Édition du 17 décembre 2024

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Gaz de schiste

Gaz naturel aux Îles

Ce que tout Madelinot devrait savoir de Gastem

La compagnie GASTEM, a obtenu les droits exclusifs sur le sous-sol madelinien en juillet 2008 ; elle projette des forages exploratoires dans le secteur de Grand-Ruisseau, mais n’aurait pas encore demandé de permis d’exploitation au Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, l’exploration n’étant pas considérée comme un projet par la Loi des Mines. Cette loi du Far West donne tous les droits aux prospecteurs détenteurs de claims.

* L’auteur habite l’Anse à la Cabane aux Îles de la Madeleine

Prospecteur gazier et pétrolier, le président et chef de direction de GASTEM, monsieur Raymond Savoie, rêve depuis 25 ans peut-être de trouver des poches de gaz naturel associées aux dômes de sel sur lesquels repose l’archipel des Îles de la Madeleine.

Le gaz naturel supposément contenu dans ces poches ou surplombs pourrait être extrait par la méthode conventionnelle : c’est-à-dire suite à un forage vertical duquel le gaz pourrait jaillir tout « naturellement ».
Dans les Basses-Terres du Saint-Laurent, où l’on s’apprête à exploiter du gaz de shales (dit schistes), la technologie est différente : elle consiste à effectuer un forage vertical puis horizontal afin de pouvoir traverser les couches compressées de shales et les fractionner à l’aide de grandes quantités d’eau, de sable et de produits chimiques.

Dans le cas d’un forage dit « conventionnel » sur notre territoire insulaire, ce n’est pas ce dont il s’agit. Le gaz naturel serait au pétrole conventionnel ce que le gaz de shales serait au pétrole extrait des sables bitumineux.
Le promoteur Savoie est loin d’être le premier venu dans le domaine minier. Notaire de profession, il a exercé à Val-d’Or en Abitibi de 1980 à 1985, dans le domaine du droit corporatif et minier.

Député d’Abitibi-Est de 1985 à 1994, il a d’abord été ministre délégué aux Mines dans le cabinet Bourassa (12 décembre 1985 au 26 mars 1986), puis ministre délégué aux Mines et aux Affaires autochtones (26 mars 1986 au 11 octobre 1989), puis ministre délégué aux Mines et au Développement régional (11 octobre 1989 au 5 octobre 1990) et enfin ministre du Revenu (5 octobre 1990 au 11 janvier 1994). Il ne s’est pas représenté en 1994.
Pendant ces 8 années de loyaux services, il a appris et préparé le terrain pour sa nouvelle carrière, son outil privilégié étant la privatisation de sociétés d’État liées aux ressources naturelles (dont SOQUEM, SOQUIP, Mines Seleine).

Il rompait ainsi avec les initiatives des gouvernements prédécesseurs libéraux : une première nationalisation de l’électricité, via la création d’Hydro-Québec par Adélard Godbout en 1944, fut achevée en 1962 par René Lévesque, sous Jean Lesage, dans la foulée du slogan « Maîtres chez-nous ». Le Québec de la Révolution tranquille se dotait de diverses Sociétés publiques pour gérer le bien commun, notamment les ressources naturelles et les fonds publics.

Revenu à la pratique privée, l’ex-ministre Savoie fut promoteur minier en 1997, au sein de Ressources Arca. De 2001 à mai 2010, il a été à la tête de DITEM, une société minière active dans la recherche de diamants et d’uranium ; depuis mai 2010, il en est, le président du c.a. et le chef de direction.

Contrôlée à partir de l’Ontario et des États-Unis, la société DITEM est spécialisée, depuis 2002, dans la recherche et l’exploitation de pétrole et GASTEM en est une division.

Président et chef de la direction de GASTEM, société dont il est copropriétaire, monsieur Savoie possède des propriétés (« claims ») dans les basses terres du St-Laurent, au sud de Montréal, en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, ainsi que dans les États de New York et de la Virginie.
Depuis septembre 2010, Raymond Savoie est devenu directeur du conseil exécutif de l’Association gazière et pétrolière du Québec (AGPQ), dont le président est nul autre qu’André Caillé, ex-PDG de Gaz métropolitain puis d’Hydro-Québec.

La compagnie GASTEM, a obtenu les droits exclusifs sur le sous-sol madelinien en juillet 2008 ; elle projette des forages exploratoires dans le secteur de Grand-Ruisseau, mais n’aurait pas encore demandé de permis d’exploitation au Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, l’exploration n’étant pas considérée comme un projet par la Loi des Mines. Cette loi du Far West donne tous les droits aux prospecteurs détenteurs de claims.

Depuis le 15 décembre 2009, la compagnie rencontre occasionnellement, les membres du Comité de travail sur les hydrocarbures municipal et reporte d’une fois à l’autre d’autres rencontres privées avec des groupes-cibles tels la Chambre de Commerce des Îles, des résidants du secteur visé… et éventuellement une rencontre publique (?). Aux termes de la loi, GASTEM n’est pas tenue de demander la permission, ni de rencontrer qui que ce soit.
Monsieur Savoie dit à qui veut l’entendre que son objectif est louable : trouver du gaz naturel sous les Îles pour permettre à Hydro-Québec de remplacer l’alimentation actuelle de sa centrale thermique locale par un carburant moins polluant que le mazout lourd.

