Revenons au débat du jour que Trudeau a centré autour des « valeurs canadiennes ». Je n’oserais même pas penser à ce qu’il veut dire en substance. J’ai des petits doutes à l’effet que son armée de « spins » lui a fait un séminaire ou deux avec plein des powerpoints. M’enfin…
Prenons l’exemple de la crise des réfugiés. Nos médias sont extasiés : le gouvernement Trudeau, enfin, va ramener le Canada dans le concert des pays « civilisés ». Il sera « généreux », « tolérant » et « ouvert sur le monde » et il ne sera pas, disent-ils, comme le méchant Harper. Personne à ma connaissance n’a pris la peine d’examiner ce qui se faisait effectivement dans les longues années où les Libéraux ont été au pouvoir, mais OK, on peut dire qu’ils n’ont pas le temps de revenir là…
Mais, au moins, on pourrait espérer qu’ils posent des questions sur ce qui se passe maintenant !
Par exemple, on estime qu’environ 40 000 réfugiés par jour essaient d’attendre l’Europe. Oui, vous avez bien lu, 40 000 par jour, ce qui fait 1,2 million par mois. D’ici la fin de l’année, on estime que plus d’un million d’entre eux seront effectivement rendus en Allemagne ou en Autriche. C’est sans compter bien sûr, les milliers qui ne se rendront pas, qui seront morts en route, incarcérés, expulsés. Est-ce tout ? Bien sûr que non. En Turquie, au Liban, en Jordanie, en Iran, il y aurait (estimés approximatifs) au moins 10 millions de réfugiés irakiens, syriens, afghans, érythréens, tunisiens, etc.
Alors, à moins que je ne sache pas calculer, qu’est-ce que vient faire dans cela le chiffre de 25 000 réfugiés ? Est-ce une erreur ? Une mauvaise blague ? Une tentative de cacher l’inaction ? Non mais franchement …
Les avocats du diable pourraient dire qu’on ne peut pas en absorber plus. C’est certainement faux, mais admettons que la solution à la crise ne peut pas être simplement d’inviter les millions de personnes sur les routes à quitter leur pays. Que faire alors ?
Et bien, cela renvoie à d’autres questions politiques et géopolitiques. Une très grosse partie de la crise en Syrie, en Irak, en Afghanistan, découle de la guerre « sans fin » déclenchée par Bush fils en 2002. Dans le sillon de cet échec lamentable sont survenues des politiques absolument ignobles dont le principe de base est simplement : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Par exemple, l’Arabie saoudite qui soutient les factions islamistes radicales est notre ami, puisqu’elle s’oppose à l’Iran, qui est supportée par la Russie et la Chine. Les Talibans, nos « amis » avant 2001 (ils avaient combattu les Soviétiques) sont devenus nos ennemis après 2001 et nos « amis » afghans sont devenus les seigneurs de la guerre qui sont par ailleurs les trafiquants de drogue dans la région. Le régime répressif en Turquie, c’est aussi notre ami, car la Turquie fait partie de l’OTAN, un dispositif mis en place à l’époque de la guerre froide et qui sert encore à encercler la Russie.
Les États-Unis veulent s’assurer, cela fait au moins 50 ans qu’ils le répètent, de contrôler cette région stratégique dont l’importance géopolitique et géoéconomique (ressources) est énorme. Pas question de céder un centimètre de ce contrôle aux autres puissances, encore moins aux « émergents » comme la Russie et la Chine. C’est cela le nœud central.
Le Canada, fidèle allié-subalterne des États-Unis, accompagne cette stratégie funeste de Washington. Nos « amis » sont l’Arabie saoudite, l’Iran, la monarchie féodale en Jordanie, des factions islamistes (quand elles ont la bonne idée de combattre des régimes récalcitrants comme en Syrie et en Irak). On appuie nos amis politiquement, on les arme et on les militarise également. Au cœur de ce dispositif américain se trouve l’État israélien, « gendarme » régional par excellence, surveillant tout ce qui bouge et surtout empêchant quiconque veut ramener la paix et la justice dans ce coin du monde. Pour Ottawa, l’appui à Israël est non-discutable.
Les gouvernements libéraux antérieurs à 2006 ont rempli la « commande » à ce niveau, quitte à faire des déclarations et des entourloupettes de temps en temps. Ils ont été loyaux par rapport aux objectifs fondamentaux de la stratégie américaine et donc, ils sont responsables du trou noir dans lequel tout le monde, y compris les États-Unis d’ailleurs, se retrouvent aujourd’hui. Qu’est-ce qu’on a dit sur cela maintenant ? Les quelques misérables F-18 canadiens seront retirés des opérations de bombardement autant inutiles que destructrices, mais on pourra « aider » nos « amis » à être de meilleurs soldats.
C’est pathétique…
Je ne terminerai pas en disant que la sortie de cette impasse sera facile. Les dommages ont été faits. Les diverses factions et régimes sont ultra militarisés et insensibles à la souffrance de leurs propres peuples. Ici et là, il y a quelques poches de dignité humaine et le moins qu’on pourrait faire, cela serait de les appuyer. À court terme également, il faudrait accueillir plus des réfugiés et svp, pas seulement 25 000 !
Quant au long terme, il faudra porter la croix et la bannière pendant longtemps, mais commencer le long voyage inclut de faire le premier pas. Par exemple, forcer l’État israélien à une démilitarisation et à un retrait des territoires occupés, sous supervision de l’ONU (on ne peut se fier à la bonne volonté, encore moins avec le gouvernement d’extrême droite actuel). Suspendre immédiatement les ventes d’armements à et les liens militaires avec la dictature saoudienne, au régime turc et aux autres « gouvernements » que personne n’a élu (l’Égypte par exemple). Ouvrir un dialogue régional avec les autres puissances actives dans la région, à commencer par la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde, pour imposer dans un avenir plus ou moins rapproché un arrêt des hostilités qui serait une étape nécessaire pour remettre sur les rails un processus de paix et une véritable démilitarisation de toute la région, ce qui sera terriblement compliqué et long.
Avec Justin et les Libéraux, cela prendrait un miracle pour qu’on puisse même discuter de cela sérieusement. Mais en attendant, du côté des médias et des « experts », on n’est pas obligés de jour les tartuffes et d’applaudir des mesures cosmétiques qui en fait sont de véritables insultes pour les premiers gens concernés et pour nous tous en fin de compte.