Le terme de démocratie syndicale, par contre, est moins utilisé. Lorsqu’on évoque les apports historiques du syndicalisme à la société québécoise, on pense d’abord aux mesures de la répartition de la richesse (au travail et dans la société) et à celles qui assurent une plus grande justice sociale. Pourtant, une grande contribution du mouvement syndical a été son travail d’approfondissement de la démocratie. Après en avoir montré les principales déclinaisons, je tenterai de démontrer qu’une part importante de la direction du mouvement syndical actuel a perdu de vue cette dimension centrale, adhérant au contraire à une approche conservatrice de la démocratie. En troisième et dernière partie, je proposerai quelques pistes qui pourraient permettre de donner un nouveau souffle à cette force des mots démocratisante.
I. Les contributions syndicales à la démocratie
Pour résumer, on pourrait dire que le syndicalisme, depuis ses origines, a permis l’approfondissement de la démocratie par le biais de trois grandes avenues.
Un premier ensemble de jonctions entre démocratie et syndicalisme s’articule autour de la critique de la démocratie représentative bourgeoise, et plus largement, des prétentions égalitaires du droit libéral. Car, que vaut l’égalité en droits si elle côtoie une inégalité réelle criante ? Il apparaît donc comme une nécessité première pour les syndicats de défendre des droits sociaux, assurant des conditions minimales d’existence concrète aux ouvrières et aux ouvriers : normes élémentaires de travail (notamment en matière de santé et de sécurité), journées de huit heures et vacances payées, protections contre le chômage, congés de maladie, retraite ainsi que l’éducation publique obligatoire pour les enfants en lieu et place du travail. La lutte pour la reconnaissance des droits politiques (droit de vote, liberté d’association, droit de grève et droit de manifester, notamment) peut aussi être comprise comme une volonté de rendre la démocratie plus « effective » dans le quotidien du grand nombre. Mentionnons que ces luttes pour l’irruption de nouveaux droits sociaux et politiques ont presque systématiquement impliqué d’entrer en collision frontale avec la légitimité apparente du droit libéral (grèves illégales, désobéissance civile, outrages au tribunal, etc.).
Un deuxième ensemble de liens entre démocratie et syndicalisme va plus loin : il n’y a pas d’authentique démocratie sans véritable pouvoir populaire, donc sans pouvoir des travailleuses et des travailleurs. Cette affirmation a pris plusieurs formes, sur la base d’objectifs et de stratégies différentes, allant de l’appui financier ou politique à des partis politiques à la prise du pouvoir de l’état par le biais d’une insurrection ou d’une grève générale, en passant par la constitution de fronts de lutte à caractère social, par lesquels le syndicalisme s’enracine dans les quartiers et les communautés. Cette idée s’est également incarnée dans l’aspiration chère aux anarchosyndicalistes, à une démocratie dans les milieux de travail eux-mêmes. Dès les années 1830, les ouvrières de Lowell au Massachusetts dénonçaient l’esclavage que représente le travail salarié [3]. Même sans volontés autogestionnaires, le simple fait de s’organiser au sein d’une institution ou d’une entreprise de manière à être entendu reflète déjà une impulsion démocratique : cela permet la création de liens avec des collègues sur la base d’expériences communes d’exploitation et d’oppression, mais aussi d’organisation et de résistance, qui peuvent mener à une réappropriation, même partielle, dans son milieu de travail, de son temps et de sa propre parole.
Finalement un troisième ensemble par lequel démocratie et syndicalisme sont liés relève de la nature et du fonctionnement du mouvement lui-même. En effet, pour mener ces objectifs à terme, les syndicats doivent eux-mêmes être des lieux d’avancée des idéaux démocratiques et d’expérimentation de nouvelles pratiques. L’assemblée générale est peut-être la plus belle distribution du mouvement syndical en ce domaine. Elle peut être instrumentalisée dépossédée de son plein potentiel lorsque se creuse un fossé entre l’organisation et les « organisé-e-s », mais elle offre à ses membres, au moins en germe, le potentiel de la démocratie directe.
