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États-Unis

Aux États-Unis, la mortalité est en hausse parmi les Blancs les moins éduqués

Stéphane Lauer est correspondant à New York du journal, Le Monde (France), mardi 03 novembre 2015

Le taux de mortalité de la population blanche américaine la moins éduquée, âgée de 45 à 54 ans, a augmenté de façon inédite au cours de la dernière décennie, indique une étude publiée, lundi 2 novembre, par la National Academy of Sciences. La tendance est d’autant plus spectaculaire que, dans le même temps, ce taux continuait debaisserau sein des minorités noires et hispaniques. A l’origine du phénomène, une augmentation des suicides et des pathologies liées à la drogue et àl’alcool au sein de la population blanche. Cette étude est le fruit des travaux de deux économistes de l’université de Princeton (New Jersey) : Angus Deaton, qui vient de recevoirle prix 2015 de la Banque centrale deSuède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, et Anne Case, qui est par ailleurs son épouse.

Les deux universitaires sont arrivés à ces conclusions par hasard, alors qu’ils étudiaient la corrélation potentielle entre le sentiment de bonheur d’une population donnée et le taux de suicide. En passant en revue les statistiques de mortalité et de morbidité, ils se sont rendu compte que le taux de décès au sein de la population blanche n’ayant pas poursuivi d’études au-delà du lycée a augmenté entre 1999 et 2013 de 134 morts pour 100 000 individus. « Ce changement va à l’encontre de décennies de progrès en termes de mortalité et est propre aux États-Unis : aucun autre pays riche n’a connu un retournement similaire », indiquent les deux chercheurs. L’amélioration du taux de mortalité de la population blanche avait bien connu une pause dans les années 1960 avec notamment l’explosion de la consommationdetabac, mais « dans l’époque contemporaine, seul lesidaa provoqué quelque chose de similaire », note M. Deaton.

Insécurité économique

Même si la tendance s’est inversée pour la population blanche, le taux de mortalité (415 pour 100 000) reste encore inférieur à celui constaté dans la population noire (581). En revanche, il est désormais très supérieur à celui de la population hispanique (262). Pour les populations blanches qui ont accédé à l’université, le taux de mortalité a tendance à baisser, alors qu’il augmente de 22% lorsque les études n’ont pas été poursuivies au-delà du lycée. L’étude démontre très bien par ailleurs qu’il s’agit d’un phénomène générationnel. Ainsi, le taux de mortalité chez les Blancs non hispaniques âgés de 65 à 74 ans, lui, a continué de baisser de 2% entre 1999 et 2013.

L’explication de cette progression de la mortalité chez les 45-54 ans les moins éduqués est encore plus troublante que le phénomène lui-même. L’étude démontre ainsi qu’une telle augmentation ne peut pas trouverson origine dans une simple hausse du nombre de maladies cardiaques ou liées au diabète. Elle résulte non seulement d’un bond des suicides, mais aussi de la forte progression des pathologies liées à l’usage de la drogue et de l’alcool. Cette causalité rapportée à l’origine ethnique a connu un spectaculaire retournement au cours de la dernière décennie. Alors qu’en 1999, le taux de mortalité lié à l’alcool et à la drogue constaté au sein de la population noire était supérieur à celui enregistré chez les Blancs, en 2013 on constate exactement l’inverse.

L’étude montre également, que contrairement aux plus jeunes et aux plus âgés, les 45-54 ans se plaignent beaucoup plus fréquemment qu’avant de douleurs. Entre 2011 et 2013, un tiers déclare souffrirainsi de douleurschroniques et un sur sept est sujet à la sciatique. Des symptômes qui suivent une courbe parallèle à l’augmentation de la mortalité.

Montants futurs des retraites

Dans le même temps, les maladies mentales et les demandes de pension d’invalidité n’ont cessé d’augmenter. L’explosion des pensions d’invalidité, qui ont bondi de 30 % pendant la crise, constitue l’un des facteurs explicatifs de la chute du taux de participation au marché de l’emploi, qui, aux États-Unis, est tombé à son plus bas niveau depuis les années 1970.

Le facteur économique est d’ailleurs très présent dans l’étude d’Angus Deaton et Anne Case, qui évoquent notamment le fait que le fameux « rêve américain » est de plus en plus difficile àréaliser pour cette catégorie de la population. D’abord, ils constatent que les revenus des ménages où le chef de famille n’a pas poursuivi d’études au-delà du lycée a chuté de 19% entre 1999 et 2013. « Bien que l’épidémie de suicides, d’overdoses et d’augmentations des douleurs ait commencé avant lacrise financière, il est possible d’établir un lien avec l’insécurité économique », avancent les auteurs. « Après le ralentissement de la productivité dans les années 1970, et avec le creusement des inégalités de revenus, beaucoup de gens au sein de la génération du baby-boom ont été les premiers àconstater que, vers la quarantaine, leur vie n’allait pas êtremeilleure que celle de leurs parents », ajoutent-ils.

L’étude souligne également l’angoisse grandissante par rapport au niveau de retraite que cette population peut espérer toucher dans quelques années. « Les États-Unis se sont orientés principalement vers des systèmes de pension par capitalisation liés aux aléas des marchés boursiers, tandis qu’en Europe, le régime de retraite à prestations déterminées est encore la norme », indiquent les auteurs, qui soulignent que l’impact de cette « insécurité économique » liée aux montants futurs des retraites pourraitjouer un rôle dans cette inédite augmentation des taux de mortalité.

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