Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Afrique subsaharienne : De qui le Maroc est-il le Cheval de Troie ?

La nature a horreur du vide. L’Afrique également. Ce continent a besoin sans cesse qu’on se l’arrache, qu’on se le partage, qu’on se le déchire, qu’on l’aime passionnément. Et le dernier grand amoureux de l’Afrique fut le Colonel Mouammar Kadhafi. Hélas, les civilisateurs l’ont assassiné. Qui pour reprendre la flamme d’amour sacré ? Le Roi du Maroc.

Tiré du blogue de l’auteur.

1984, le Roi Hassan II formule une demande d’adhésion à la Communauté Economique Européenne en arguant : " J’ai vu loin et je ne me suis pas interdit de penser à l’avenir de tout le Maghreb.", in Le Matin du Sahara, 09/01/1985. Deux mois plus tard, il plaidera dans un discours que : "Géographiquement, notre pays est très près de l’Europe. C’est une position dont ne peuvent se prévaloir d’autres pays associés à la CEE".

La demande de Sa Majesté fut rejetée. Mais le Maroc pouvait déjà se prévaloir d’un traitement commercial dès 1976 différent de la Convention de Lomé, Accord de Coopération Commercial entre la CEE et les ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) signé en 1975.

En 1996, le Maroc, tout comme la Tunisie et Israël avant lui, signe un Accord d’association avec la CEE plus ambitieux que l’Accord de 1976. Octobre 2008, sous présidence française de l’UE, le Maroc est encore promu, et jouit du statut avancé auprès de l’Union Européenne. L’évolution du Maroc sur la scène internationale, en particulier européenne, a donc toujours séparée et différente des autres pays africains, notamment les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne.

Le groupe de Casablanca

Que le Maroc ait tenté d’adhérer au sein de l’Union Européenne ne doit pas faire oublier que le pays a fait partie des trois groupes (Casablanca, Monrovia, Brazaville) qui ont posé les bases de l’Organisation de l’Union Africaine en 1963. Le Roi Mohammed V avait réuni du 4 au 7 janvier 1961 à Casablanca certains dirigeants africains à l’instar du panafricaniste Kwame Nkrumah du Ghana, du rebelle Sékou Touré de Guinée, les nationalistes Modibo Keïta du Mali, et Jamal Abdel Nasser d’Egypte. Le Roi Idris 1er de la Libye était représenté par Abdelkader Allam. Dans un contexte de crise congolaise, les participants à la conférence de Casablanca tenaient à marquer leur volonté de construire l’Afrique sur des bases révolutionnaires et leur opposition radicale au colonialisme. Ils avaient adopté les résolutions suivantes :

 Nécessité de la coopération interafricaine.

 Indépendance de l’Algérie.

 condamnation des essais nucléaires au Sahara (Bizerte en Tunisie) ; elle concernait surtout la France mais aussi l’URSS qui envisageait de reprendre ses expériences nucléaires.

 consensus sur la crise congolaise (soutien à la révolution congolaise) et aide au gouvernement de Patrice Lumumba/ Antoine Gizenga.

Bien d’autres résolutions furent prises et consignées dans un document appelé "Charte de Casablanca". Le groupe de Casablanca voulait privilégier les relations diplomatiques avec les pays du bloc de l’Est aux dépens des anciennes puissances coloniales. En réaction de ce groupe, naquît le groupe de Monrovia, qui estimait que les anciens colonisateurs étaient des gens sympathiques et bienveillants, qu’il fallait faire preuve de bonne foi. Nul besoin d’aller voir du côté de l’Est et de jouer les révolutionnaires.

1963, l’OUA voit le jour à Addis-Abeba, en Ethiopie et le Maroc fait figure de membre éminent, en raison de la conférence de Casablanca. Cependant, la décision de l’OUA de reconnaître l’autonomie de la RASD (la République arabe sarahouie démocratique), dans le début des années 80, actera le divorce qu’Hassan II avait annoncé en juillet 1979 lors du sommet de l’Organisation de l’unité africaine à Monrovia, au Liberia : " Ce qui se passe à l’OUA depuis des années sont des conférences tam-tam… des conférences de danse de Saint-Guy… je dois être isolé de ce cloaque… pour refaire cette Afrique, parce que l’Afrique est bien mal partie (…). L’OUA a besoin d’un assainissement sur le plan moral". Et c’est en 1983, en Algérie, que le Maroc claquera la porte de l’OUA. Visiblement l’assainissement moral n’avait pas eu lieu. Le Représentant du roi, Ahmed Reda Guedira fit un message d’adieu : " Voici l’heure de nous séparer (…) En attendant des jours plus sages, nous vous quittons. Mais africain est le Maroc, africain il le demeurera. Vous comprendrez aisément qu’en tant que membre fondateur de l’unité africaine, le Maroc ne saurait en être le fossoyeur."

Africain est le Maroc, d’où sa demande naturelle et appuyée d’adhésion à la CEE....Le Maroc ne saurait être le fossoyeur, en dépit de ses relations privilégiées, exclusives avec l’UE, dont on n’a du mal à cerner les intérêts stratégiques de l’Afrique.

