Tiré de À l’encontre.
Le 23 septembre, l’administration civile avait déclaré aux habitants que s’ils choisissaient de ne pas démolir eux-mêmes leurs maisons, « les autorités de la région agiraient pour appliquer les ordres de démolition conformément à la décision de la Haute Cour de justice et à toutes les lois ».
Personne ne sait quand et comment les structures seront réellement détruites. Les habitants du village – situé près de la colonie de Kfar Adumim en Cisjordanie – disent que les enfants souffrent de cauchemars, d’insomnies et d’énurésie nocturne.
Pendant ce temps, au cours des trois derniers jours, une mare d’eaux usées en provenance de Kfar Adumim [une colonie, en grande partie religieuse, clairement revendiquée] s’est infiltrée dans l’oued près de Khan al-Ahmar.
En septembre 2018, la Haute Cour d’Israël a rejeté une requête déposée par les habitants du village, donnant ainsi à l’Etat le feu vert pour évacuer tout le village. On s’attend à ce que le gouvernement transfère les résidents dans un campement permanent près d’Al-Eizariya [village dans la zone C de la Cisjordanie occupée avec la surveillance militaire aux mains de l’armée israélienne qui collabore, de facto avec l’Autorité palestinienne de Ramallah, « responsable » des infrastructures !] et de Ma’aleh Adumim [colonie et ville israélienne située à 7 km de Jérusalem], entre une décharge et un entrepôt de ferraille.
Il y a quelques mois, les forces de sécurité ont pavé les routes d’accès au village pour permettre à des équipements lourds [pelle mécanique] d’atteindre le site. Elles ont également placé autour du village des barrières métalliques qui peuvent être fermées pendant l’évacuation pour empêcher les véhicules d’entrer dans la zone.
Depuis que les routes ont été pavées, Khan al-Ahmar est devenu une sorte d’aimant pour les militants solidaires lors des actions organisées principalement par le bureau de l’Autorité palestinienne contre la barrière de séparation et les colonies. Au cours des derniers mois, des dizaines de militants palestiniens sont venus sur le site, organisant des rassemblements et des réunions. Ils ont proclamé le village comme constituant un « conseil local » et ont construit de nouvelles structures symboliques, qui ont été immédiatement démolies.
Plusieurs dizaines de familles de la tribu Jahalin résident dans le village. La tribu est originaire du Néguev et a été expulsée vers la Cisjordanie dans les années 1950. Des photographies aériennes et des témoignages de villageois montrent que les habitants ont nomadisé dans la région Jérusalem-Jéricho avant d’établir progressivement leur résidence permanente à Khan al-Ahmar, apparemment autour des années 1970.
Depuis les années 1970, les résidents ont construit des cabanes en tôle et des tentes fixes d’un genre qui ne peuvent être démolies qu’avec des pelles mécaniques. Et elles y ont vécu. Le village n’a jamais reçu de permis de construire, même si des membres de la tribu Jahalin ont vécu dans la région depuis avant la guerre des Six Jours [juin 1967]. Alors que les terres sur lesquelles le village a été construit sont aujourd’hui définies comme appartenant à l’Etat et n’ont jamais été attribuées sous forme de permis, la zone avait été expropriée aux résidents palestiniens d’Anata [ville palestinienne située à quelque 4 kilomètres au nord-est de Jérusalem]. L’administration civile a émis des ordres de démolition contre les structures illégales, ordres que la Haute Cour de justice a confirmés en septembre après une longue bataille juridique.
Khan al-Ahmar est devenu un symbole de l’implantation bédouine dans la région. Des membres de la même tribu habitent dans un certain nombre d’autres villages similaires. L’une des raisons pour lesquelles la communauté est devenue un symbole international est « l’école de pneus » [nommée ainsi parce qu’elle a été construite avec des pneus usés pour contourner l’interdiction des constructions en maçonnerie dans la région par les autorités israéliennes]. Il s’agit d’une structure plus durable, établie avec du soutien européen. L’école abrite un certain nombre de salles de classe et est utilisée par les enfants de Khan al-Ahmar et d’autres communautés voisines.
La Haute Cour avait statué qu’aucune preuve de propriété n’avait été établie entre les résidents et les terres du village, mais l’Etat aurait pu légaliser rétroactivement la construction dans le village comme il l’a fait pour les avant-postes juifs (colonies) – qui étaient également construits sans permis – dans la région. Le ministre de l’Agriculture Uri Ariel, qui est un des fondateurs du groupe de colons Gush Emunim et de la colonie de Kfar Adumim, a évoqué l’idée d’agrandir des colonies juives dans la région et d’expulser toutes les communautés bédouines de la périphérie est de Jérusalem.
Le projet de démolition du village a suscité des protestations internationales, notamment de la part de l’Union européenne, qui a demandé à Israël d’annuler sa décision d’évacuer le village. La représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère, Federica Mogherini, a déclaré que la démolition de Khan al-Ahmar compromettrait la perspective d’une solution à deux Etats et aurait de graves implications humanitaires, en ajoutant que cette démolition constituerait une violation des engagements pris par Israël au regard du droit international. En juillet, cinq grands pays de l’UE – la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne – ont déposé une protestation diplomatique conjointe demandant le gel des démolitions. L’Irlande a également condamné ce plan.
Au cours des dix dernières années et jusqu’à ce que l’Etat annonce son intention de le faire, la colonie de Kfar Adumim a déposé quatre requêtes devant la Haute Cour demandant que l’administration civile démolisse Khan al-Ahmar. Depuis 1967, l’administration civile n’a pas élaboré de plan directeur pour les communautés bédouines et les autres communautés de bergers palestiniens de la région, bien qu’elles aient été établies de façon permanente dans leur emplacement actuel pendant des années avant que les colonies ne soient établies. En l’absence de plans directeurs, toute structure construite dans ces lieux est considérée comme illégale et devant être démolie.
Article publié dans le quotidien Haaretz en date du 2 octobre 2018 ; traduction A l’Encontre.
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