Les coupures toucheront des programme de soutien à la tournée mais aussi le financement au fonctionnement de petits organismes artistiques et aux regroupements qui fournissent des services aux artistes. La ministre souligne que le budget du CALQ n’a été touché que pour 2,34% de son budget, bien moins que la plupart des organismes coupés dans d’autres secteurs de la société. Elle pousse l’audace jusqu’à affirmer que le budget du CALQ a augmenté de plus de 10 millions$ alors que tous savent que la grande partie de cet argent nouveau ira à l’Orchestre symphonique de Montréal.
D’autres coupures ont été révélées dans la foulée de cette annonce. Par exemple, la grande bibliothèque du Québec verra son personnel amputé de 22 personnes. Les conseils régionaux de la culture seront fortement touchés mais peu de chiffres officiels circulent.
Le MAL dénonce la volte-face de la ministre
Le Mouvement pour les arts et les lettres (MAL) réplique en exigeant une rencontre avec la ministre. « Cette coupe dans les crédits du CALQ est un événement historique : elle frappe dur et vise pour la première fois les programmes de base. Elle contraste avec les propos de la ministre lors du dernier budget, assurant que les crédits de son ministère et du CALQ étaient préservés. Il s’agit clairement d’une volte-face », a dénoncé l’écrivain et porte-parole du Mouvement pour les arts et les lettres, Stanley Péan. Le MAL soutient en outre que Québec reprend d’une main ce qu’il avait donné de l’autre puisque les 2,5 millions retirés des programmes de base du CALQ équivalent aux sommes allouées à la stratégie culturelle numérique. (1)
Le MAL dénonce aussi le fait que le couperet tombe des mois après l’adoption du budget et l’étude des crédits en commission parlementaire. Pour Stanley Péan, il y a quelque chose de « sournois » dans cette annonce. « Je comprends que l’annonce a été faite à ce moment-là pour qu’elle soit enterrée dans les nouvelles de la Saint-Jean-Baptiste, mais ça en dit long sur une sorte de cynisme politique », lance M. Péan. (2)
Le MAL s’appuie sur une étude de la Chambre de commerce de Montréal pour démontrer que « le cœur créatif, fondation de tout l’édifice culturel, est encore plus mal en point qu’il ne l’était il y a 5 ans, avec des artistes, interprètes et auteurs dont le revenu moyen n’est que de 23 500 $ (par rapport à 43 500 $ en moyenne pour tout le secteur culturel) et qui a reculé de 4 % entre 2008 et 2013. » (3)
Pourtant, l’organisme se disait rassuré par le budget Leitao qui assurait le statu quo et rétablissait les crédits d’impôt aux organismes culturels. (4) L’année précédente, il applaudissait les mesures comme la création du Fonds Avenir Mécénat Culture qui recevait 5 millions$ comme fonds de départ confirmant l’orientation du financement privé des arts. Le communiqué du 4 juin 2014 poursuit : « les crédits de quelque 4,2 millions de dollars accordés au CALQ pour soutenir la diffusion internationale – et ayant été mis en place pour compenser les coupes conservatrices de 2008 des programmes fédéraux Routes commerciales et Promart – seraient rendus permanents. Une possible réduction de ces crédits faisait partie des inquiétudes du Mouvement. » (5) Une année plus tard, ce sont ces crédits qui viennent de disparaître... Et le MAL se limite à une opposition verbale sans risque pour les libéraux qui n’ont rien à craindre de cette montée aux barricades.
Les réactions timides de l’opposition parlementaire
Pour le chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, ces compressions illustrent que le gouvernement de Philippe Couillard « ne croit pas à cette richesse culturelle ». Pourtant le PQ n’a pas à se péter les bretelles car il a renié son engagement de « redresser le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) en ajoutant 13 millions de dollars ». (6) Le PQ, tout comme les libéraux, s’inscrit dans la politique instrumentalisante des arts pour maintenir le secteur dans l’économie marchande tout comme les autres partis néolibéraux. Les arts ne sont pertinent que s’ils contribuent à faire tourner la machine à piastre, que ce soit dans la restauration, l’hôtellerie ou autres. Autrement, le secteur et ses acteurs et actrices sont soumis aux mêmes remèdes que ce qui n’est pas rentable à leurs yeux.