On ne saurait sous-estimer l’importance de la démocratie interne du syndicalisme pour le développement d’un véritable rapport de forces face au patronat ou à l’état. Dès son texte de 1973, Syndicalisme de boutique, syndicalisme d’affaires et syndicalisme de combat, Jean-Marc Piotte relie ce dernier à la participation active des membres : « Seul le contrôle du syndicat par la base permet à celle-ci de s’impliquer et de se politiser. Afin que chaque syndiqué acquiert de l’expérience et développe une conscience politique, les tâches syndicales sont réparties parmi le plus grand nombre de membres » [4]. La démocratie syndicale n’est donc pas seulement un idéal à promouvoir pour qui souhaite une société plus démocratique, mais aussi un moyen par lequel le mouvement syndical développe sa légitimité et sa force. Piotte souligne aussi l’importance de l’information et de la formation pour assurer la vigueur du syndicat : « L’information transmise aux syndiqués sera contrôlée par les syndiqués eux-mêmes à l’aide d’un journal publié par le syndicat […]. Les militants verront aussi à assurer une formation complète aux travailleurs, formation tant syndicale que politique » [5] Pour l’aile combative du mouvement syndical, l’éducation populaire et politique des membres a pour objectif de donner davantage de pouvoirs aux travailleuses et aux travailleurs par le partage de la connaissance critique. Par tous ses aspects, le mouvement syndical se pense aussi comme une force démocratisante déjà en marche.
II. Mainmise conservatrice sur le syndicalisme québécois
Dans notre présentation du dossier Vivre en démocratie autoritaire publié dans À Babord, Philippe Hurteau, Ricardo Penafiel et moi-même soutenons qu’à notre époque, « la démocratie est de plus en plus réduite à ses formes les plus rudimentaires ou à ses pratiques procédurales dont le sens a été systématiquement vidé de tout contenu significatif ». Plutôt que le démantèlement de l’état, « il serait peut-être plus juste de parler de recentrage : pendant que d’un côté on coupe allègrement dans les missions de protection sociale », on assiste au « renforcement de la capacité des états à assurer leur rôle coercitif », le tout s’incarnant entre autres par une répression accrue à l’endroit des mouvements de contestation. [6]
Les politiques d’austérité s’inscrivent tout à fait dans ce processus. On n’a peut-être pas assez souligné que l’austérité est d’abord et avant tout une attaque contre la démocratie, et notamment contre les formes de démocratie mises de l’avant par le mouvement syndical au fil des siècles et mentionnées plus tôt : droits sociaux, droits politiques, pouvoir populaire dans les milieux de vie et de travail. Ce n’est pas pour rien si en Espagne, en Grèce et au Portugal, plusieurs affirment que leur pays est passé « de la dictature militaire à la dictature financière ». L’austérité reprend là en les durcissant, les axiomes centraux du néolibéralisme, ce qui est non seulement une conception néfaste du rôle de l’État et de la gestion des finances publiques, mais une charge réactionnaire contre les gains démocratiques des décennies précédentes. C’est d’ailleurs pour cette raison que la résistance syndicale aux lois spéciales est si importante : celles-ci constituent un dispositif central par lequel le néolibéralisme a pu discipliner la force démocratisante du mouvement syndical et restreindre ses avancées.
Or, les directions politiques actuelles du mouvement syndical québécois [7] n’ont pas fait la démonstration qu’elles ont saisi la radicalité de la bataille en cours : elles prennent l’austérité comme une attaque « idéologique », « à courte vue » ou « aveugle » se déployant sur le thème des finances publiques, alors qu’il s’agit d’une attaque tout à fait consciente, concertée et politique contre nos institutions démocratiques, y compris la démocratie syndicale. [8]
Plus préoccupant encore, la critique syndicale dominante de l’austérité tend à s’appuyer sur les mêmes éléments de la démocratie libérale qui ont dû être déconstruits par le passé pour obtenir des gains substantiels. Rappelons-nous, depuis l’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard, les appels répétés au dialogue social avec le gouvernement, le strict respect des règlements (la divulgation de l’itinéraire dans la manifestation, par exemple), de le refus de discuter ouvertement des problèmes des lois spéciales lors de négociations et des manières de s’y préparer, la croyance selon laquelle les élections représentent le principal vecteur de changement sur lequel miser et un indicateur fiable de « l’opinion publique » (malgré la corruption, l’absence de scrutin proportionnel, l’abstentionnisme, la concentration médiatique, etc. »). Clairement, on fait face à un attachement aux éléments les plus rudimentaires de notre démocratie culminant à la dénonciation du « cynisme » de la population à l’égard de notre système politique, un thème cher aux intellectuels conservateurs. [9] Il est symptomatique que la méfiance populaire à l’égard du régime politique en place soit abordée comme un problème, alors qu’elle devrait être perçue comme le signe d’une saine distance critique sur laquelle on peut s’appuyer.
