Édition du 17 décembre 2024

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Charte des valeurs québécoises

Charte des valeurs québécoises : une mauvaise réponse au mauvais problème

Impossible d’ignorer le débat actuel entourant la Charte des valeurs québécoises. Une société qui fait le choix de réfléchir aux valeurs qui sont les siennes semble a priori une chose louable. Le débat actuel n’offre malheureusement pas l’occasion de se réjouir d’une telle pertinence. Il n’y sera pas question des valeurs québécoises en ce qui a trait à l’exploitation de nos ressources, à l’occupation du territoire ou encore à notre volonté de respecter les limites que nous impose notre écosystème. Il ne sera pas non plus question des valeurs québécoises dans les domaines si importants de l’accès universel aux services de santé gratuits et de qualité, des soins aux personnes âgées ou du maintien de notre réseau d’éducation publique hors des pressions du monde des affaires.

Tiré du site de l’IRIS.

Ce que l’on nous présente comme un débat sur « nos valeurs » n’est en fait qu’une reprise du mélodrame sur les accommodements raisonnables qu’a connu le Québec en 2006-2007 et qui a débouché sur la Commission Bouchard-Taylor. Le gouvernement actuel, manifestement anxieux de masquer son incapacité à traiter directement de cet enjeu, accouche donc de cette Charte des valeurs.

Évidemment, je suis loin d’être un expert en laïcité ou en théorisation de l’espace public interculturel. Il m’appartient encore moins de spéculer sur les torts que cette charte aura ou non causé au mouvement souverainiste en s’aliénant, une fois de plus, les gens issus de l’immigration. Cependant, une chose étonne dans le débat actuel : on parle d’établir des règles claires afin de favoriser une meilleure intégration à la société d’accueil, sans jamais se pencher sur la place que cette société réserve aux nouveaux arrivant.e.s sur le marché du travail. Sous cet angle, le débat sur le caractère et la taille des signes religieux semble des plus puériles.

Un marché du travail discriminatoire

À l’automne 2012, le chercheur associé à l’IRIS, Mathieu Forcier, a publié une note de recherche qui visait à questionner l’intégration des immigrant.e.s sur la marché du travail. Cette note montre une discrimination systématique envers les nouveaux arrivant.e.s, un phénomène plus problématique pour la cohésion sociale du Québec que tous les voiles et turbans de la province réunis. En 2006, le taux de chômage pour l’ensemble du Québec s’élevait à 8,1 % contre 11,2 % pour les immigrant.e.s âgés de 25 à 54 ans, soit ceux étant les plus susceptibles de chercher du travail. Il sera intéressant de voir dans les données du dernier recensement si l’écart s’est creusé davantage dans la foulée de la dernière crise économique.

Au-delà des données sur le chômage, on constate aussi dans les deux graphiques suivants que les personnes immigrantes sont, même lorsqu’elles trouvent un emploi, défavorisées.

Salaire moyen des immigrant-es au Canada, 2005

Source : Dawn Desjardins et Kristen Cornelson, « Immigrant labour market outcomes in Canada : The benefits of addressing wage employment gaps », RBC Economics Research, 2011, p.2 .
 
Revenu moyen selon la connaissance d’une langue officielle

Source : Nong Zhu et Alain Bélanger, L’emploi et le revenu des immigrants à Montréal : analyse des données du recensement de 2006, INRS-UCS, Emploi Québec, rapport n° 3, juin 2010, p. 25.
 
Tu veux un emploi, dis-moi d’où tu viens ?

Un autre visage de cette discrimination est évidement lié au moment de l’embauche. Est-ce que chaque personne en recherche d’emploi reçoit un traitement égal lorsqu’elle envoie son CV chez un employeur ? Une enquête menée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse montre que non. Une personne en recherche d’emploi a encore aujourd’hui plus de chances d’être appelée en entretien d’embauche si le nom inscrit sur le CV renvoie à un nom rappelant la majorité francophone.

Type de traitement observé selon le statut de l’organisation testée

Source : Paul Eid, Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées : résultats d’un « testing » mené dans le grand Montréal, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2012.

Comme on peut l’observer dans le tableau précédent, tant dans le secteur privé que dans les organismes sans but lucratif (OSBL), la discrimination à l’embauche persiste. Fait troublant, seuls les services publics semblaient jusqu’à maintenant résister à cette tendance à la discrimination systématique. Malheureusement, l’instauration de la Charte, en plus de poser de sérieux enjeux à l’intégration de femmes immigrantes sur le marché du travail, risque de surcroît de réintroduire dans la fonction publique des formes plus ou moins explicites de discrimination. Là même où le Québec commençait à connaître un certain succès dans la lutte pour faire cesser la discrimination.

Philippe Hurteau

Chercheur à l’IRIS

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