La députée de Québec solidaire Manon Massé considère pour sa part que le moment est venu pour la population québécoise de signifier au gouvernement libéral qu’il va trop loin. (7) Trop loin ? À quel moment est-ce trop ou pas assez. Cette formulation pas très habile laisse croire que pour la formation de gauche, des coupures pourraient être acceptables si elles ne franchissent pas un certain seuil. Un débat sur la place des arts dans une société solidaire est à l’ordre du jour du prochain congrès d’orientation de QS. Alors souhaitons que le parti saura démêler ces enjeux...
Certains intervenantEs du milieu vont jusqu’à demander la démission de la ministre (8) Rien pour faire reculer la ministre de la culture et le gouvernement Couillard dans ces trop timides réactions. Seul une mobilisation du milieu peut contraindre les libéraux à faire marche arrière.
Dénoncer l’austérité, réagir avec fermeté
Les mobilisation récentes des syndicats et des étudiantEs contre les politiques d’austérité ont démontré une capacité de résistance de plusieurs secteurs de la population. Toutefois, contrairement au printemps 2012 ou les mobilisations contre les conservateurs en 2008, le milieu artistiques est étrangement absent. À quand remonte la dernière mobilisation de rue des artistes et des salariéEs du secteur en faveur de l’augmentation des budgets publics en provenance du gouvernement du Québec ? Après les échecs pour bloquer les politiques conservatrices à Ottawa, verra t-on les libéraux québécois imposer le même crédo : tout le développement du secteur repose dorénavant sur l’apport du privé.
Il s’agit-là de l’aboutissement des dérives marchandes imposées par les gouvernement successifs, péquistes comme libéraux : on veut faire la part grande au privé et on souhaite le retrait relatif de l’Etat du secteur ; le secteur culturel est jugé selon des indicateurs (profits, rendement, productivité, promotion touristique, etc.) calqués sur le privé ; le secteur est de plus en plus concentré – à peine quelques « joueurs » (Evenko, Quebecor, Renaud-Bray, etc.) - ce qui contribue à marginaliser les véritables créateurs et à imposer un modèle unique aux arts ; les conditions de vie des artistes demeurent problématiques et ils-elles sont les derniers dans la « chaine alimentaire ».
Certains regroupements d’artistes ont collaboré à cette dérive. D’importantes entreprises culturelles y ont contribué. Ils parlent de plus en plus souvent le même langage que les néolibéraux sur la place du privé dans le développement des arts, sur le mécénat, sur la capacité d’attraction des artistes dans le tourisme, sur les retombées économiques générées par le secteur.
Lutter contre les mesures austéritaires des libéraux (et des péquistes) est un devoir de tout regroupement qui prétend représenter le secteur des arts. La façon d’y parvenir dépend toutefois des buts que l’on se fixe à la ligne de départ. Souhaiter le rétablissement des crédits coupés récemment peut être un objectif tout à fait louable. Mais en rester là fait en sorte que la question se posera de nouveau parce que les arts ne seront qu’un autre poste budgétaire dont la pertinence est jugée à l’aune de la rentabilité par les néolibéraux et leurs complices dans le secteur.
Notes
1- http://www.mal.qc.ca/nouvelle.php?n=86
4- http://www.mal.qc.ca/nouvelle.php?n=85
5- http://www.mal.qc.ca/nouvelle.php?n=84
6- http://www.mal.qc.ca/nouvelle.php?n=80
7- http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/06/24/opposition-insurge-coupes-culture_n_7655398.html
8- http://www.mesopinions.com/petition/politique/demission-madame-helene-david/14679