L’idéal démocratique se manifeste d’abord et avant tout par un postulat égalitariste : tous et toutes disposent des facultés pour prendre des décisions qui les concernent. On peut difficilement être démocrate sans faire confiance au peuple, et plus spécifiquement dans le cas du mouvement syndical, sans faire confiance aux membres. « Faire confiance » ne signifie pas un rejet de toute forme de structure ou de représentation, ni que « la base », pour autant qu’on accepte ce terme quelque peu caricatural – y a-t-il une seule « base » ? – est parfaitement politisée, active et prête pour la grève sociale. Cela implique simplement, comme l’écrit Marie-Ève Rancourt, de ne « pas sous-estimer les membres. Lorsque les outils adéquats sont mis à leur disposition pour alimenter leur réflexion et que des espaces de discussion s’offrent à elles et à eux, elles et ils sont capables de débattre intelligemment et respectueusement et de proposer des solutions innovantes ». [10] Soyons clairs : les membres ne sont pas par nature à gauche. Mais rien n’est figé, et l’action collective demeure l’avenue privilégiée de politisation pour tout individu. Que l’on en soit à sa première expérience ou une militante ou un militant aguerri, c’est par la mobilisation et la lutte que l’on affine et radicalise sa compréhension de la réalité sociale et politique.
Au cours de mon implication syndicale les dernières années, j’ai été frappé par le manque de confiance fréquemment exprimé à l’endroit de notre propre mouvement et de la population en général, par plusieurs personnes à la tête du mouvement syndical. Celles-ci ne croient pas que le mouvement peut aller chercher des appuis significatifs avec un plan combatif, ni de la part de la population, ni même de la part des membres. Lorsque des militantes et des militants veulent pousser la mobilisation plus loin, on nous rappelle souvent que « plusieurs parmi nos membres ont voté pour les libéraux ou la CAQ [11] lors des dernières élections ». Ici aussi, une telle affirmation n’est pas tant posée comme un problème sur lequel se pencher, mais comme une réalité à laquelle il faut s’adapter. Au bout du compte, les dirigeantes et les dirigeants du mouvement semblent souvent articuler leurs discours de manière non pas à susciter l’enthousiasme des membres, mais à obtenir l’adhésion des élites médiatiques, économiques et politiques du Québec.
Ce serait une erreur de penser qu’une mobilisation dépassant les attentes est nécessairement souhaitée par les exécutifs nationaux. Lorsqu’effectivement des membres ont démontré qu’ils sont mobilisés au-delà des espérances, comme lorsque 30 syndicats de professeur-e-s de cégep se sont donné un mandat d’une journée de grève sociale pour le 1er mai 2015, ou lorsque les délégué-e-s de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS – CSN) ont choisi de recommander le rejet de l’entente de principe avec le gouvernement, en décembre 2015, la réaction a souvent semblée plus proche de l’inconfort que de l’enthousiasme. On tend à se méfier des membres trop turbulents parce que cela risque d’éloigner le mouvement de la posture adoptée au fil des dernières décennies, axée sur le respect des paramètres politiques institués.
