Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Brésil. « Le scénario politique qui se joue relève de la tragédie »

Depuis le 17 mai 2017, le cri « Fora Temer ! » (Dégage Temer) retentit à diverses occasions au Brésil. Les « confidences » faites par un des propriétaires et directeur exécutif de JBS – la principale transnationale brésilienne de l’agroalimentaire – passent sur la chaîne télévisée la plus influente du pays : Globo. Joesley Mendonça Batista a droit à la diffusion d’un entretien privé qu’il a eu avec le président Michel Temer, ce président par intérim qui a occupé, depuis août 2016, le fauteuil de Dilma Rousseff, destituée en août 2016 (voir sur ce site les articles publiés, entre autres, en date des 20, 24, 29, 31 mai 2017, sous les onglets Amériques, Amérique du Sud, Brésil).

Tiré de À l’encontre.

Globo, durant presque deux minutes, « donne la parole » à l’entrepreneur qui lui raconte qu’il a soudoyé l’ex-président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, membre du Parti du mouvement démocratique (PMDB) au même titre que Michel Temer (âgé de 77 ans). Cunha a été un des principaux artificiers du « dégagement institutionnel » de Dilma Rousseff (PT). Pour rappel, Michel Temer faisait équipe avec Dilma pour l’élection présidentielle d’octobre 2014. Or, Cunha a été condamné en mars 2017 à 15 ans de prison pour diverses affaires de corruption. Joesley Mendonça Batista confie à Temer qu’il verse pots-de-vin à Cunha pour qu’il en dise le moins possible. En effet, le 26 mai, l’ancien patron de la BVA (banque sauvée en octobre 2012 par la Banque centrale) et un des dirigeants du géant pétrolier Petrobras sont arrêtés sous l’accusation, parmi d’autres chefs, d’avoir arrosé Cunha. De qui inquiéter Batista et Temer. D’où la réponse fort bien audible de Temer à son complice : « Il faut que ça continue, OK ? »

Une méthode a été employée par les procureurs à l’identique de celle utilisée par la police et justice italiennes de la « lutte » contre la mafia : réduire les peines des corrupteurs s’ils informent sur leurs nombreuses campagnes d’engraissement des politiques afin d’en retirer des profits mutuels. Pour les corrupteurs, il s’agit de surfacturations massives, d’attributions assurées de marchés au Brésil et à l’étranger, de financements par la Banque de développement (BNDES), d’avantages fiscaux, etc. Pour les corrompus : le financement illégal de campagnes très coûteuses jusqu’à de nombreux avantages matériels allant de la réparation d’une villa d’un membre de la famille à un « prêt » d’un duplex géographiquement bien situé, sans mentionner les « aides » à une vie quotidienne plus que commode, se rapprochant quelque peu de celle du monde hyper-VIP des corrupteurs.

Depuis mai, les révélations se multiplient dans la presse. Par exemple, le 11 juin, l’hebdomadaire Veja indique que Temer aurait fait espionner le rapporteur auprès du Tribunal Suprême, Edson Fachin, sur l’affaire « Lava Jato », qui a trait aux diverses pistes empruntées pour gravir l’Everest brésilien du système de corruption. Cela s’ajoute à un jugement correct, même s’il est unilatéral, de Joesley Mendonça Batista : « Temer est à la tête de la plus dangereuse organisation criminelle du pays. » Batista vient de le découvrir ? Le jour les chats sont moins gris que la nuit.

Selon une tradition bien connue, Temer se dit la victime d’un « complot ». Rappelez-vous le catholique vertueux et pilote amateur des 24 heures du Mans, François Fillon, victime de la cruauté comploteuse du Canard enchaîné. Le jeudi 15 juin, Temer, en direct à la télévision, affirme, avec une moue exaspérée : « Je ne renoncerai pas ! »… à la présidence. L’affaire n’est pas que personnelle. Elle renvoie à une crise de régime qui est issue, avec des éléments de continuité, de la période de la fin de la dictature (formellement en 1985). Dans cette conjoncture divers éléments se combinent. La difficulté de mettre en place des contre-réformes (législation du travail et le régime des retraites, entre autres) qui rencontrent une forte opposition populaire. Les échéances électorales de 2018, avec les périls qui en découlent pour les formations qui seraient assimilées au « Je ne renonce pas » et « à l’institution criminelle » dont l’emblème est Temer. Ici, l’ombre risque d’absorber la lumière, contrairement à la formule consacrée.

Les cercles économiques dominants – dont certains tentent une opération de blanchiment par leurs confidences révélées et dont certains en « supportent » même une période d’emprisonnement pas trop incommode – craignent à la fois l’approfondissement de la crise économique, le blocage des contre-réformes et les répercussions sociales se combinant avec une crise de régime politique d’une ampleur inconnue depuis 1985.

