Édition du 19 novembre 2024

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Elections espagnoles

Bouleversement politique considérable dans l’État espagnol

Les élections générales (Congrès et Sénat) ont vu une augmentation significative de la participation puisqu’elle s’élève à 73,2% (+4,26% par rapport à 2011), ce qui correspond à 683 000 électeur-trice-s supplémentaires. Les résultats révèlent un bouleversement important du paysage politique dans le pays avec trois enseignements principaux : fin de la domination du bipartisme, émergence de nouvelles forces politiques : Podemos (et ses alliés) et Ciudadanos à l’échelle du pays, marginalisation de Izquierda Unida.

Tiré du site d’Ensemble.

Fin du bipartisme

Si le Parti populaire (PP) remporte les élections générales dans l’État espagnol, il n’obtient qu’une majorité relative au Congrès : 28,72% et 123 sièges mais conserve cependant la majorité absolue au Sénat (124 sièges sur 208). Cependant, il se trouve dans l’impossibilité de gouverner seul et les alliances possibles restent très hypothétiques.

Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) se classe deuxième et obtient 22,01 % des suffrages et 90 sièges. Ces deux formations perdent respectivement 15,9% et 6,72% et 5 millions de voix par rapport aux élections de 2011 où elles rassemblaient 73,5% des voix après avoir déjà perdu 10 points lors des précédents en 2008 (83,81%), cela se traduit par une chute de 33 points en sept années. Le PP l’emporte dans une grande majorité de provinces (37/50) mais il reste très distancé en Catalogne et en Euskadi ou les nationalistes de droite en net recul ne l’emportent qu’en Vízcaya (Bilbao) pour le Parti nationaliste basque (PNV) et dans les provinces de Lleida et Girona pour Democràcia i Llibertat (nouvelle coalition autour de Convergència Democràtica de Catalunya (CDC).

Le PSOE n’est en tête que dans ses derniers bastions : Estrémadure et Andalousie mais il ne devance le PP que dans les provinces de Badajoz, Cordoue, Cadix, Huelva, Jaén et Séville (2 régions et 6 provinces), il est dépassé par le PP à Grenade. Les élections du 20 décembre mettent un terme à 35 années de bipartisme, le PP et le PSOE enregistrent leurs plus faibles scores de leur histoire et depuis le début de la « transition démocratique », c’est le premier enseignement qu’il faut tirer de cette consultation.

Confirmation de Podemos et de Ciudadanos

Cette élection a vu l’émergence de deux nouvelles formations : Podemos et Ciudadanos qui ont chamboulé totalement le paysage politique dans l’État espagnol. Ces deux formations recueillent respectivement 5 189 333 voix (20,66%) et 69 sièges et 3 500 446 voix (13,93%) et 40 sièges. Elles représentent aujourd’hui un peu plus du tiers de l’électorat. En un peu moins de deux années (création en janvier 2014), Podemos est parvenu à s’imposer après son émergence lors des élections européennes (7,97% - 5 sièges) en juin 2014, cette formation poursuit sa progression, 14,3% lors des élections régionales de mai 2015 et l’élection de 133 député-e-s régionaux (avec ceux obtenus deux mois plus tôt en Andalousie) et la conquête de plusieurs villes parfois dans le cadre d’alliances, telles que Barcelone (En comú), Cadix, Madrid, La Corogne (Marea Atlántica), Valencia (Compromis).

Podemos et ses alliés l’emportent dans quatre provinces de Catalogne et d’Euskadi. La coalition En Comú Podem (Podem Catalunya, Iniciativa per Catalunya Verds, Esquerra Unida i Alternativa, Equo y Barcelona en Comú) est largement en tête en Catalogne avec 24,74% avec près de neuf points d’avance sur l’Esquerra republicana de Catalunya (ERC) (15,98%). Elle domine largement dans les provinces de Barcelone (26,91%) et Tarragone (20,65%). C’est un résultat d’une portée considérable en Catalogne, il est aussi le résultat d’une accumulation de forces et d’expérimentations importantes depuis plus d’une décennie.

Podemos-Ahal-Du est en tête en Euskadi en terme de voix avec près de 26% et dans deux provinces sur trois de cette région : Álava (Victoria) et Guipúzcoa (San Sébastian) mais obtient un élu de moins que le PNV (5 contre 6). A noter qu’EH-Bildu (Gauche nationaliste abertzale) n’obtient que 2 sièges avec 15,07% des voix en Euskadi, bien loin du score d’Amaiur en 2011 (7 élu-e-s). Il y a visiblement eu un transfert de voix vers Podemos.

Podemos-Compromis obtient 27% dans la province de Valence. En Galice, la coalition avec les nationalistes et gauche unie : Podemos-En Marea-ANOVA-EU obtient un excellent résultat avec 25% et même 28% dans la province de Pontevedra.

