Jeet Heer, The Nation, 13 septembre 2019
Traduction, Alexandra Cyr
La revue a publié un article dévastateur contre Mme Warren la déclarant : « en retard ». Le fondement de cet argument repose sur le fait qu’on la catégorise réformiste libérale qui veut sauver le capitalisme, un objectif qui a fonctionné durant des décennies mais qui n’est plus viable. L’article affirme qu’elle : « est une candidate très différente de Bernie Sanders. Qu’elle est soutenue par un tout autre électorat. Et que, en fin de compte, il est difficile d’imaginer qu’elle puisse mettre en place le type de changements dont les États-Unis ont désespérément besoin ».
Il y a de réelles différences entre ces deux candidats. E. Warren dit qu’elle : « est une capitaliste jusqu’à l’os », alors que B. Sanders se qualifie de social-démocrate. Mais, durant le débat (12-09-19) sur les enjeux déterminants comme les soins de santé et les politiques commerciales, ils avaient clairement plus en commun qu’avec n’importe lequel ou laquelle des autres candidats.es. Ils semblaient former un duo uni contre le meneur Joe Biden. À un certain moment, Mme Warren a souri devant le jeu de mains que faisait B. Sanders en réfutant les positions de J. Biden.
J. Biden a d’ailleurs souligné cet accord entre les deux en notant que Mme Warren : a déclaré être en faveur de B. Sanders. Moi je suis en faveur de Barack ». Elle a riposté qu’elle, et par ricochet, B. Sanders voulaient bâtir à partir de ce que B. Obama avait commencé : « Nous avons tous et toutes une lourde dette envers le Président Obama qui a fondamentalement transformé les soins de santé aux États-Unis. Il a engagé ce pays dans des soins de santé pour chaque être humain….Maintenant , l’enjeu est de savoir qu’elle est la meilleure manière d’améliorer la situation ».
B. Sanders a été plus tranchant en répondant à J. Biden qui déclarait que Medicare pour tous et toutes allait coûter 30 mille milliards de dollars. « Bon Joe nous dit que Medicare pour tous et toutes va coûter 30 mille milliards de dollars. C’est vrai. Mais l’actuel statu quo va nous coûter 50 mille milliards en 10 ans », a répliqué le Sénateur du Vermont. Il est allé jusqu’à parler de : « la cupidité, la corruption et de l’enjeu de la fixation des prix (des médicaments) par l’industrie pharmaceutique ».
Il fut remarquable, qu’E. Warren qui se déclare capitaliste, ait été aussi agressive en parlant de l’industrie privée de soins de santé : « Je n’ai encore rencontré personne qui aime sa compagnie d’assurance ».
L’assurance maladie n’a pas été le seul enjeu sur lequel ces deux candidats ont fait front commun. Comme l’a noté Peter Beinart dans The Atlantic : « Comparez les réponses de Warren et Sanders à l’enjeu des politiques commerciales, à celles de K. Harris, P. Buttigieg, J. Castro et de Mme Klobuchar. La division est encore plus importante que sur celle des soins médicaux ». B. Sanders et E. Warren ont critiqué le pouvoir démesuré qu’ont les entreprises dans les traités commerciaux et ont souligné avec force que les syndicats et les environnementalistes devraient participer aux négociations (de ces traités) ». Mme Warren a insisté : « Notre politique commerciale est défaillante depuis des années parce qu’elle favorise les entreprises multinationales géantes et personne d’autres. Ce sont ces géantes qui mènent le jeu et si elles peuvent épargner un seul sou en délocalisant les emplois, elles le font en un clin d’œil, sans arrières pensées ».
Politiquement, il est astucieux pour ces deux candidats de ne pas s’attaquer mutuellement et de se centrer sur J. Biden. Selon les sondages, il est encore le meneur alors qu’ils se partagent la deuxième et la troisième place. Pour avancer, il leur faut l’abattre.
Mais il y a un autre facteur structurel en jeu. En ce moment, ils ne cherchent pas les mêmes électeurs.trices. Comme le note Jacobin, les partisans.es de Mme Warren ont en général des diplômes collégiaux et universitaires ce qui n’est pas le cas de ceux et celles de B. Sanders. La coalition de Mme Warren est plus riche et plus blanche que celle de B. Sanders. En fait, « la coalition d’E. Warren est plus blanche que n’importe laquelle des autres meneurs.euses dans ces primaires ». L’électorat de B. Sanders devrait augmenter aux dépends de celui de J. Biden alors qu’E. Warren accaparera celui de Kamala Harris ou de Pete Buttigieg. Tant qu’ils ne se battent pas pour le même électorat, ils peuvent se payer le luxe d’être gentil l’un envers l’autre.
Même si leur base est différente, ils ont la même stratégie pour avancer. Pour les deux, il s’agit de travailler pour gagner ou être en bonne position en Iowa et au New Hampshire (où se tiendront les deux premières primaires) pour assurer leur place de meneur.euse. Cela implique de mobiliser leur base réciproquement plutôt que de se faire des misères. Après cette étape, les deux devront l’élargir pour ne pas être que meneur ou meneuse mais bien déterminer qui deviendra le candidat ou la candidate qui dominera la gauche démocrate. B. Sanders devra trouver le moyen de gagner au-delà des électeurs.trices des banlieues bien éduqués.es qui lui sont allergiques en ce moment et Mme Waren devra trouver une manière de convaincre plus de cols bleus de voter pour elle. Mais cette compétition ne devrait pas apparaitre avant six mois. Les deux réfléchissent stratégiquement (en ce moment).
En dehors de la stratégie, il se peut que cela devienne un facteur idéologique. Prenant pour acquis que les deux préféreraient un.e candidat.e démocrate de gauche à la présidence plutôt qu’un.e centriste, il se pourrait qu’ils se soutiennent l’un l’autre selon qui sera en avance au printemps 2020. Dans ces circonstances, ils y auraient peu d’avantage à ce qu’ils se battent l’un contre l’autre.
La campagne de 2020 offre à l’électorat démocrate le choix entre deux candidats.es solides à gauche, avec leur coalition propre. Reste à savoir laquelle triomphera dans les primaires et obligera le candidat ou la candidate en tête à fusionner ces deux bases. Mais, comme B. Sanders et E. Warren le savent, ce n’est pas pour aujourd’hui.
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