Édition du 12 novembre 2024

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Immigration

CRI DU CŒUR DES DEMANDEUSES D’ASILE VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE POSTSÉPARATION

Des femmes hébergées à Nouvelle-Étape, maison de deuxième étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale postséparation, nous ont dit : « vous êtes notre voix. C’est vous qui pouvez transmettre notre message, c’est vous qui vivez avec nous. » Elle nous déclare « Vous êtes la voix des sans voix ! » Elles veulent être entendues sur les difficultés auxquelles elles sont confrontées.

Dans le cadre des douze jours d’action contre les violences faites aux femmes, elles ont partagé des petits bouts de leur histoire sur les réseaux sociaux. Pour la journée internationale des Droits de l’Homme (Ou plutôt des Droits humains pour arrêter de discriminer les femmes), elles ont rédigé cette lettre ouverte en collaboration avec leurs intervenantes. Notre but n’est pas de comparer, et par le fait même de minimiser la réalité d’autres femmes n’étant pas demandeuses d’asile. Nous tenons plutôt à exposer une réalité méconnue qui naît de l’intersection1 simultanée de ces deux formes d’oppression : être une femme victime de violence conjugale et avoir un statut précaire d’immigration.

D’abord, les intervenantes aimeraient vous exposer les défis auxquels les victimes de violence conjugale postséparation sont confrontées. Nous travaillons auprès de femmes ayant encore besoin de sécurité après leur passage en maison d’hébergement. En effet, c’est dans la première année suivant la séparation que le risque de blessures graves ou d’homicide conjugal et familial est le plus élevé. C’est là que nous, les maisons de 2e étape, entrons dans leur vie. En effet, les maisons de 2e étape traitent de violence conjugale postséparation. Nous pourrions vous énumérer toutes les conséquences psychosociales que cela implique dans la vie de ces femmes sur de nombreuses pages. Il y a, entre autres, les états de chocs post-traumatiques, le fait de devoir recommencer sa vie à neuf2, la précarité économique et les importants problèmes de santé physique et mentale, pour ne nommer que ceux-là. Nous savons par contre que l’un des importants facteurs de protection pour se sortir de l’engrenage de la violence conjugale est l’indépendance économique. Or, nous observons que l’acquisition de cette autonomie se complexifie pour les femmes victimes de violence conjugale qui ont un statut d’immigration précaire.

Nos réalités

Une des femmes hébergées nous nomme : « Cette situation doit changer. Ici, au Québec, au Canada, existe la possibilité pour nous de nous faire entendre sur cette cause et je dois prendre le pouvoir que j’ai dans ma situation. Si aucun changement ne s’ensuit, j’espère au moins que cette lettre aura le pouvoir de sensibiliser quelques personnes sur nos réalités ».

Un des constats les plus déchirants pour nous en ce moment, c’est que certaines demandeuses d’asile victimes de violence conjugale ont dû laisser, contre leur gré, leur enfant mineur dans leur pays d’origine. Dans un pays parfois en conflit politique où les tensions sociales s’exacerbent. Ces mères n’ont pas la possibilité de ramener leur enfant mineur auprès d’elles. Elles doivent tout d’abord attendre de savoir si elles seront acceptées ou non en tant que réfugiées au Canada. Ensuite, attendre leur résidence permanente… Toute cette démarche prend plus de deux ans… « Je ne sais pas quand exactement je reverrai mon enfant… » La souffrance vécue par ces femmes est inimaginable. Ces femmes n’en dorment pas la nuit.

Les femmes nous interpellent constamment : « Les services de santé sont vraiment difficiles d’accès. Nous ne savons plus vraiment vers où nous tourner pour les urgences. « J’étais venue à l’urgence alors que j’étais enceinte. J’avais de vives douleurs et j’ai demandé de l’aide à la réception, mais on a refusé de m’aider à cause de mon statut. Même un homme qui était là est venu à ma défense, car il voyait que je souffrais.” Vous savez, la majorité des cliniques sans rendez-vous n’acceptent pas la couverture de la PFSI3 pour les demandeurs d’asile.

Ces femmes sont aussi des mères monoparentales. Elles n’ont pas le droit aux tarifs réduits des garderies et CPE. Elles ne possèdent pas non plus le réseau social ou familial habituel pour apporter de l’aide aux soins et à l’éducation des enfants. Ici, elles sont isolées. Elles n’ont aucun répit. « C’est aussi qu’on prive ma fille de la joie d’être avec d’autres enfants. Pourtant, ma fille est née ici et elle est canadienne… Pourquoi mon statut se répercute comme cela sur ma fille ? », nous dit une femme hébergée.

Concernant le travail... Elles y ont droit en théorie puisqu’elles ont un permis de travail. Mais dans les faits ? «  On est coincé là… on est venu ici pour vivre, pour être joyeuse donc on veut travailler, on veut contribuer à la société… » Mais à qui confient-elles leurs enfants ? Elles les placeront dans une garderie non subventionnée au coût moyen de 40$ par jour alors qu’elles travailleront à salaire minimum ? Impossible. Le calcul se fait rapidement : elles ne pourraient pas nourrir leurs enfants.

