Venue des ÉU, déferle sur le monde une nouvelle vague de révélations contre les agressions sexuelles, plus profonde que les précédentes. Cette troublante mise en cause de la présomption d’innocence, conquête essentielle de la révolution anti-féodale, s’explique par l’abyssale défaillance du système juridique bourgeois vis-à-vis l’agressivité patriarcale. Cette bombe juridique révèle au grand jour les trop souvent oubliées zones d’ombre des révolutions bourgeoises, fondements de nos démocraties, que sont les questions des femmes, de races et de classes. Si celle de classe a vite fait de secouer les colonnes du temple avec la Commune et la révolution d’Octobre il y a un siècle jusqu’aux révolutions chinoise, vietnamienne et cubaine ; si celle raciale peut se réclamer de la révolution haïtienne, très occultée dans le blanc monde occidental, de la guerre antiesclavagiste dite de sécession, du victorieux mouvement anticolonial et de la victoire politique contre l’apartheid ; celle des femmes doit se contenter de « victoires » idéologiques et de réformes politiques qui n’ont jamais atteint le seuil d’une révolution féministe.
Les agressions sexuelles des hommes-entreprises
Cette levée de boucliers commande, comme l’ont souligné maintes féministes, une réforme en profondeur du système judiciaire, dont plusieurs éléments sont connus depuis longtemps mais pas ou peu appliqués, et une éducation permanente, scolaire et médiatique, anti violence contre les femmes. Mais qui ne réalise pas l’ampleur des blocages et réticences systémiques. Le capitalisme a trop besoin du patriarcat, comme du racisme, pour se perpétuer. Dès son émergence historique, il ne les a pas remis en question. Plus il devient décadent, plus il s’y accroche. Maintenant que le capital remet en cause la civilisation par sa dévastation écologique, ce trio infernal forme une alliance stratégique apocalyptique. Ce n’est pas un hasard que les Weinstein, Rozon, Salvail, Brûlé et Venne soient littéralement des hommes-entreprises même à but non lucratif. Leurs personnes mêmes fusionnent capitalisme et patriarcat. En découle que la lutte contre l’agression sexuelle est anticapitaliste.
L’explication profonde n’a rien de sorcier. Dès l’origine, la bourgeoisie, minoritaire, doit pouvoir diriger. La loi de la compétitivité lui interdit une inefficace répression permanente du majoritaire prolétariat, tueuse de productivité. Avec les avancés de la science cette contrainte s’accentue. Le cerveau prolétarien doit s’imbiber de pensée scientifique, au moins instrumentale. La croyance magique et religieuse ne peut plus avoir la forte emprise pré-capitaliste qu’elle avait sur les esprits pour minimiser la nécessité répressive inhérente à toute société de classe. L’hégémonie du capital, tout en ayant recours subsidiairement à une pensée religieuse qui s’accroche au prorata de l’intensité des contradictions sociales, requiert d’autres sources que la science instrumentale peut récupérer. La science, dont celle historique, est mise à profit pour prouver la supériorité raciale blanche au niveau de l’intelligence tout comme la spécialisation essentialiste des femmes pour les tâches domestiques. Ainsi s’est instaurée une tendance à l’alliance interclasse des hommes particulièrement blancs.
Le sexisme et le racisme, systématiques tous les deux, bloquent la lutte anticapitaliste
Un combat de classe qui ignore ceux contre les oppressions raciste et sexiste est voué à l’échec. Et vice-versa. On constate dans quel état lamentable se trouvent les luttes syndicales se limitant à réclamer une meilleure convention collective et des réformes économiques. Idem la lutte à la PQ pour la souveraineté nationale. Les œillères mènent à la concertation ou à l’unité nationale. Et vice-versa. La victoire des 99% ou 90% contre le sommet financier du capital et ses alliés exige la victoire contre la hiérarchie des dominations en son sein afin de réaliser son unité combative. Si l’agression sexuelle est plus crûe et médiatisable dans l’industrie du divertissement, étant donné un rapport de forces très défavorable [2], elle empoisonne systématiquement l’ensemble des lieux de travail [3]. La contrepartie hors lieux de travail, l’esclavage domestique et son cortège d’abus sexuels dans et hors ménage, est comme chacun sait tout aussi répandue. Comme les femmes portent sur leur dos la moitié du monde et un peu-beaucoup plus, les contradictions de genre/sexe sont avec le racisme et la xénophobie le principal outil bourgeois de la division du prolétariat .
Socialement, ces contradictions sexistes et racistes, contrairement à la légalité inhérente au capitalisme de l’extorsion de la plus-value et donc de la propriété des moyens de production, heurtent de plein fouet les principes de liberté et d’égalité à la base de la révolution bourgeoise. En autant que les femmes et les racisés livrent un combat acharné, les manifestations les plus visibles du patriarcat et du racisme en viennent à être déclarées illégales. Mais comme ces maux pénètrent les pores du capitalisme, il y a loin de la coupe de la loi aux lèvres des habitudes sociales jusqu’à et y compris les juges qui rendent la loi opérationnelle [4]. Tout le système de justice est à l’avenant. Tout comme les systèmes scolaire et médiatique chargés de l’éducation citoyenne. Même l’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles fait problème [5]. Pourtant l’école met le paquet pour promouvoir l’éducation financière [6] et les médias excellent à dénoncer le texto au volant.
La révolution du renversement de la preuve
Le système de « justice », dont le but ultime est la protection de la propriété et des contrats qui la transigent, ne peut mettre sur le même pied l’exploiteur et l’exploité et, corollairement l’oppresseur et l’opprimée. Comme la présomption d’innocence nécessite d’être levée par des preuves tangibles, soit des marques corporelles et des témoignages de tiers, l’agression sexuelle s’en trouve difficilement prouvable faute de constats faits à temps et de témoins. Et cette difficulté inhérente est démultipliée par le déséquilibre idéologique et politique entre la victime présumée et le système patriarcal. Au final, il donnera le bénéfice du doute à l’agresseur tout en décourageant la tenue d’un procès pour ne pas embarrasser le système de justice. À part les mille et une mesures d’accueil et d’accompagnement, sur fond d’une éducation scolaire à la sexualité et d’une campagne médiatique permanente sur le sujet, la réforme fondamentale, en soi anticapitaliste et antipatriarcale, réside dans le renversement de la preuve. Il faut croire la victime présumée quitte à ce que l’agresseur présumé prouve le contraire. Ainsi on ouvrira la porte à un semblable renversement pour la racisée et, ultimement, l’exploité.
Inutile d’ajouter qu’un tel renversement appelle des luttes acharnées dont les organisations féministes sont certes les porteuses de ballon mais qui nécessitent une mobilisation générale prolétarienne et populaire. Jusqu’ici, on les voit pas poindre du nez au Québec contrairement cependant à la France malgré une unification qui reste à faire [7]. Le tollé général actuel à propos des agressions sexuelles crée les conditions d’une remobilisation du mouvement des femmes du Québec, une occasion de sortir de sa crise de direction. Un encouragement bien senti de tous et toutes, des organisations syndicales à celles écologiques en passant par celles populaires et étudiantes, serait à même de mettre en branle la riposte.
Marc Bonhomme, 27 octobre 2017
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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