Tout récemment, un rapport du Forum de Davos plantait bien les préoccupations qui viennent troubler le sommeil de cet ensemble de leaders : l’insécurité et les nouveaux risques découlant d’une mondialisation débridée et d’un monde de plus en plus complexe. Parmi ces risques, celui de l’accessibilité à l’eau et à l’énergie, ainsi que la crise alimentaire mondiale qui fait trembler de nombreux gouvernements.
Amochés par une crise économique majeure, les États et la communauté internationale ne peuvent plus compter sur une capacité de réponse suffisante pour juguler des crises qui se succèdent à un rythme accéléré. Après le Forum de Davos, s’ouvrira l’autre Forum mondial à Dakar, le Forum social celui-là. Les altermondialistes qui y seront rassemblés pourront sans doute y rétorquer « nous vous l’avions dit... » et rappeler que, tels des Cassandre, ils avaient entrevu où la mondialisation et la libéralisation des échanges pouvaient nous mener. Ils y seront pour proposer une vision tout autre de l’avenir économique autant que social de notre planète.
De Québec à Davos : protéger nos systèmes publics d’eau
Le Premier ministre Charest et le ministre Gignac ont déjà annoncé leur participation au Forum mondial. Au Forum de Davos, faut-il le préciser. Avec quel mandat s’y rendront-ils ? Bonne question. Les plus cyniques diront sans doute qu’ils chercheront à rassurer les investisseurs pour éviter le déménagement d’entreprises qui, comme Électrolux, comptent actuellement sur les largesses de l’État québécois et n’attendent que la bonne occasion pour aller faire des affaires ailleurs.
Comme ils nous y ont habitués, ils jaseront sans doute commerce. L’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne figurera sans doute au coeur des préoccupations de la délégation québécoise. Espérons-le, parce qu’en cette matière, les gouvernements québécois autant que canadien n’ont pas annoncé leurs couleurs clairement. Quels compromis nos gouvernements sont-ils prêts à faire pour élargir leur accès aux lucratifs marchés européens ?
Derrière des portes closes, les gouvernements d’Europe et du Canada sont actuellement en train de négocier cet accord commercial dont les effets pourraient être immenses. Devant le blocage des négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce et face à l’échec de l’intégration continentale, cet accord contournera une fois de plus l’espace public pour se discuter dans la même culture du secret.
L’une des cibles de cet accord : les systèmes publics d’aqueduc et de traitement des eaux. Les multinationales européennes des eaux travaillent fort en coulisse pour que les provinces et les municipalités du Québec et de l’ensemble du Canada cèdent la gestion publique au secteur privé. Le Conseil des Canadiens et le Syndicat canadien de la fonction publique ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme. Les rondes précédentes de négociations avaient toujours vu des gouvernements canadiens et québécois agir avec prudence de manière à protéger ces réseaux publics. Or, il semblerait que cette fois-ci, les négociateurs canadiens veuillent y aller plus gaiement et aient perdu leurs inhibitions.
Les arguments qui vont à l’encontre de cette privatisation sont pourtant légion, à commencer par l’histoire récente. Les expériences de privatisation se sont soldées par des échecs et bien des villes, comme Bruxelles, prennent plutôt la voie inverse et remunicipalisent des systèmes de gestion des eaux passés au privé. Les accords commerciaux représentent autant d’obstacles légaux qui réduisent le pouvoir du public à réparer les pots cassés. Privées de bien des marchés publics alléchant, il n’est donc pas surprenant de voir ces entreprises forcer la main de pays étrangers afin d’y déployer leurs « expertises »...
Faut-il le rappeler, l’eau est un droit vital. En confier la gestion au secteur privé, c’est ouvrir la porte aux malversations et aux pratiques douteuses, comme la saga du contrat sur les compteurs d’eau a su le démontrer avec fracas à Montréal. Advenant la signature d’une entente avec l’Union européenne qui ouvrirait ces marchés publics au secteur privé, le Québec se priverait surtout du droit de revenir en arrière. Puisque la libéralisation et la privatisation de notre patrimoine collectif est une voie à sens unique qui ne saurait profiter au plus grand nombre, le peuple québécois ne saurait tolérer une telle culture du secret. À la marchandisation de l’eau, opposons la vigilance et la mobilisation citoyennes et politiques.