«  Avec un faible revenu, nous ne pouvons pas payer un logement régulier, encore moins sur l’île de Montréal ! Nous n’avons pas droit aux logements sociaux non plus… Même en faisant des recherches pour des logements abordables dans les quartiers « populaires » de Montréal, les prix sont beaucoup trop élevés… », nous disent les femmes. « Nous, les demandeuses d’asiles, si nous n’avons pas fait 18 mois au Canada, ne bénéficions pas d’allocations familiales. » Difficile d’autant plus de recommencer à neuf puisque ces femmes ont été ruinées et endettées financièrement à cause de la violence conjugale !

« J’ai l’impression de perdre deux ans de ma vie  », nous dit une femme hébergée. « Deux ans, c’est long quand tu as peur d’être retourné dans ton pays où tu crains d’être tuée ou torturée. ». D’autant plus qu’« on ne peut pas s’intégrer comme on le voudrait parce qu’on a un accès réduit aux services », nous dit une autre femme hébergée. Ces femmes désirent contribuer à la société québécoise et on les freine !

En terminant, que dire de tous les préjugés véhiculés dans notre société en ce qui a trait aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Vous savez, durant notre campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux, les seuls commentaires péjoratifs étaient en lien avec les réalités des femmes immigrantes. Ces préjugés stigmatisent également les femmes demandeuses d’asile et victimes de violence conjugale et cela pèse lourdement sur leur dignité et leur espoir. « On a besoin d’être considéré dans la société. Même si je suis une femme noire réfugiée, je suis aussi humaine ! » dit une femme hébergée.

Nos recommandations

Nous aimerions que les demandes d’audience d’immigration pour les femmes demandeuses d’asile ET victimes de violence conjugale soient accélérées et mises en priorité. Plus de 18 mois d’attente, c’est inacceptable !

Dans le cas où il a été impossible de ramener leur enfant mineur au Canada (dû à la violence conjugale et ses conséquences) : serait-il possible d’accorder au moins à l’enfant mineur qui est toujours dans le pays d’origine un visa de séjour temporaire ?

Nous demandons aussi à ce que les femmes demandeuses d’asile ET victimes de violence conjugale aient accès aux garderies subventionnées ou à la déduction pour frais de garde d’enfant. Cela est un incontournable en matière des droits des femmes afin qu’elles puissent acquérir une indépendance.

Évidemment, le droit à la santé est un droit de base. Nous demandons une plus grande accessibilité aux soins de santé et donc, que davantage de cliniques puissent accepter la couverture de la PFSI. Une femme témoigne : « Je désirais un médecin pour faire examiner mes blessures qui résultent des violences conjugales, mais j’étais sous le choc lorsque la secrétaire de la clinique m’a demandé de revenir lorsque j’aurais mon statut de réfugiée  ». Nous demandons plus précisément de permettre aux femmes d’avoir accès à des examens spécifiques pour traiter les conséquences physiques et psychologiques de la violence vécue.

Nous demandons urgemment des logements sociaux, temporaires et sécuritaires pour les demandeuses d’asile ET victimes de violence conjugale. Ces femmes ne demandent qu’à assurer leur sécurité et celle de leurs enfants. (Notons que l’Ontario offre cette possibilité pour les demandeurs d’asile en attente de la décision du Canada.)

Nous sommes conscientes que ces recommandations vont dans tous les sens. Bien sûr, certaines recommandations s’adressent au fédéral et d’autres au provincial. Mais peu importe. Les femmes veulent faire entendre leur voix : Ce n’est plus à nous de trier toutes ces discriminations systémiques... nous en avons assez de devoir subir toute cette violence. Nous en avons assez d’être maintenues dans en état extrême de survie. «  Nous voulons contribuer à la société. »

Le Québec et le Canada doivent prendre ses responsabilités face à la violence conjugale postséparation et face à ses multiples conséquences. 

Ces femmes, elles, doivent s’occuper de guérir leurs plaies et essayer de retrouver un peu d’espoir.

En terminant, nous aimerions vous souligner que les multiples complexités vécues par les femmes victimes de violence conjugale sont déjà extrêmement souffrantes et totalement décourageantes pour n’importe quel être humain. Ajouter à cela la complexité et les contraintes vécues par les demandeuses d’asile est juste INHUMAIN.

S’il vous plaît, répondez aux sans-voix. #lavoixdessansvoix

« Ensemble, nous pouvons créer un Univers sans violence. On peut faire ça. On vit dans un pays de rêves  » nous rappelle une ancienne résidante.

Évidemment, c’est signé fictivement. N’oublions pas que leur vie est en danger et que la confidentialité fait aussi partie de cette complexité quotidienne.

Maria, Fatima, Louise, Salima, Sarah, Maïté, Asma, Fatoumata,
Et les travailleuses de la maison de 2e étape :
Catherine, Meli, Laïna, Myriam, Véronique, Arianne, Valérie, Shany

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