Évidemment, l’appauvrissement de la démocratie syndicale relève d’une pluralité de facteurs : la contre-révolution néolibérale évoquée plus haut ainsi qu’un accroissement des connaissances médiatiques, notamment, ont graduellement mis les centrales syndicales sous pression. Néanmoins, le constat est le même que dans notre société en général : les procédures démocratiques sont en place mais perdent graduellement de leur caractère effectif. Dans le cas des négociations du secteur public, le discours syndical officiel qualifie le processus de démocratique étant donné que les demandes syndicales et les ententes de principe sont discutées en assemblée générale. Concrètement, le portrait est moins rose : à partir du moment où l’entente avec le gouvernement est conclue, on n’a pu assister à de grandes sorties médiatiques « vendant » l’entente et décrétant la fin de la mobilisation. Ensuite, l’approbation de l’entente est recommandée du haut vers le bas de la structure, d’échelons en échelon. Dans certains secteurs, les délégué-e-s minoritaires qui votent contre l’entente doivent « inscrire leur dissidence » pour conserver leur liberté de parole, autrement elles et ils doivent aussi convaincre leurs membres qu’il s’agit d’une entente satisfaisante. Loin de garantir une liberté de parole, la dissidence est un dispositif permettant d’assurer l’obéissance, en faisant plutôt reposer tout le poids de l’opinion divergente sur les épaules de la minorité critique, rappelant une chaîne de commandement militaire.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que des membres aient dit s’être sentis « utilisés comme de petits soldats ». Tel un général observant le champ de bataille, la dirigeante ou le dirigeant syndical national bénéficie d’une vue d’ensemble qui lui permet de regarder la réalité de manière plus sereine. Pendant ce temps, délégué-e-s locaux et membres attendent en vain de l’information précise sur l’état des troupes et les positions de l’adversaire. Hélas, l’information est concentrée aux plus hauts échelons ; on soutient que la transparence, la circulation de l’information et même la critique et le débat pourraient bénéficier à l’ennemi en exposant nos vulnérabilités au grand jour. Il y a bien eu la promotion d’un usage plus intensif des médias sociaux depuis quelques années, mais l’utilisation encouragée vise principalement à faire des membres les relais d’un message conçu de manière centralisée par les spécialistes des communications des organisations, plutôt que de faire appel au potentiel de ces médias pour rendre le mouvement plus décentralisé, participatif et transparent. Un président de centrale le résumait bien en 2014 : une plus grande utilisation des médias sociaux est importante « pour avoir plus de monde pour tenir les pancartes ».
C’est en regard de tous ces constats que je soutiens que le courant dominant au sein des directions syndicales québécoises actuelles promeut une approche conservatrice de la démocratie. On comprendra que l’emploi du terme « conservateur » ne vise pas à suggérer des sympathies pour la peine de mort ou le tout au pétrole, mais une perception de la démocratie bien différente de celle qui avait été décrite en première partie de l’article : une méfiance à l’égard du peuple – des membres – qui, manipulée par les démagogues de droite est emportée par les passions, ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire des choix rationnels ; une conception hiérarchique du Pouvoir et une préférence pour une prise de décision au sommet, entérinée au moment opportun ; une crainte à l’endroit des mécanismes qui rendent la démocratie effective sous prétexte qu’ils pourraient nous affaiblir face à l’adversaire ; enfin, un attachement à l’égard des traditions, des rituels et des mécanismes établis, ainsi qu’une volonté de reproduire les institutions à l’identique, autant que possible. Tous ces éléments sont bien présents à l’intérieur du mouvement syndical québécois.
III. Vers une autre conception du pouvoir
Malgré la critique des directions actuelles formulée dans la section précédente, le problème de fond m’apparaît beaucoup plus large. Plusieurs causes peuvent expliquer cet appauvrissement graduel de la démocratie syndicale et le conservatisme des dirigeants actuels est d’abord le reflet de ce processus complexe. Par ailleurs, si la situation apparaît aujourd’hui de plus en plus problématique, ce n’est peut-être pas tant parce qu’elle est nouvelle que parce que les membres sont de plus en plus exigeants à l’égard de la démocratie de leur syndicat. Les mentalités dans les milieux de travail se transforment : l’adhésion au mouvement syndical, comme l’adhésion au travail, ne peut plus être tenue pour acquise, elle doit être gagnée. « Nous l’avons toujours fait comme ça » n’est pas un argument valide pour un nombre croissant de membres – et pour plusieurs salarié-e-s des organisations, contrairement aux portraits parfois stéréotypés de « l’appareil syndical ». Le statu quo risque d’être d’une piste de moins en moins satisfaisante et la nécessité de sortir du cadre de plus en plus manifeste.
Dans l’histoire récente du Québec, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) s’est illustrée notamment par le grand soin qu’elle a apporté à ses pratiques démocratiques. Les éléments mentionnés au début ,en début d’article, à savoir la centralité de l’assemblée générale ainsi que l’effort d’information, de transparence et d’éducation ont été non seulement compris par les militantes et les militants de l’ASSÉ comme des fondements de syndicalisme de combat, mais poussés plus loin, en particulier lors des grèves de 2005 et de 2012. Mentionnons, à titre d’exemple, la divulgation de notes écrites précises prises durant les rencontres de négociation, l’introduction d’une « gardienne ou d’un gardien du senti » « lors des congrès et l’insistance sur le fait que les porte-parole ne sont pas des dirigeants. Pourtant, triste ironie du sort, l’AAÉ, malgré sa filiation affichée et assumée avec le syndicalisme, est rarement reconnue comme une organisation syndicale par les centrales.
