ordre d’idées, la hausse de 1,5 ° comparée à 2 ° aboutit à une montée des eaux de 10 cm en moins d’ici à 2100. Cela paraît peu, mais cela permet tout de même, selon le GIEC, à 10 millions de personnes de garder leur lieu d’habitation.

Le rapport pointe surtout l’urgence qu’il y a à agir. Le réchauffement va probablement atteindre 1,5 °C entre 2030 et 2052 s’il continue à augmenter à son niveau actuel, expliquent les scientifiques. « Les trajectoires pour limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C avec un dépassement nul ou limité requièrent de rapides et profondes transitions dans les systèmes énergétiques, d’occupation des sols, des villes et des infrastructures, et industriels », selon le rapport. Lequel précise : « Ces transitions systémiques sont sans précédent en termes d’échelle, mais pas nécessairement en termes de vitesse, et impliquent une profonde réduction des émissions dans tous les secteurs, un large éventail d’options d’atténuation et une augmentation significative des investissements dans ces options. »

Pour parvenir à cette hausse limitée à 1,5 ° – qui soit dit en passant signifie des hausses de température de 2, voire 3 ° dans certaines régions du globe –, les émissions de gaz à effet de serre mondiales doivent baisser de 45 % d’ici à 2030 (comparé à 2010), et la part des énergies renouvelables dans l’électricité bondir pour atteindre 70 à 85 % en 2050. 

Les « contributions déterminées au niveau national » (NDC) posées au moment de la COP21 de Paris nous mettent pour l’instant sur une trajectoire de 3 °. Or ces contributions ne sont même pas respectées. En 2017, les émissions au niveau mondial sont ainsi reparties à la hausse, et la tendance pour 2018 devrait être la même. Les dernières prévisions de l’IAE (l’Agence internationale de l’énergie) pour 2018 montrent en effet une tendance à la hausse dans les émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie. Et l’Europe n’est pas meilleure élève que les États-Unis, par exemple.

Cette contradiction, ce schisme de réalité entre les paroles – l’accueil unanimement positif et même optimiste au rapport – et la réalité – ce que les chefs d’État et de gouvernement vont en faire – ne sera pas une surprise pour les observateurs attentifs des négociations climatiques. Il n’en sera peut-être pas de même pour les citoyens.

Prenons l’exemple de la réaction de Miguel Cañete, commissaire européen à l’action climatique et à l’énergie, et de Carlos Moedas, son homologue à la recherche, la science et l’innovation. Dans un communiqué commun, tous deux se félicitent de ce que « le rapport montre que 1,5 ° est faisable, à condition que nous agissions maintenant et usions de tous les outils dont nous disposons ». 
Dans la réalité du rapport, dire que 1,5 ° est « faisable » est très exagéré. Roland Séférian, un des auteurs du rapport et par ailleurs ingénieur-chercheur au centre de recherche de Météo-France, soulignait lundi matin que 300 scénarios ont été examinés pour essayer de maintenir le monde à + 1,5 °. Sur ces 300 scénarios, 90 seulement permettent de ne jamais dépasser les 2 ° (les autres passent au-dessus de 2 ° avant que la température ne redescende dans plusieurs dizaines d’années). Et parmi ces 90 scénarios, seulement quatre permettent réellement de rester sous les 1,5 ° pendant ce siècle. Quatre scénarios. Sur 300.

Une autre réalité devrait empêcher de placer trop d’espoir dans ce rapport spécial. Celui-ci explique clairement que pour garder une chance d’une hausse limitée à 1,5 °, il faudrait que le monde atteigne son pic d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Dans deux ans donc. 

Or l’alignement des planètes politiques rend hautement improbable un tel scénario. Aux États-Unis, Donald Trump, encore au pouvoir pour deux ans et demi (au moins), compte toujours se retirer de l’accord de Paris. Dans son pays, il a entrepris depuis son élection un travail de sape systématique des mesures favorables au climat des administrations précédentes. À propos de ce rapport, une déclaration publiée après son adoption indique que le feu vert américain « ne doit pas être compris comme une approbation par les États-Unis de tous les résultats et messages clés » du rapport. 

Au sein de l’Union européenne, la coalition bancale en Allemagne, la montée des populismes à l’Est, et même la réalité française, interdisent d’attendre un sursaut ces 24 prochains mois. Le fait que la prochaine COP, la COP24, se tienne en Pologne – gros producteur et consommateur de charbon – ressemble même à un pied de nez.

Autre exemple avec le Brésil, où se trouve la plus grande forêt tropicale du monde. La présidentielle en cours risque fort de déboucher sur l’élection du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, climatosceptique avéré. La réaction des marchés à sa poussée dans les sondages ne donne guère plus d’espoir de la part de la finance.

Le rapport spécial du GIEC appuie pourtant aussi sur une nécessaire transition dans la finance : cesser de financer l’énergie carbonée (charbon, pétrole, etc.) et investir massivement dans les énergies vertes. Les choses avancent à petits pas. Mais de grandes banques françaises, pour ne parler que de celles-ci, continuent à s’illustrer dans les soutiens aux énergies du passé. 

Une autre question financière n’est d’ailleurs pas encore réglée. Lors de la signature de l’accord de Paris, les pays les plus polluants historiquement (en très grande majorité, donc, les pays occidentaux) s’étaient engagés à investir 100 milliards d’euros par an pour aider les pays les plus pauvres, et donc les moins à même de pouvoir s’adapter. Le but : que ces pays ne se mettent pas à vivre et polluer comme les plus riches au risque d’un plus grand emballement climatique. Les négociations sont là-dessus quasiment au point mort. 

Un vice-président du GIEC cité par Euractiv, Jim Skea, estime que « limiter le réchauffement à 1,5 °C est possible selon les lois de la physique et de la chimie, mais [que] cela demandera des changements sans précédent ». Par syllogisme, un tel changement n’étant pas près d’intervenir, à quoi bon un tel rapport ?

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