Le lendemain de cette annonce, lors d’un déplacement à Las Vegas dans le Nevada, Barack Obama, vantant l’apport de l’immigration, s’est réjoui que le pays soit « enfin à un moment où une réforme complète est à portée de main ». En 2010, sa précédente initiative avait échoué. À l’occasion de son discours d’investiture le 21 janvier, il avait estimé : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nous n’aurons pas trouvé une meilleure façon d’accueillir les immigrés pleins d’espoir qui voient les États-Unis comme le pays du possible, tant que de brillants jeunes étudiants et ingénieurs ne seront pas enrôlés dans nos effectifs plutôt qu’expulsés de notre pays. »
Les nombreux articles du LA Times témoignent de l’élan suscité par le compromis auquel ont abouti les élus, notamment son éditorial, « La réforme migratoire, maintenant », sa chronologie des tentatives précédentes, son article vu de Mexico, sa tribune sur les républicains qui redécouvrent les vertus de l’immigration et son reportage sur la satisfaction des fermiers californiens. À lire également l’éditorial du New York Times, « Une meilleure réforme migratoire ». Même le très libéral Wall Street Journal salue une avancée, preuve que les entreprises trouvent leur avantage dans ces régularisations.
Barack Obama ne ménage pas ses efforts pour convaincre au-delà de son propre camp. D’où son insistance à rappeler que la mise en œuvre de sa promesse de campagne répétée (en 2008 et en 2012) n’empêchera pas Washington de poursuivre sa politique répressive. Le président a ainsi rappelé qu’il entendait « continuer à renforcer la sécurité aux frontières » et « réprimer plus durement les entreprises qui embauchent en connaissance de cause des sans-papiers ». Des propos qui semblent rassurer le Washington Post qui s’inquiète de savoir si les frontières sont suffisamment hermétiques.
Signe d’une prise de conscience générale, les démocrates ne sont plus seuls à défendre une régularisation globale. « Nous avons profité trop longtemps de ces gens pour tondre nos pelouses, servir la nourriture, nettoyer la maison et même garder nos enfants, sans leur accorder le moindre des avantages qui font que ce pays est formidable. Tout le monde s’accorde à dire qu’il n’est pas bon que ces gens se cachent dans l’ombre », a indiqué John McCain, sénateur d’Arizona et candidat républicain malheureux à l’élection présidentielle de 2008.
L’accès aux droits n’est toutefois pas son unique préoccupation. Pour lui comme pour d’autres, l’enjeu est aussi, et sans doute prioritairement, électoraliste. Selon les statistiques publiées le 31 janvier par le Département américain de prospectives financières, la population latino-américaine devrait dépasser celle des Blancs d’origine non hispanique au début de l’année prochaine en Californie, l’État le plus peuplé des États-Unis. Vers 2060, elle constituera presque la moitié des habitants.
À l’échelon du pays, les latinos sont devenus la première minorité et ont constitué 16 % de l’électorat aux élections de novembre 2012. Noirs, latinos et Asiatiques constitueront près d’un électeur sur trois dès 2020. Ils seront majoritaires à l’horizon 2050, alors que les Blancs représentaient encore 90 % du corps électoral au début des années 1980. Les détails de cette révolution démographique sont à retrouver dans une enquête du Monde publiée en août dernier et consacrée au « big-bang ethnique aux États-Unis ». L’infographie montre l’influence politique grandissante des minorités.
« Cette fois, le Congrès va agir »
Les bouleversements actuels n’ont pas échappé aux élus américains. Les résultats de l’élection de 2012 ont achevé de persuader ceux qui doutaient encore : les latinos ont voté à 71 % pour Barack Obama et à 27% pour Mitt Romney, alors même qu’ils partageaient certaines positions du candidat républicain, pesant sur la réélection du démocrate. Traiter avec bienveillance les immigrés en situation irrégulière est une manière, parmi d’autres, de s’attirer leur vote. Membre du groupe des huit, le sénateur républicain d’origine cubaine Marco Rubio, proche du mouvement ultra-conservateur du Tea Party, ne perd pas cela de vue. Nourrissant quelques ambitions pour l’échéance de 2016, il sait qu’un soutien à une réforme de l’immigration peut être indispensable pour récupérer une partie du vote des minorités.
Sénateur démocrate, Chuck Schumer compte quant à lui sur les intérêts bien compris de chacun pour avancer : « Cette fois, le Congrès va agir. Pour la première fois, il y a plus de risque politique à s’opposer à une réforme de l’immigration qu’à la soutenir. »
Des obstacles à la réalisation de cette prophétie existent, le principal étant que la Chambre des représentants dominée par les républicains va devoir approuver un texte dans les mêmes termes que le Sénat aux mains des démocrates. Mais, outre le basculement démographique, la réforme bénéficie d’un autre élément de contexte : la moindre pression de l’immigration illégale aux frontières ces dernières années. Le Département de la sécurité intérieure estime que le nombre de sans-papiers, principalement originaires du Mexique, du Salvador, du Guatemala et du Honduras, a baissé d’environ 300 000 entre 2007 et 2011.
Selon un rapport du Pew Hispanic Center publié en mai dernier, les Mexicains seraient désormais plus nombreux à quitter les États-Unis qu’à y entrer (à lire l’article du Washington Post). Pour la première fois depuis quarante ans, les arrivées seraient en recul, en raison notamment du peu de débouchés sur le marché du travail américain, en priorité le secteur du bâtiment, de la relative bonne santé de l’économie mexicaine et de la diminution du taux de natalité au Mexique. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme le renforcement des contrôles aux frontières et l’augmentation du nombre des retours forcés. Quels qu’en soient les motifs, ce renversement de tendance inédit depuis la Grande Dépression enlève aux conservateurs leurs arguments ultra-défensifs.
En attendant que la réforme se concrétise, de nombreuses incertitudes subsistent. Le tempo est encore indéterminé. Les élus leaders sur ce dossier ont évoqué la rédaction d’une proposition de loi pour mars, en vue d’une adoption au début de l’été. Ce qui apparaît très optimiste, y compris aux yeux du président qui a prévenu que « plus on se rapprochera (de cette date), plus ce débat suscitera les passions ». Mais « nous ne pouvons pas laisser la réforme de l’immigration s’enliser dans un débat sans fin », a-t-il en même temps indiqué. Lors d’un entretien avec la télévision américaine en espagnol Univision le 30 janvier, Barack Obama a rappelé que la seule façon d’aboutir « sera si les républicains continuent à travailler avec les démocrates dans les deux Chambres du Congrès, pour qu’un projet de loi arrive sur mon bureau ». Autrement dit, de la bonne volonté et des compromis autour de bénéfices partagés.