Alors que le discours de Podemos est ambigu sur la question nationale et d’indépendance des régions historiques (Catalogne, Euskadi et Galice), il y a un certain paradoxe dans les résultats. Là où les forces nationalistes sont les plus fortes, elles obtiennent des résultats assez faibles. Les nationalistes de droite de Democràcia i Llibertat termine 4e avec 15% des voix et leur allié à la région ERC 16% en Catalogne. Indubitablement, les électeur-trice-s ont opté pour des choix très différents que pour les élections régionales. Cependant, il convient de relever que les scores importants se situent dans le prolongement de campagnes unitaires larges lors des municipales, c’est significatif en catalogne et en Galice. Podemos n’a accepté des alliances que dans les régions historiques et dans la communauté de Valence (qui a également un statut particulier et une langue reconnue officiellement). Les négociations avec la Gauche unie n’ont pas abouti et Iglesias ne souhaitait que le débauchage du jeune leader de IU, Alberto Garzón. Les bons résultats de Podemos se traduisent également par sa deuxième place dans la communauté de Madrid (20,86%) derrière le PP, dans la Communauté de Valence, en Galice, aux Baléares, aux Canaries et en Navarre. Toutefois, le vote de Podemos reste principalement un vote urbain, il est assez faible en Castilla La Mancha et Castilla y León où, avec le mode de scrutin, il n’obtient respectivement qu’un et trois sièges. Le PSOE en obtenant trois fois plus avec seulement 7% des voix en plus. Il n’est pas implanté dans les zones rurales.

Podemos réalise une réelle percée et remporte largement son pari, même s’il ne devance pas le PSOE et que le dessein initial de la fulgurance pour parvenir au pouvoir ne se concrétise pas. A noter le renversement de tendance entre Podemos et Ciudadanos au cours des dernières semaines de la campagne. Ce résultat est un événement important pour l’état espagnol et pour toute la gauche radicale en Europe, qu’il importe d’analyser pour en tirer des enseignements.

Ciudadanos (C’s) n’est pas à proprement parlé un nouveau parti puisqu’il a été créé en 2005 en Catalogne où il s’est d’abord présenté aux diverses élections. Il se caractérise notamment par son opposition à l’autonomie accrue des régions historiques et en faveur de l’unité de l’Espagne, il condamne fortement la corruption des forces du bipartisme. Il n’a décidé son expansion nationale qu’en 2014, année où il a obtenu deux postes de députés européens. En mai 2015, il a obtenu 93 sièges de député-e-s régionaux et 1 527 sièges de conseiller-ère-s municipaux mais il a surtout créé la surprise en devenant la deuxième force en Catalogne lors des élections autonomes (17,9%) de septembre dernier. Il ne parvient cependant pas à réussir la percée que les sondages semblaient indiquer (jusqu’à 21,5% à la mi-octobre). Son score le situe bien en deçà avec 13,93% même si ses 40 députés auront un rôle important, il est le grand perdant de cette élection. C’s a indiqué qu’il ne participerait pas à une coalition avec le PP.

La marginalisation de la Gauche unie

La gauche unie (IU), qui se présentait sous l’étiquette « Unidad popular en Común », elle obtient 923 000 voix (3,67% des suffrages) et deux députés élus à Madrid. Elle retrouve le nombre de députés qu’elle avait obtenu en 2008. En 2011, profitant des effets de la crise et l’absence d’autres forces de gauche critique, elle avait pu rebondir en obtenant 6,92% et 11 sièges. Il n’y aura plus de représentant-e-s d’IU pour l’Andalousie ou les Asturies (deux bastions historiques). Là où IU n’est pas en alliance avec Podemos comme en Catalogne et Galice, elle s’écroule ou ne résiste que dans des endroits très localisés. Comme les formations en dehors du bipartisme, IU est pénalisé par le mode de scrutin proportionnel par province. Il lui faut 461 000 voix pour obtenir un poste quand le PP en a besoin que de 58 600. L’avenir s’annonce difficile pour cette formation car elle se retrouve aujourd’hui largement concurrencée par Podemos et risque d’être marginalisée sans qu’il y ait, cette fois, une possibilité de rebond.

Quel gouvernement ?

Quelques heures après un scrutin qui a bouleversé considérablement le paysage politique dans l’État espagnol, il est prématuré de prévoir la composition de la nouvelle majorité et du nouveau gouvernement. Différents scenarii sont possibles mais les négociations risquent de se prolonger. Aujourd’hui, le PSOE a confirmé qu’il ne votera pas l’investiture du PP, Ciudadanos indique qu’il s’abstiendra, Pablo Iglesias conditionne son soutien au PSOE à la tenue d’un référendum catalan et valorise le caractère plurinational de l’État (les résultats en Catalogne et en Euskadi semblent avoir infléchi sa position). L’hypothèse d’un gouvernement PP/PSOE n’est pas à écarter… Elle entraînerait assurément un éclatement du PSOE et une recomposition politique à gauche. Mais pour l’instant, nous n’en sommes qu’au stade des hypothèses… et rien n’est moins sûr qu’une possibilité se concrétise…

Annexes

Résultats Congrès

Parti populaire : 28,72% (123 s) (-63)

PSOE : 22,01% (90s) (-20) Le pire score depuis la transition

Podemos : 20,66% (69s) pénalisé par le mode de scrutin proportionnel par province

Ciudadanos : 13,93% (40s)

ERC (Gauche républicaine de Catalogne) : 2,4% (9s)

DL (Democràcia i Llibertat –ex Convergencia – nationalistes de centre-droit) : 2,26% (8s)

PNV (Parti nationaliste basque –centre-droit) : 1,21% (6s)

Unidad Popular –Izquierda unida : 3,67% (2s) obtenus à Madrid

EH-Bildu (Gauche nationaliste abertzale) : 0,88% (2s) -7

Coalition canarienne : 0,31% (1s)

Résultats au Sénat

Le PP remporte 124 sièges (-12), le PSOE 47 (-1), Podemos 16, ERC 6, DL 6, PNV 6, CCA-PNC 1.

Richard Neuville

Auteur pour le site d’ensemble (France)

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