Tiré du Blogue solidaire.
17h14 fut donc l’heure choisie pour faire partir dans les rues de Barcelone, le 11 septembre 2015, un cortège de coureurs transportant un grand V symbolisant la victoire de la démocratie. Ces derniers défilèrent devant 1.5 million de personnes en délire qui les applaudissaient de chaque côté de la rue et qui scandaient « In, Inde, Independencia ! ». C’était l’heure idéale pour amorcer le renversement du cours de l’histoire, de la Catalogne conquise à la Catalogne souveraine, la prochaine étape devant être les élections référendaires du 27 septembre prochain.
Nous étions une trentaine d’universitaires, intellectuels et journalistes à avoir été invités comme observateurs par l’Omnium Cultural, une organisation culturelle vieille de 50 ans semblable à la Société Saint-Jean Baptiste, responsable de l’organisation du défilé de la fête nationale et, depuis quelques années, ouvertement favorable à la souveraineté de la Catalogne. Nous étions invités à un ensemble d’activités, dont cette manifestation monstre qui était la quatrième à survenir en quatre ans.
Pour l’organisation du défilé de cette année, Omnium Cultural et l’« Assemblée nationale de la Catalogne », un groupe créé il y a cinq ans et voué à la défense de la langue catalane, se sont réunis et ont formé ensemble une organisation surnommée « Ara es l’hora » (littéralement « l’heure est venue » ou il est maintenant temps »). Nous avons visité les locaux de Ara es l’hora et avons pu voir en particulier la salle où normalement bourdonnent une centaine de bénévoles, chacun placé devant un téléphone et un ordinateur portable servant à rejoindre les citoyens pour les convaincre d’aller voter le 27 septembre prochain et d’appuyer un candidat favorable à la souveraineté.
Nous avons aussi visité les locaux de la Generalitat, où se trouve le gouvernement de la Catalogne, et rencontré des politiciens de différentes tendances. La principale formation politique qui, avec l’aide du parti Candidatura d’Unitat Popular (CUP), risque de rafler la majorité des sièges au Parlement catalan, est le Junts pel Si (‘Ensemble pour le oui’), résultant d’une Coalition entre Convergencia et le parti Esquerra Republicania de Catalunya, de même que des candidatures issues de la société civile. Les plus récents sondages accordaient dà Junts pel Si et au CUP un total de 72 à 74 sièges sur les 135 sièges disponibles à l’Assemblée nationale de Catalogne.
Même si tous les politiciens rencontrés ont réaffirmé le droit qu’a le peuple catalan de déterminer son statut politique par la voie d’un référendum (ce qui leur est présentement refusé autant par la cour constitutionnelle que par le gouvernement central de Madrid dirigé par le Partido Popular), une divergence fondamentale oppose le parti socialiste catalan et la nouvelle Coalition. En plus d’être opposé à la souveraineté et de préconiser plutôt un modèle fédéral, le parti socialiste catalan ne croit pas à la légitimité d’un appui populaire se soldant par une majorité de sièges (avec 68 sièges et plus) mais non par une majorité de votes (avec moins de 50% des votes exprimés). La Coalition Junts pel Si admet qu’une élection fait intervenir plusieurs facteurs autres que l’enjeu référendaire, et notamment les programmes des différents partis politiques, mais elle rétorque qu’elle a tenté d’organiser le 9 novembre 2014 un référendum en bonne et due forme malgré son caractère soi-disant « inconstitutionnel » et le refus des partisans du Non de participer à la consultation. Elle soutient également qu’elle est toujours disposée à enclencher un processus d’approbation référendaire en faveur de la souveraineté si Madrid lui permet enfin de le faire au lieu de proférer des menaces de poursuite à l’intention d’Artur Mas et des menaces de représailles contre les écoles qui ont abrité les lieux de votation le 9 novembre 2014. En l’absence d’un geste d’ouverture de la part de la Cour et des autorités espagnoles, les indépendantistes iront de l’avant dans leur démarche conduisant à l’indépendance nationale, pourvu qu’ils récoltent une majorité de sièges au Parlement. Il serait par ailleurs incohérent de délégitimer une majorité de députés élus à l’Assemblée nationale sous le prétexte qu’ils n’ont pas été élus avec un appui de plus de 50%, alors même que les autorités espagnoles leur refusent justement de tenir une consultation populaire qui permettrait de trancher le débat à la satisfaction de tous.
Si jamais le Partido Popular est réélu à Madrid en décembre prochain (les sondages n’accordent pas plus de 15% ou 20% au Parti Podemos) et que ce parti commet comme à son habitude des imprudences, des bourdes et des erreurs tactiques tout en étant prêt, semble-t-il, à commettre l’irréparable et à « envoyer l’armée », la Coalition verra peut-être non seulement grandir l’appui à la souveraineté en Catalogne, mais aussi peut-être apparaître un courant de sympathie citoyen à la grandeur de l’Europe tout entière.
Quoi qu’il en soit, puisque la Coalition est disposée à tenir un référendum, il est clair qu’une majorité de députés élus au Parlement le 27 septembre 2015, ainsi qu’un engagement en faveur d’une démarche devant tôt ou tard conduire à un référendum portant sur la constitution de la Catalogne souveraine, lui confèrerait une légitimité indéniable. On ne peut pas en dire autant du gouvernement présentement au pouvoir à Madrid.
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