Tiré du blogue de l’auteur.
Dans le Monde (édition du 20-21 août), Florence Aubenas décrit de la manière suivante ce qui se passe sur les Ramblas en fin de journée : "C’est là encore qu’en fin de journée, jaillis d’on ne sait où, une trentaine d’hommes déploie une bannière : "Pro-frontières, pro-nation, anti-islam". Un grand, avec une jambe de bois, exhibe un tee-shirt "Armée espagnole" et le drapeau national sur son blouson. D’autres portent les couleurs de groupuscules d’extrême droite. Sur les Ramblas, la foule se retourne d’un bloc. Elle avance vers eux, compacte, déterminée, martelant "dehors les fascistes" ou "contre la terreur de Daech la haine fasciste ne passera pas." Elle se rapproche toujours plus nombreuse, toujours plus soudée. Les crânes rasés sont dos au mur, contre la façade d’un hôtel. Alors l’un enlève sa casquette, enfile à chaque doigt d’épaisses bagues de métal et brandit haut les poings. Ses amis multiplient les doigts d’honneur. La foule s’approche encore, presque à les toucher tandis que vers la place de l’université une manifestation s’est formée d’elle-même, aux cris de "ni terrorisme, ni islamophobie". Il est presque 20 heures."
Scène politique inattendue dans ces circonstances de deuil collectif, mais si réconfortante pour tous les opposants à la montée de l’extrême droite en Europe. Scène bienvenue. Que nous dit-elle sur notre situation aujourd’hui ? Si on essaie de dépasser son caractère furtif et singulier qui est propre à tout événement, il est possible d’en saisir une signification en nous intéressant aux régularités structurelles contenues dans la scène décrite ci-dessus.
La réaction spontanée de la foule à Barcelone indique tout d’abord qu’aux yeux de plusieurs seule la politique peut sauver - littéralement - le monde. L’indifférence, le cynisme et l’apathie ambiants de notre époque n’ont pas réussi à venir à bout des cultures politiques et des mémoires des gauches d’émancipation. Les Ramblas le confirment tout autant que Charlottesville. Bien au contraire, on serait tentés de voir dans ce qui s’est passé sur les Ramblas un désir nouveau de politique, venant d’en bas et prêt à en découdre avec les adversaires de l’intérêt public. Désir nouveau d’une partie des classes subalternes européennes qui s’était déjà manifestée régulièrement dans les mouvements des places en Europe du Sud, plusieurs conflits sociaux des quinze dernières années et dans les Nuits debout en France au printemps 2016. Tous ceux impliqués dans cette transformation politique refusent désormais de s’accommoder avec le monde tel qu’il va et cherchent des voies de transformation sociale.
Ensuite, l’instabilité, les conflits et la violence ne sont pas le triste destin des régions pauvres et dominées du monde. Le destin de ces dernières est plus que jamais lié au nôtre. Même si les conflits sont concentrés dans cet "arc de crises" des diplomates, qui va de l’Afrique du Nord et le Sahel jusqu’en Asie centrale et du Sud, en passant par le Moyen-Orient, ils ont des impacts multiformes sur le monde entier. La politique aujourd’hui commence donc avec le monde. Aussi étrange que cela puisse paraître à certains, les enjeux liés à la guerre en Syrie, par exemple, deviennent aujourd’hui aussi importants nationalement dans les pays européens que les enjeux strictement nationaux comme les échéances électorales, les réformes et contre-réformes, etc.
Enfin, la vitesse à laquelle l’instabilité et la violence se propagent dans le monde semble être plus élevée qu’auparavant. Les dirigeants du monde, et plus largement les classes dirigeantes des puissances mondiales, dominent le monde sans toutefois le maîtriser. Les conflits et leurs dynamiques d’extension semblent clairement les dépasser à tel point que la guerre apparaît comme omniprésente à l’échelle du monde.
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