En outre, ils font face aux considérables difficultés à dégager un « bloc bourgeois » présidentiel crédible, après destitution de Temer. Un « bloc » apte à recomposer le champ politique en vue de l’échéance électorale de 2018. Pour de nombreux « chefs » de l’économie (que ce soit la droite dure ruraliste ou les secteurs de la construction, des mines, de l’industrie, etc.) il s’agit, simultanément, de lâcher Temer et de placer sur le « trône » présidentiel un personnage issu du Congrès. Ce qui n’est pas simple, mais devrait leur permettre d’éviter des élections directes de suite.

Or, cette dernière revendication possède un écho croissant et pourrait s’associer à une mobilisation socio-politique d’ampleur. Ce qui est différent de l’appel à une stricte journée de « grève générale » qui, pour la CUT et d’autres organisations syndicales, s’inscrit prioritairement dans une opération de remise sur pied de la candidature Lula pour 2018. Un Lula dont l’audience populaire reste grande et qui ne se superpose pas au déclin du Parti des travailleurs.

C’est dans un tel contexte que Jair Krischke (voir note biographique en fin de l’entretien), qui mesure l’ampleur de la triple crise protéiforme et les limites en termes de capacités d’initiatives politico-hégémoniques des diverses forces issues (ou « rénovées ») de la période post-dictatoriale – au même titre que les faillites ou demi-faillites des expériences dites progressistes en Amérique du Sud –, fait remarquer que les militaires pourraient sortir du bois. Certes, en tant que membre d’un corps spcialisé, dans un telle conjoncture, ils sont encore silencieux, par définition.

Mais, ils pourraient emprunter une voie concertée, autoritaire, avec des secteurs économiques conscients du potentiel politico-économique du « continent brésilien » (et la place qu’ils y possèdent) pour assurer un ordre dans « l’intérêt national ». Une entreprise présentée comme la marginalisation de la fraction de « cette classe politique corrompue ». Il ne s’agirait pas d’un « coup » type années 1960-1970, mais de l’instauration d’un régime, disons jupitérien, pour sauver la principale puissance du continent et sa stabilité.

L’hypothèse peut (et doit) être débattue, encore plus étant donné les dimensions imprévisibles d’une telle situation, s’insérant dans un contexte international tout aussi incertain. Mais l’ignorer serait faire la preuve d’une sérieuse myopie. Et surtout démontrer une incompréhension sur l’articulation, au plus près : des revendications et des mobilisations portant sur les droits démocratiques – contre la répression frappant des secteurs dits marginaux urbains, des masses de petits paysans et pour les « élections directes de suite » – avec un mouvement de grèves marquant une opposition décidée à la « révision » du Code du travail – qui entérine la précarisation de masse croissante du prolétariat – et à la contre-réforme des retraites qui porte un coup fatal au salaire social. (Charles-André Udry)

*****

A quel moment de sa chute, le système politique brésilien se trouve-t-il ?

Jair Krischke : Le Brésil est arrivé au point où n’importe quoi peut se passer, parce qu’il y a un discrédit énorme du monde politique : les partis, les dirigeants, les institutions et surtout le Parlement. Les gens sont en colère et ils ont raison. Les patrons de JBS-Friboi [la principale multinationale brésilienne de l’industrie agroalimentaire], qui a reçu un financement de la part de la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) sous les gouvernements de Lula et de Dilma, ont commencé à voir que les choses devenaient très compliquées et ont décidé de témoigner devant la justice en donnant divers éléments tels que dates et numéros de comptes bancaires.

L’un des patrons de l’entreprise a même enregistré Temer lors d’une conversation terrible. Cela est apparu sur la chaîne de télévision Globo, qui ne publie l’enregistrement qu’avec sa propre interprétation, mais une fois qu’une chose se trouve sur Globo, rien ne peut plus l’arrêter. Les experts engagés par d’autres journaux ont détecté entre quarante et cinquante coupes d’édition dans l’enregistrement. L’administration fiscale n’avait-elle pas détecté cela ? Ce qui se passe, c’est que l’heure de Temer est venue, lui qui avait accédé à la présidence avec seulement 8 à 9% d’approbation, qui continue à être à la tête du gouvernement mais ne réunit plus les conditions politiques ni morales pour gouverner [selon les sondages, il dispose de 3% d’approbation publique].

