Tiré du Journal des alternatives.
Pourtant, ce genre d’histoires étaient bien connues. Seulement, elles étaient transmises par des rumeurs et se heurtaient aussi à des préjugés selon lesquels, pour exercer des métiers reliés au show business, il faut avoir des mœurs légères pour une femme, alors qu’un homme puissant peut se réserver un droit de cuissage. Pendant très longtemps, le métier de comédien, par exemple, était associé à de la débauche.
Mais entre les qu’en-dira-t-on et les révélations troublantes qui ont été transmises, un pas important à été franchi. Malgré certains écarts inévitables, les victimes sont plus entendues, respectées, soutenues qu’elles ne l’ont été auparavant. Les agresseurs quant à eux sont durement dénoncés.
Le bilan de ces derniers est particulièrement lourd depuis quelques années, avec le cas de Jian Ghomeshi au Canada, et ceux très troublants de Bill Cosby et Jimmy Saville, sans oublier celui de Dominique Strauss-Kahn. Mais les colonnes du temple ne semblaient pas encore vraiment ébranlées, comme s’il ne s’agissait là que d’inquiétantes exceptions.
L’affaire Weinstein et celles qui ont suivi semblent cependant avoir élevé le niveau d’indignation et, surtout, avoir permis de mieux comprendre l’aspect systémique de pareilles agressions. Dans tous ces cas, l’agresseur jouissait d’une surprenante impunité grâce au prestige que lui procurait son travail et par l’isolement dans lequel étaient confinées les victimes. Ceux qui étaient au courant des faits préservaient le grand homme par un silence gêné, en se disant que le succès vaut bien quelques dommages collatéraux et des offrandes sacrificielles.
Voilà justement ce qui semble avoir changé. On semble enfin trouver que le tort fait à des victimes nécessite beaucoup plus de considération que ces machines à gagner du fric admirées du grand public. La dignité des personnes agressées, l’inadmissibilité de comportements particulièrement répréhensibles l’emportent sur la jouissance d’individus rentables et puissants.
Bien sûr, tout cela n’est pas terminé. Les prédateurs continueront à exister et chercheront encore à se servir de leur pouvoir pour dominer, humilier et victimiser des personnes de leur entourage. Il est possible que les révélations qui nous sont parvenues ne soient qu’un sursaut médiatique salutaire, trop vite oublié. Mais nous sommes peut-être aussi à la croisée des chemins. Il est permis d’espérer qu’il en résultera au contraire des changements permanents : les victimes seront mieux défendues et les agresseurs plus facilement condamnés.
La suite de l’affaire Weinstein aux États-Unis et de l’affaire Rozon au Québec sera déterminante. Jusqu’ici, ces hommes ont été transformés en parias, ce qui est déjà une avancée et une forme de justice. Ici au Québec, il faudra voir ce qui adviendra des plaintes déposées contre Gilbert Rozon, comment la justice réussira à traiter ce cas particulier, en espérant qu’elle parvienne à éviter un fiasco comme le procès de Ghomeshi.
Les dénonciations qui se sont accumulées récemment, trop longtemps contenues, nous parviennent à une époque où on semble en général se préoccuper du sort des victimes beaucoup plus qu’auparavant. Par exemple, on s’inquiète du comportement de certains professeurs qui profitent de leur ascendant pour séduire des étudiantes, à un point tel que la ministre le l’Enseignement supérieur, Hélène David, a annoncé son intention de baliser les relations entre enseignants et étudiants, ce qui recoupe par ailleurs les réflexions d’une fédérations syndicale d’enseignants comme la FNEEQ.
Le sort des prostituées devient lui aussi un sujet de préoccupations. On les considère de moins en moins comme des coupables, mais comme des victimes, au point que plusieurs pays, comme la Suède, la France et le Canada ont choisi désormais de criminaliser leurs clients plutôt que de les réprimer, comme on l’a fait si longtemps.
Il faut donc souhaiter que cette attention portée aux victimes, qui est en soi une avancée civilisationnelle majeure, puisse aussi déborder les cas d’agressions sexuelles. Il ne s’agit pas bien sûr de banaliser ces dernières, ou de les diluer dans des vœux de bonnes intentions. Mais plutôt de reporter l’indignation soulevée par ces affaires sur d’autres victimes, se dire par exemple que l’accumulation de richesses ne permet pas tout, observer plus attentivement les dommages bien réels causé par un accaparement égoïste des biens par quelques privilégiés.
Un message, un commentaire ?