S’il y a bel et bien poussée démocratique au sein du mouvement syndical, elle a encore de la difficulté à éclore. Peut-être a t’on trop attendu des directions qu’elles changent d’approche sous la pression des militantes des militants alors qu’il faudrait plutôt transformer dès maintenant les manières de faire pour faciliter l’appropriation du mouvement par les membres. Les structures sont en place pour un fonctionnement du bas vers le haut, mais le fonctionnement concret va encore principalement dans le sens inverse. Il faut valoriser l’autonomie des syndicats locaux et de leurs assemblées, de même que leur capacité à se coaliser de manière indépendante selon la conjoncture. Des mandats sur la base de planchers, tel que celui lancé par les professeur-e-s du cégep de Sherbrooke en vue de la grève sociale du 1er mai 2015, ainsi que des alliances construites au fil des luttes, comme la Coalition Main rouge, font sentir aux membres qu’ils ont une emprise réelle sur la direction que prendra le mouvement.
Chaque fois que cela est possible, il faut établir que les représentantes et représentants élus sont des porte-parole et non des dirigeants. Il faut promouvoir un leadership qui s’appuie sur le dynamisme du mouvement, le sollicite, l’interroge, l’inspire en vue de l’amener plus loin, saisit la réalité politique en cours et détecte les opportunités qu’elle offre.
Mais il ne s’agit pas simplement de faire élire de nouveaux leaders, une « équipe de gauche », pour que le mouvement se transforme comme par enchantement. D’ailleurs, pourquoi est-il difficile de trouver les personnes prêtes à se présenter sur un exécutif syndical ? Pour plusieurs militantes et militants, les responsabilités sont si concentrées que le choix de se présenter entraîne un emploi du temps démentiel et le sacrifice de sa vie personnelle pour des années. « C’est normal, c’est comme ça que ça se passe » diront celles et ceux qui ont choisi de faire du syndicalisme leur carrière, et qui sont donc bien placés pour prendre ces responsabilités, parfois durant des décennies. Une plus grande décentralisation rendrait le mouvement plus souple, plus pluriel, plus invitant. En limitant le nombre de mandats consécutifs, en répartissant davantage les tâches, y compris les tâches politiques (présidence de réunion, écriture d’articles, conception d’actions, prise de parole publique), on amènera les organisations syndicales à regarder en face les raisons pour lesquelles il y a des réticences à s’impliquer. Comment être véritablement inclusif ? Comment outiller et épauler les personnes hésitantes. Ces questions nous éloignent graduellement d’une approche plus machiste et compétitive du Pouvoir, qui se prend et se conquiert, avec des votes qui se gagnent au se perdent, et nous rapprochent d’une vision plus féministe et collaborative du pouvoir, qui se serait construit, se partage et se transfère. On passe du « pouvoir sur » (l’organisation, les membres) au « pouvoir de » (transformer son milieu, changer les choses). Le mouvement devient un véhicule par lequel on construit une force collective, à l’aide des contributions variées de tous et chacune.
Sans sacrifier la structure de représentation qui encadre à juste titre les syndicats, on pourrait lancer des initiatives de production en commun, plus malléables et axées sur la participation concrète des membres. Bien que le réseau Profs contre la hausse a été créé dans l’urgence de la grève étudiante de 2012 et ne représente aucunement un modèle, il s’est approché de cette conception de l’action collective en donnant à celles et à ceux qui s’y sont impliqués de forts sentiments d’appartenance, d’accomplissement et de combativité. Il faudrait s’en inspirer davantage, par exemple dans les comités de mobilisation et lorsqu’on développe des outils d’information, d’échanges et de débats. L’arrimage avec les assemblées générales et les instances décisionnelles est ici le principal défi – mais je dis bien défi, et non menace !
Bien que de tels changements impliquent une transformation graduelle de la notion de pouvoir, ils entraînent aussi une diminution du Pouvoir actuellement détenu par les dirigeantes et les dirigeants. Il ne faut pas sous-estimer ce facteur dans la résistance conservatrice aux changements que l’on perçoit de mieux en mieux au sein du mouvement syndical bien que cette résistance puisse aussi être due à une simple méconnaissance des pratiques alternatives. Il faut savoir allier l’impétuosité et la provocation au patient travail d’explication et d’organisation.