On ne peut pas anticiper les élections (élections directes) parce que la Constitution ne le permet pas ; le Congrès, corrompu et démoralisé, ne peut élire un président (élection indirecte) ; pour réformer la Constitution, il n’y a pas le temps ; mais surtout… il n’y a pas de candidats, ni dans le champ politique ni à l’extérieur.

Le pire des héritages de la dictature c’est cela, parce qu’ils ont tué les générations de politiciens qui aujourd’hui devraient occuper les lieux de leadership. Quand la démocratie est revenue au Brésil, nous avions de vieux politiciens, et maintenant qu’ils sont morts, il est resté un vide.

Peut-on trouver dans cette transition vers la démocratie un quelconque germe de la crise actuelle ?

La sortie de la dictature n’a rien eu à voir avec ce qui s’est passé en Argentine. Au Brésil, il n’y a pas eu de transition, il y a eu une transaction. Ce fut un accord. A cette époque au Brésil, il y a eu un mouvement de masse parmi les plus importants jusqu’à aujourd’hui, qui, à travers un grand nombre de personnes dans les rues, a exigé des élections [en 1983-84, le mot d’ordre Diretas Já était repris par un vaste mouvement populaire alors que la junte militaire était encore au pouvoir et ceci depuis 1964], mais la dictature a résisté et n’a pas permis que le projet passe devant le Congrès. La dictature brésilienne n’autorisait alors que deux partis, nous disions que c’était le parti du « OUI » et celui du « Oui, Monsieur ».

Il y a aujourd’hui trente-deux partis, ce qui n’existe nulle part ailleurs. Et il y a cinquante demandes en cours pour la création de nouveaux partis. Cela oblige à faire des concertations, et l’une des choses qui en résulte, c’est la grande corruption.

Le système politique démocratique du Brésil peut-il fonctionner sans corruption ?

L’espace télévisuel accordé en période électorale est proportionnel au nombre de parlementaires que chaque parti possède. Cela constitue déjà quelque chose servant à faire des affaires, parce que le parti qui a trente secondes négocie avec le candidat qui se trouve en meilleure position en échange de quelque chose, des mandats par exemple. Cela a transformé la vie politique du Brésil d’une manière telle que c’est devenu aujourd’hui un grand business. Le « mensalão » [versement mensuel] a été le premier grand scandale : le parti de Lula (Parti des travailleurs-PT) payait les députés et les sénateurs pour qu’ils votent en faveur de ses propositions !

C’est quand ils ont commencé à se disputer entre eux que l’affaire est sortie publiquement. La loi autorisait alors les entreprises à verser de l’argent pour les campagnes électorales, à condition qu’elles paient un impôt. Mais comme ce n’était pas assez, elles ont alors commencé à donner le double de qui était annoncé officiellement. Donc, c’était beaucoup plus que l’apport légal. Par exemple : l’entreprise Petrobras a commencé à facturer des commissions occultes, qu’elle répartissait ensuite avec le parti auquel elle était associée. Partout dans le monde, il est pratiquement impossible de mener une entreprise pétrolière à la faillite. Mais au Brésil cela a été rendu possible parce qu’ils ont volé des deux mains. Cela a été en empirant, et a fini par provoquer un choc dans l’opinion publique. C’est dans ce contexte qu’ils ont jeté Dilma [destitution de Dilma Rousseff en fin août 2016], non pour des questions de commissions occultes ou quoi que ce soit, mais pour quelque chose de lié à la structure même des décisions présidentielles [présentation biaisée des comptes, selon une vieille tradition]. Ils ont alors placé à la tête de l’Etat le vice-président Michel Temer, dirigeant du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien). Il faisait partie du ticket présidentiel de Dilma en octobre 2014 ; il a été nommé par le Parlement au poste de président suite à l’impeachment de Dilma. Ce système de turn-over au sommet nous a conduits à la crise présente.

Quels sont les noms de ceux qui pourraient prendre la tête de la continuité de « la démocratie » au Brésil ?

Si l’élection se fait par le Congrès, on parle beaucoup d’un homme qui s’appelle Nelson Jobim, du PMDB, je le connais, il est de ma province [il a représenté l’Etat de Rio Grande do Sul comme député de 1987 à 1995, et surtout a été ministre de la Justice sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso de 1995 à 1997, puis ministre de la Défense sous les présidences de Lula et de Dilma].

Si Lula se présente comme candidat en 2018, il va perdre, parce qu’il se situe très bas dans l’opinion publique. Il doit répondre à six chefs d’inculpation et pour certains il va être condamné. Il pourra toutefois être candidat parce qu’il n’y a pas assez de temps pour qu’il puisse être condamné à une peine de second degré, c’est-à-dire une peine très lourde, mais il sera battu.