Objectif honorable à première vue. Il a toujours prétendu qu’il n’avait pas l’ambition d’une grande production pour fins d’exportation, son entreprise étant modeste. Il a cependant dû admettre le contraire, lorsque questionné sur l’éventualité – à laquelle rêve tout prospecteur qui se respecte – de la découverte d’une quantité phénoménale de gaz naturel sous les Îles.
D’ailleurs l’industrie gazière a reconnu, lors des récentes audiences du BAPE, qu’une telle exploitation extrêmement coûteuse requiert de très grands volumes pour être rentable.

À entendre l’homme d’affaires Savoie, il viendrait aux Îles pour nous rendre service ainsi qu’à la Planète en diminuant la production énorme de gaz à effet de serre de la centrale d’Hydro-Québec.

Lorsqu’il est question des risques liés à ce genre d’exploitation pour la précieuse nappe d’eau souterraine des Îles (utilisation d’une importante quantité d’eau, risques de contamination de la nappe par les forages et infiltration de contaminants dans l’air, l’eau et le sol), GASTEM cherche à nous rassurer, alléguant la faible quantité d’eau requise pour des forages conventionnels ; on veut nous convaincre que les risques sont nuls avec les précautions supplémentaires qu’ils vont prendre comme entreprise responsable.

Jusqu’à maintenant, on laisse croire aux Madelinots qu’il n’y aura qu’un puits discret relié à un pipeline enfoui pour acheminer directement le gaz à la centrale thermique.

Mais le hic, c’est qu’il n’y a aucune entente d’approvisionnement avec Hydro-Québec et, selon les dernières informations, la Société planche sur d’autres alternatives et ne parait plus aussi pressée à prendre une décision plus avantageuse et plus verte (ex. : câble sous-marin, couplage diésel-éolien, biométhanisation des déchets, etc.).
S’il reposait vraiment sur ce seul client non garanti, le projet GASTEM ne serait pas rentable et il est de plus en plus clair que c’est le prétexte – de moins en moins crédible – qu’il invoque pour mettre le pied dans la porte en vue d’installer éventuellement aux Îles une infrastructure de production massive destinée à l’exportation.

C’est la seule raison qui justifierait l’investissement énorme que requiert un tel projet. Alors, même les Madelinots les plus favorables à la venue de GASTEM – s’il en est – devront s’interroger avec l’ensemble de la population sur le dénouement de cette intrigue : est-ce vraiment ce genre d’industrie que nous voulons voir s’installer sur nos Îles ?

Une industrie qu’on ne peut même pas comparer avantageusement à la mine de sel, celle-là même qui aurait permis à l’ancien ministre des Mines, vers la fin des années 80, d’allumer quant au potentiel gazier et pétrolier du Bassin Madeleine.

L’industrie gazière est une industrie lourde, polluante et défigurante. Une industrie nettement incompatible avec notre milieu fragile, avec notre façon spécifique de vivre et avec les industries soutenables qui nous font vivre.
« Ce serait la fin des Îles. Nous autres, on n’aurait pas d’autre choix que de partir », concluait l’autre jour un concitoyen avec qui je discutais d’un tel scénario.

La résistance s’organise. De plus en plus de Madelinots et de Madeliniennes, à l’instar de dizaines de milliers de citoyens sur la grand’ terre s’interrogent, s’informent, se documentent et s’expriment sur la pertinence pour le Québec de prendre le virage gazier et/ou pétrolier. C’est ce que j’appelle « l’expertise citoyenne ».

Elle est essentielle pour protéger nos intérêts communs face à l’invasion dérangeante et inquiétante d’intérêts privés pour le moins discutables.
Notre gros bon sens d’insulaires nous dit : la seule urgence, c’est un Moratoire sur toute activité d’exploration-exploitation terrestre (gaz de shale, gaz naturel/Gastem) et maritime (Old Harry/Corridor Resources).
Prendre le temps d’aller ensemble au fond des choses avant de laisser un intrus aller piller ce butin collectif qui dort au fond du Golfe ou en dessous de nos renclos1. Le bien commun, ça doit exister quelque part ?

1 Renclos : n. m. (de l’anc. Fr. renclus, rang-clos) ?Parcelle de terre clôturée et identifie à un propriétaire, par opposition aux terres publiques (ou de la Couronne) où on fait paître les animaux ou que l’on utilise en culture. rang-clos, ranclos, râclos, râclou, renclos.
Chantal Naud, Dictionnaire des régionalismes du français parlé des îles de la Madeleine, p. 244
Ex. : un renclos à foin, un terrain clôturé servant de pacage.

Cet article est tiré du site web de l’Aut’ Journal

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