Esteban : Bonjour, cette journée de mardi, c’est un baroud d’honneur, non ?
Olivier Besancenot : Non ! C’est une étape supplémentaire vers la grève générale qui commence à prendre forme. A partir de mardi soir, des reconductions de grève auront lieu, de nouvelles manifestations auront lieu, ainsi que de nombreux blocages. La question posée est maintenant de bloquer l’économie pour bloquer la réforme.
Zbeul : Cette grève est-elle, selon vous, une grève politique de mécontentement général ou une grève sociale centrée uniquement sur les retraites ?
Le mécontentement dépasse la question des retraites, mais en même temps, se cristallise sur le dossier des retraites. De nombreux salariés et de nombreux jeunes n’en peuvent plus du "deux poids-deux mesures" du gouvernement et cherchent en effet, à travers cette grève sur les retraites, à solder les comptes avec le gouvernement Sarkozy qu’on subit depuis trop longtemps.
Abdelmallik : Quelle suite envisagez-vous à l’action syndicale si la loi est votée ?
La loi n’est qu’un projet de loi tant qu’elle n’est pas parue dans le Journal officiel. Et quand bien même elle paraîtrait dans le Journal officiel, l’histoire sociale de notre pays est là pour nous rappeler que ce que le Parlement – l’Assemblée et le Sénat – décide, la rue peut le défaire.
Fred : Même avec 3 millions de manifestants, la rue a la légitimité d’un Parlement élu ?
Aujourd’hui, la légitimité est dans le camp de la rue, et la rue peut avoir plus de pouvoir que les gouvernements. Ca a été vrai en 1995 au moment du plan Juppé, vrai également en 2006 au moment du contrat de première embauche.
Par ailleurs, nos principaux acquis sociaux ont d’abord été arrachés par les luttes et par une mobilisation de nos anciens. Si nos grands-parents n’avaient pas fait grève en 1936, nous ne bénéficierions pas aujourd’hui des congés payés.
Odp : Vous pensez donc que le vote de l’ensemble des citoyens à moins de valeur que les mouvements sociaux ?
Et à quel moment la majorité des citoyens a-t-elle voté pour la retraite à 67 ans ? Sur YouTube, vous pouvez aller voir Nicolas Sarkozy, qui explique pourquoi il ne touchera pas à la retraite à 60 ans.
Léon : Le NPA pousse t-il les lycéens à sortir ?
Les lycéens se poussent tout seuls et n’ont pas besoin de personne pour le faire. Nous pouvons avoir des militants lycéens au NPA.
Par ailleurs, les adultes, les salariés, les parents d’élèves sont souvent présents devant les lycées pour demander aux forces de l’ordre de partir des établissements et de cesser leurs provocations. Et c’est une bonne chose.
Roland : Les violences devant certains lycées risquent de retourner l’opinion sur le mouvement. Fallait-il vraiment y associer les lycéens ?
Oui, il faut associer tout le monde. Et la jeunesse comprend que lorsqu’on demande aux anciens de travailler plus longtemps, ils auront encore moins de chance de trouver une place sur le marché de l’emploi.
Le gouvernement, par ses provocations policières répétitives, cherche les dérapages en pensant calmer la contestation en faisant peur.
Emilien22 : Quels éléments vous permettent de comparer les manifestations des derniers jours avec Mai 68 ? La probabilité d’un mouvement du même type est elle envisageable voire souhaitable pour la France ?
Il n’y a pas de modèle exportable. Chaque lutte est particulière et trouve ses propres lois. Mais je pense qu’un nouveau Mai 68 aux couleurs du XXIe siècle ne ferait de mal à personne, si ce n’est aux capitalistes et au gouvernement. Mais ça, ce n’est pas grave...
Mai 68, en plus des barricades, ça a été une grève générale où des millions de personnes ont fait irruption sur la scène sociale et politique. C’est cette irruption-là dont nous avons besoin aujourd’hui.
Thibaud : Des grévistes qui bloquent les centres pétroliers et les axes de transports : est-ce encore de la grève qu’empêcher activement les autres de travailler ? N’est-ce pas plus proche de l’idée que vous vous faites d’un "activisme révolutionnaire" ?
Nous ne vivons pas une révolution (pas encore !). Nous sommes dans un processus de généralisation des grèves, où la radicalisation et l’élargissement vont de pair. Le mouvement s’élargit à chaque fois un peu plus, et en même temps, les actions se radicalisent car le gouvernement pousse à la radicalisation de la lutte.
Marc : Le NPA a-t-il un contre-projet concret de réforme au sujet des retraites ? Si oui, quel est-il ?