Apparaît également comme candidate possible Marina Silva [qui avait été ministre de l’Environnement sous le premier gouvernement Lula de 2003 à 2008 ; après sa démission liée à la politique amazonienne de Lula, elle adhère au Parti Vert et se présente à la présidentielle en 2010, elle a perdu]. Elle est dangereuse parce que c’est une femme très religieuse [une coïncidence sur ce plan s’est établie entre elle et Helena Heloisa, membre de la tendance Démocratie socialiste du PT qui a rompu avec ce parti] qui se présente comme une salvatrice, et ces choses dans l’histoire du monde ne se sont jamais bien terminées.

Et l’autre candidat possible est Jair Bolsonaro [député de Rio de Janeiro et membre du Parti social chrétien], qui est un type issu de l’ultra-droite des plus folles. Le mois dernier à Rio de Janeiro, il a fait un discours xénophobe et raciste où il a dit que pour résoudre les problèmes au Brésil, il fallait commencer par tuer trente mille personnes, que s’il accédait à la présidence il n’y aurait plus un centimètre de terre pour les indigènes, et que les Noirs qui réclamaient les terres du temps où ils étaient esclaves ne recevraient rien non plus. Il est tellement mauvais que même dans l’armée, il n’est parvenu qu’au grade de capitaine. Les sondages lui donnent des chiffres terrifiants, quarante et quelques pour-cent, avant même le début de la campagne. Le scénario en cours au Brésil relève de la véritable tragédie. Ce candidat pourrait donner une place aux secteurs de pouvoir qui existent encore depuis la dictature, qui manipulent les choses par derrière.

Quelles sont les alternatives institutionnelles existant en ce moment pour la continuité démocratique ?

Pour pouvoir bien comprendre ce qui est en train de se passer au Brésil, il est important d’observer le Congrès, qui dans n’importe quel pays a des « bancadas » [groupes parlementaires], des groupes de partis, des alliances politiques. Mais dans le cas du Brésil, il y a encore la « bancada » de la Bible, celle de la balle [armée] ou celle du bœuf (les ruralistes) qui réunissent en leur sein des députés de divers partis.

La « bancada » de la Bible est quelque chose d’absolument préoccupant, ce sont ces nouvelles Eglises pentecôtistes, notamment l’Eglise universelle du royaume de Dieu, qui ont également créé des partis politiques tels que le PRB [Parti républicain brésilien] qui a plusieurs députés, sénateurs et autre personnel politique. Il existe une vidéo dans laquelle un évêque est en train de parler à Rio de Janeiro : il raconte aux fidèles que l’église traverse un problème grave, qu’elle a une dette de 600 millions sur le dos en raison des impôts que le gouvernement lui réclame. Il dit qu’il a fallu s’allier avec la « bancada » de la Bible, pour créer une loi qui élimine cet impôt. C’est à cette occasion qu’ils feront apparaître Eduardo Cunha dans le scénario afin de le remercier pour les services rendus. Pour rappel, cet homme fut l’ex-président de la Chambre des députés, l’instigateur du procès politique contre la présidente destituée Dilma Rousseff. Or, il est aujourd’hui en prison pour corruption. C’est sensationnel la politique au Brésil, quelle tragédie… Il n’y a plus aucune idéologie là-dedans. C’est une folie. La seule chose qui compte, c’est de faire des affaires.

Quelle est la situation de l’ex-président Lula da Silva, qui, vu de loin, peut apparaître comme un leader de dimension continentale capable de remettre son pays sur la bonne voie ?

Le PT n’a pas de candidat pour l’élection de 2018. José Dirceu [un des dirigeants historiques du PT, responsable aux côtés de Lula dans les années 2003-04 ; dès cette date la lumière a été faite sur les opérations de corruption dans lesquelles il trempait], trois fois candidat malheureux à la présidence. Il a joué un rôle dans l’ascension de Lula et poussé celui-ci à écrire une lettre où il se présente comme une alternative potable pour les entrepreneurs et les financiers. Maintenant, dans toute cette cacade, Emilio Odebrecht père [le patron de la transnationale de la construction Odebrecht liée au système de corruption, en particulier à Petrobras] déclare qu’il a aidé Lula à rédiger ce texte.

