Alors que le gouvernement tarde à dévoiler les modalités de la grande discussion collective à laquelle le premier ministre a convié le Québec, nous attendons avec impatience la réponse du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, concernant la demande de confier un mandat d’enquête et d’audiences publiques au BAPE.
Nous avons entendu l’opinion du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, qui s’est dit défavorable à l’idée d’un BAPE sur l’énergie sous le prétexte qu’un BAPE « prend deux, trois ans », ce qui est faux. Néanmoins, cette décision ne lui appartient pas puisqu’elle relève du ministre de l’Environnement en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement. De plus, faut-il le rappeler, la Loi visant principalement la gouvernance efficace de la lutte contre les changements climatiques et à favoriser l’électrification confère au ministre de l’Environnement la responsabilité « de coordonner l’ensemble de l’action gouvernementale en matière de lutte contre les changements climatiques »1.
La décarbonation du système énergétique québécois n’est donc d’aucune façon un dossier que le ministre de l’Économie et de l’Énergie peut prétendre piloter en solo. Cela est fort approprié car le développement éventuel d’au moins 100 TWh supplémentaires d’électricité – qu’elle soit de source éolienne, hydroélectrique ou solaire –, ainsi que la production de centaines de millions de mètres cubes de gaz naturel dit renouvelable, comporteraient des enjeux environnementaux et sociaux de grande importance. Or, pendant qu’on attend de savoir quels seront les paramètres du débat de société promis sur l’avenir énergétique, le dossier évolue à vitesse grand V.
Le remplacement imminent des deux plus hautes dirigeantes d’Hydro-Québec – Jacynthe Côté, présidente du conseil d’administration et Sophie Brochu, présidente-directrice générale – se prépare en fonction d’orientations futures qui n’ont pas été soumises au débat public. Et, alors qu’Hydro-Québec n’a jamais officiellement endossé l’idée de harnacher de nouvelles rivières et qu’aucune évaluation n’a été faite du potentiel de compression de la demande d’électricité via des politiques publiques ambitieuses encourageant la sobriété énergétique, la toute première proposition faite aux Tables régionales de la CAQ en prévision du Conseil général 2023 du parti, qui aura lieu en mai prochain, est « de préconiser la construction de nouvelles centrales hydroélectriques pour réussir l’électrification du Québec ».
Il s’agit d’une manière bien cavalière d’entamer le virage historique auquel le Québec est convié. Le premier ministre a-t-il invité les Québécoises et les Québécois à une grande conversation, ou seulement les membres de son parti ?
Nos choix énergétiques auront des impacts majeurs sur les territoires appelés à accueillir des infrastructures d’énergies renouvelables. Ils se répercuteront sur les cours d’eau et les écosystèmes qui font littéralement vivre ces territoires ainsi que sur la santé et la qualité de vie des populations qui y habitent. Ils sont inextricablement liés aux modes de production, de consommation, d’habitation et de déplacements qui contribuent à faire du Québec un « ogre énergétique ». De plus, ils devront être adaptés aux réels besoins de développement socio-économique des communautés. En d’autres termes, ces choix seront extraordinairement complexes, porteurs de controverses et déterminants.
C’est pourquoi le débat sur la manière de décarboner le Québec doit engager toutes les parties prenantes, y compris la société civile de toutes les régions, les experts et scientifiques, les milieux de travail qui en subiront les impacts, les communautés autochtones, les populations les plus vulnérables et celles qui sont en situation de précarité énergétique. Il doit aborder le dossier dans sa globalité en tenant compte de l’urgence de nous affranchir des énergies fossiles, assurément, mais aussi des contraintes posées par l’épuisement des ressources et l’effondrement de la biodiversité, des enjeux touchant la main-d’œuvre, des droits des peuples autochtones et des problématiques d’acceptabilité sociale. Il doit inclure une réflexion lucide sur le rôle de la tarification et de la réglementation dans une optique d’efficacité, mais aussi de justice sociale.
Il est temps pour le ministre de l’Environnement de jouer pleinement son rôle afin de lancer l’indispensable débat de société sur l’avenir énergétique du Québec, qui dépasse largement le champ de vision du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.
Signataires
Anne-Céline Guyon, chargée de projet experte climat, Nature Québec
Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ
Elisabeth Gibeau, coordonnatrice générale, Front commun pour la transition énergétique
André Bélanger, directeur général, Fondation Rivières
Patrick Gloutney, président du Syndicat canadien de la fonction publique, Québec
Carole Dupuis, porte-parole, Mouvement écocitoyen UNEplanète
Bruno Detuncq, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales, Équiterre
Jean-François Boisvert, président, Coalition climat Montréal
Eric Pineault, professeur, Institut des sciences de l’environnement, UQAM
Maude Prud’homme, Réseau québécois des groupes écologistes
Jean-Pierre Finet, porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie
Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie, Greenpeace Canada
Notes
1. Gouvernement du Québec, Adoption du projet de loi no 44 : Une gouvernance efficace et responsable pour répondre à l’urgence climatique et créer de la richesse, 22 octobre 2020
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