Le NPA réclame non pas la réécriture du projet, mais son retrait pur et simple. Nous proposons la retraite à 60 ans à taux plein, et le retour aux 37,5 annuités pour tous. Pour financer ce projet, nous proposons d’augmenter la part de la cotisation patronale.
3 % du PIB d’ici à 2050 sont nécessaires d’après le Conseil d’orientation des retraites pour financer le système de retraite. Or chaque année, 17 % des richesses annuelles partent sous forme de profits qui sont accaparés par une minorité de privilégiés.
Il faut donc partager les richesses, et également partager le temps de travail en travaillant moins dans les entreprises, pour que tout le monde à l’extérieur ait un emploi.
Victor : Quels sont, selon vous, les secteurs à taxer en priorité si l’on veut trouver les fonds nécessaires pour financer les retraites ?
Les revenus du capital. Par ailleurs, chaque année, 32 milliards d’euros partent sous forme d’exonérations de cotisations sociales pour faire, soi-disant, de l’emploi (on voit avec quel succès !). Ces exonérations créent des déficits.
Georges P. : Comment se fait-il que vous ne sembliez pas craindre les conséquences économiques (retombées sur l’emploi, la croissance, etc.) des mouvements que vous organisez ou attisez ?
Les difficultés économiques actuelles ne sont pas le fait de la grève générale, mais le fait d’un système qui se nomme le capitalisme, et dont la crise, initiée il y a deux ans par l’affaire des subprimes, a gangrené l’ensemble des rouages de l’économie.
Nous assistons à une crise de surproduction au sens marxiste du terme dans l’ensemble des puissances capitalistes. Il faudra bien inventer un jour un nouveau mode de production et de consommation qui permette de satisfaire les besoins de l’humanité.
Etudiant Tokyo : Pensez-vous qu’un référendum serait une bonne solution pour éventuellement remettre les choses à plat ?
A ce moment précis du conflit, non. Ce serait un dérivatif et un substitut institutionnel pour les mobilisations sociales. S’il y a un moyen plus efficace que la grève générale reconductible pour gagner, il faut nous le dire, mais moi, je ne vois pas. La votation citoyenne a pu, au moment de la privatisation de La Poste, être un point d’appui pour les luttes. Mais en aucun cas elle ne peut remplacer les luttes.
Serena : Les étudiants sont assez peu mobilisés pour le moment, pourraient ils avoir un rôle déterminant ?
Pas de panique, Serena, ça arrive ! Une dizaine d’universités sont déjà mobilisées, et en effet, la contestation étudiante pourrait être un élément décisif dans l’extension du mouvement.
MatthieuRecu : Donc il est normal de bloquer les établissements, et d’empêcher ceux qui veulent étudier ?
Donc, il est normal que je soutienne les bloqueurs.
Zbeul : Les action des Black Blocs sont-elles la solution plutôt que les traditionnelles "manifs merguez cégétistes" ?
Je suis plutôt du côté du Red Bloc. Par ailleurs, j’aime bien les merguez et je suis partisan de la grève générale reconductible.
GG : Quid d’une véritable alliance à gauche entre le NPA et le Front de gauche pour pouvoir peser sur le PS dans les années à venir ?
Nous proposons le rassemblement de toutes les forces anticapitalistes sur des bases unitaires et radicales, et en indépendance totale vis-à-vis du PS. Le but du jeu, pour moi, n’est pas d’infléchir la politique du PS ou le convertir à l’anticapitalisme (bon courage !), mais plutôt de contester au PS son hégémonie sur le restant de la gauche.
Il y a deux grandes orientations politiques à gauche : une qui s’inscrit dans le cadre de l’économie de marché, et l’autre qui veut en sortir. Ces deux orientations ne sont pas compatibles dans un même gouvernement, mais nos forces peuvent s’additionner pour résister à la droite, comme c’est le cas sur les retraites.
Laurent F. : Monsieur Besancenot, quand comptez vous prendre votre retraite ?
A 60 ans à taux plein ! Mais sache, Laurent, que je continuerai à militer quand même.
Maroux : Et jusqu’où cette escalade peut-elle aller ?
Jusqu’à la victoire. Les conditions sont réunies pour que le mouvement sur les retraites gagne. Ce n’est pas écrit d’avance, et il y a de nombreux obstacles encore devant nous. Mais objectivement, notre camp, celui de la contestation, continue à s’élargir pendant que le camp d’en face, lui, s’isole et se fragilise.
Le remaniement gouvernemental se transforme en débandade. Et face à des ministres qui préparent leurs cartons, la rue peut remporter une victoire décisive dans cette lutte de classes. Comme disait le "Che", hasta la victoria siempre !