La période de Lula a été favorable au vu du contexte international. Le prix des commodities était au plus haut, le Brésil se portait bien économiquement, non par le mérite de Lula mais par les circonstances internationales. Puis, lorsqu’il n’a plus pu être candidat lui-même, il a créé Dilma. Je la connais, elle a été mariée de très longues années avec Carlos, un de mes amis et compagnons. C’est une militante engagée, qui est arrivée au PT en 2000, mais elle n’est pas un grand cadre politique, on se moque beaucoup d’elle au Brésil pour sa faible capacité oratoire. Dirceu, lui, est sorti du gouvernement avec le « mensalão ». Et Lula a alors appelé Dilma à la présidence pour qu’elle mette de l’ordre dans la maison. Dans un premier temps, le PT avait beaucoup d’intellectuels, de professeurs d’université et aujourd’hui ils n’ont plus rien, aucun candidat qui ait la moindre chance de gagner. Tous ont perdu le contact avec les bases sociales et les gens se sentent isolés. Au Brésil, les membres des partis, les électeurs et les cadres des partis constituent des choses bien distinctes.

Quelle analyse le moment historique que vit cette région du monde mérite-t-il ?

Au niveau régional, je crois que le cadre est assez grave. Nous étions arrivés à un point très important, mais ce qui est grave, c’est que nos partis de gauche et de centre gauche doivent se repenser et faire leur mea culpa, idéologiquement ils doivent revoir les choses, parce que ces gouvernements ont commis la grande erreur d’accepter le jeu du néolibéralisme. Ce point constitue le fond de la tragédie. Et je ne vois dans les partis progressistes du continent aucune volonté de se repenser et de s’adapter aux temps nouveaux, parce que la vie n’est pas statique, elle est dynamique, et la vie politique encore plus, et l’on voit comme ils sont congelés, apeurés. On ne va pas y mettre quarante ans à nouveau, mais je vous dis qu’il faut opérer une révolution à l’intérieur des partis de gauche et tenir compte du fait qu’il est fondamental d’avoir une proposition, un projet pour le pays. Au Brésil, les travailleurs ne disposent pas de projet pour leur pays, le monde académico-intellectuel n’a pas de projet, les entrepreneurs encore moins et les militaires, eux, en ont un, ils en ont toujours eu un. C’est ce qui rend les choses extrêmement urgentes. (Article publié sur Canal Abierto, le 27 mai 2017 ; traduction A l’Encontre)

Note

On estime que par leur travail de promotion et de défense des droits de l’homme, Jair Krischke et le MJDH [Movimento de Justiça et Direitos Humanos] ont réussi à sauver la vie de plus de deux mille personnes sur tout le continent, à l’époque des dictatures latino-américaines des années 60, 70 et 80. D’abord, ils ont aidé des Brésiliens persécutés par les militaires, puis, après le coup d’Etat qui en 1964 a fait tomber le président João Goulart, ils les ont aidés à se réfugier en Uruguay, là où le président destitué a également trouvé asile. Puis en 1973, lorsque se sont produits les coups d’Etat en Uruguay et au Chili, ils ont aidé les militants à arriver en Argentine, qui était à l’époque l’unique pays de la région à accueillir des réfugiés. A partir de 1976, le MJDH s’est consacré à l’introduction clandestine de réfugiés du Chili, de l’Argentine, du Paraguay et de l’Uruguay vers le Brésil, d’où, avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés, il les a envoyés en Europe. En 2007, le travail de Krischke a permis la capture de Manuel Cordero, militaire uruguayen qui participa au « Plan Condor » et qui vivait caché au Brésil. Celui-ci a été extradé vers l’Argentine, où il a été jugé puis condamné pour crimes contre l’humanité. (Canal Abierto)

Jair Krischke

On estime que par leur travail de promotion et de défense des droits de l’homme, Jair Krischke et le MJDH [Movimento de Justiça et Direitos Humanos] ont réussi à sauver la vie de plus de deux mille personnes sur tout le continent, à l’époque des dictatures latino-américaines des années 60, 70 et 80. D’abord, ils ont aidé des Brésiliens persécutés par les militaires, puis, après le coup d’Etat qui en 1964 a fait tomber le président João Goulart, ils les ont aidés à se réfugier en Uruguay, là où le président destitué a également trouvé asile. Puis en 1973, lorsque se sont produits les coups d’Etat en Uruguay et au Chili, ils ont aidé les militants à arriver en Argentine, qui était à l’époque l’unique pays de la région à accueillir des réfugiés. A partir de 1976, le MJDH s’est consacré à l’introduction clandestine de réfugiés du Chili, de l’Argentine, du Paraguay et de l’Uruguay vers le Brésil, d’où, avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés, il les a envoyés en Europe. En 2007, le travail de Krischke a permis la capture de Manuel Cordero, militaire uruguayen qui participa au « Plan Condor » et qui vivait caché au Brésil. Celui-ci a été extradé vers l’Argentine, où il a été jugé puis condamné pour crimes contre l’humanité. (Canal Abierto)

Leonardo Vázquez

Journaliste brésilien.

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