Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Ce qu’on n’a pas encore compris en 911 mots

Depuis le début de l’été, il est étonnant d’entendre dire par le monde de l’information que nous devrions maintenant tenir de plus en plus compte de la crise climatique, que nous sommes dans une nouvelle réalité et que nous devons nous adapter aux bouleversements planétaires en cours.

La première chose qu’on n’a pas comprise, c’est que cela fait près de 40 ans que la science nous avertit qu’on est sur le bord de manger une sérieuse volée. Mais la science s’est, en cours de route, trompée légèrement : ce n’est pas une volée mais bien une exécution que l’on est en train de vivre. Comprenons une chose : nous sommes dans une augmentation des températures qui est exponentielle depuis des décennies. Qu’est-ce que cela signifie : une exponentielle, en physique, est une instabilité, et une instabilité finit toujours par crasher. Autrement dit, tout le système terre est devenu instable, ce qui signifie que des transformations d’ampleur géologiques sont en train de se produire et nous prendre de court. Le secrétaire de l’ONU, M. Guterres, vient de nous annoncer qu’on a perdu le contrôle du réchauffement climatique. Cette nouvelle est la pire que l’on puisse recevoir. Pourquoi ? Notre monde, celui de l’Holocène qui a permis à sapiens de voir le jour, est en train de disparaître. Alors, dites adieu définitivement à notre… normalité.

Mais voilà qu’on nous annonce que nous entrons dans une nouvelle normalité. Quelle farce. C’est croire que suite à cet été « anormal » nous allons nous retrouver sur un nouveau « plateau climatique » où il fera aussi chaud, où les tornades nous défriseront de temps en temps, où les feux de forêts nous suffoqueront de temps en temps, où tous les désagréments nocifs, voire mortels de la crise climatique et biologique nous frapperont quand nous en aurons le temps. Je le répète, nous sommes sur une courbe exponentielle, la normalité ne sera que celle du moment présent, car l’année suivante sera encore pire. Pourquoi ? Parce que nous continuons à détruire nos écosystèmes et à émettre, à l’échelle de la planète, des quantités records de gaz à effet de serre, qui alimentent et accélèrent cette grande catastrophe planétaire… En passant, nous aurons compris que la catastrophe, c’est nous. Bon, je suis à 384 mots : faut que j’accélère aussi. Donc, la « nouvelle normalité », oubliez ça. Nous avons déglingué l’équilibre des grands systèmes planétaires ; c’est fait, donc rien ne sera plus « normal ». Nos activités (notre consommation effrénée) nous ont plongés dans un processus de dépérissement pareil à un fumeur qui accélère sa cadence de consommation de cigarettes malgré qu’il vienne d’apprendre qu’il a le cancer.

Concernant l’adaptation, une chose est essentielle à comprendre : pour qu’il y ait processus d’adaptation, il doit rester quelque chose pour s’adapter. Nous sommes en train de détruire nos habitats ; nos terres arables (sècheresses), eau potable (contamination biologique), les écosystèmes (extinction de la vie), en fait, tout ce qui supporte notre propre vie. Comme l’un de mes collègues qui est biologiste le mentionnait : « On va s’adapter à quoi ? » Je vous le rappelle : une courbe exponentielle veut dire que tout change à une vitesse que nos sociétés ne pourront supporter. S’adapter à des habitats complètement détruits est impossible. Imaginez, les canicules marines monstrueuses qui engendrent des zones mortes dans tous les océans (ce qui est en train de se passer) ; l’industrie de pêche qui périclite sévèrement ; aucune chance de s’adapter à une telle catastrophe, car elle va aussi entraîner une multitude d’autres catastrophes qui plongeront la planète dans la famine. En passant, les récoltes tout autour du globe périclitent aussi. Pour avoir une chance de s’adapter, il faut qu’il y ait déjà des conditions préexistantes ; ce sont ces conditions essentielles que nous sommes en train de détruire. Oubliez ça une adaptation à long terme.

647 mots. OK, last shot ! Ce qu’on n’a surtout pas compris, ce sont les trois niveaux de verrouillage qui bloquent toute transformation urgente. Les forces économiques refusent le changement urgent, les forces politiques (qui proviennent en grande partie des forces économiques) bloquent toute transformation urgente et les populations refusent de provoquer ce changement crucial qui ne peut commencer que par elles. Autrement dit, un conservatisme morbide verrouille le système au complet dans un processus d’autodestruction. Et pourtant… Il y a un levier ultime. Tel un dernier avertissement, la pandémie nous l’a enseigné. Seule la puissance des États a la capacité d’effectuer les changements radicaux à la vitesse que la crise globale l’exige. Il n’est pas ici seulement question de réduction, mais d’une transformation radicale dans un contexte d’urgence planétaire. Qu’on le veuille ou non, nous allons devoir ouvrir les bras à la contrainte qui résultera, entre autres, en la disparition de grands acteurs économiques. Ou bien on se contraint volontairement ou les catastrophes vont s’en charger. Cela signifie pour l’humanité une révolution de ses valeurs pour assurer une continuité à ce qui vit. Seuls les États ont cette capacité à travers leurs institutions, leurs logistiques, leurs interconnections pour engendrer cette formidable révolution dans le peu de temps qu’il nous reste (s’il en reste). Les mobilisations lors des grands conflits mondiaux nous l’ont prouvé. Alors, maintenant que nous avons compris la beauté de la contrainte, la force de caractère que ces transformations urgentes exigent, la vraie question demeure : sommes-nous prêts à contraindre nos propres gouvernements à mettre fin à cette économie de la mort ?

Michel Jetté
Cinéaste
Co-initiateur de la Déclaration d’Urgence Climatique (GMob)

Mots-clés : Environnement

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