2017, le Maroc réintègre l’Union Africaine après avoir essayé, en vain, de rejoindre la CEE. Fort de sa relation économique, politique, culturelle, géographique toute spéciale avec l’Union Européenne, le Maroc se dit prêt à intégrer la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), puisqu’il a signé un accord de principe de son adhésion au 51e sommet de la CEDEAO à Monrovia, les 5 et 6 juin 2017.

Qu’est-ce qui justifie ce retour très enthousiasmé, africaniste du Maroc au sein de l’UA ? L’Union Africaine est-elle devenue "plus sage", y a t-il eu un "assainissement moral" comme le recommandait royalement le père de Mohammed VI ? Et les conférences tam-tam sont-elles terminées ? Hé bien, non. Le tam-tam fait toujours autant de bruit, si ce n’est plus. L’Union africaine est un tonneau vide. Elle est l’incarnation du désastre africain en cours. Elle dispose d’un siège offert par la charitable Chine. La plus grosse part de son budget provient des partenaires internationaux (dont l’UE) et non de la contribution des Etats-membres endettés. Le budget de l’UA fait la part belle au train de vie de l’institution plutôt qu’à des programmes concrets qui impactent véritablement et positivement la vie des masses africaines et leur sentiment d’appartenir à un même espace géographique, politique, économique, historique... commun. L’accord de libre échange continental signé à Kigali en mars 2018 n’est qu’une cacophonie de plus.

En vérité, le retour enthousiasmé du Maroc est justifié par la disparition Kadhafi et surtout le "capitalisme marocain" porté et encadré lui-même par l’Union européenne. De quelle unité peut-il s’agir entre l’actuel Maroc et l’actuel Afrique de l’Ouest, Centrale, de l’Est ? Aucune. Il s’agit ni plus, ni moins d’une relation de purs calculs et intérêts privés. Il n’y a pas l’ombre d’une construction économique (politique n’en parlons pas) véritable, gagnant-gagnant, entre le Maroc et la CEDEAO.

Et le roi Hassan II qui avait un goût immodéré des formules disait d’ailleurs et déjà que Maroc est "un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe". On ne peut pas être plus clair. La métaphore est frappante. "Plonge" en Afrique...."Respire" en Europe.

Capitalisme marocain

En Afrique subsaharienne, les investissements "marocains" ont le vent en poupe. Le Maroc est le deuxième investisseur africain sur le continent. Le secteur de la Banque et des Assurances sont les plus en vue, avec plus de 9 milliards de dirrhams investis sur la période 2008/2015. On observe, dans plusieurs capitales francophones, que le monopole bancaire français d’antan est entrain de basculer paisiblement à la légère domination marocaine. Les locaux du Crédit Lyonnais dans plusieurs capitales africaines sont devenus les bureaux du groupe marocain Attijariwafa Bank. Fin 2016, les banques marocaines disposaient de 41 filiales en Afrique, à la tête d’un réseau de près de 1 400 agences, réparties dans 25 pays. Le changement est perceptible, visible à l’œil nu.

Les exportations marocaines en direction de l’Afrique de l’Ouest ont triplé lors de ces trente dernières années, elles s’élèvent aujourd’hui à près de 10 milliards de dirrhams. Et la marge de progression reste considérable. D’où l’adhésion à la CEDEAO.

Outre le secteur bancaire, il y a le secteur des télécoms, où le groupe Maroc Télécom est présent dans plus de neuf pays africains ( Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger et Togo). Pays dans lesquels l’entreprise française Orange règne en situation de quasi monopole ou de radical duopole. La cimenterie, l’agriculture, les minerais sont d’autres secteurs où les grands groupes marocains marchent pacifiquement sur l’Afrique...

Garde Chiourme de l’Europe

Le Maroc est un pays hautement stratégique. Pour lui-même et surtout pour l’Union-Européenne, en tête de laquelle la France et l’Espagne. Le Maroc est ainsi le premier bénéficiaire de la politique européenne de voisinage et de l’aide financière. 2013, le pays signe un Partenariat pour la Mobilité (PPM) dont l’objectif est la gestion des flux migratoires entre le Maroc et l’Union européenne et les différentes actions à mettre en œuvre. Autrement dit, quel traitement infligé à ces subsahariens qui tentent de fuir le continent africain via la route de la Méditerranée occidentale, qui passe par le Maroc et l’Espagne, et qui constitue la principale porte d’entrée des immigrés non légaux. Le Maroc qui accepte de remplir la mission de garde-côte des européens bénéficie d’un traitement préférentiel pour ses ressortissants en matière d’immigration. Le partenariat travaille par exemple à une plus grande mobilité des citoyens marocains (étudiants, diplomates, chercheurs, hommes d’affaire...) dans l’espace Schengen et à un encadrement responsable et humain de la migration irrégulière ...Celle-ci n’a pourtant n’est ni responsable, ni humaine.

Le partenariat de Mobilité renforce également l’employabilité des marocains dans l’UE. Il vient renforcer la différence entre le citoyen marocain et l’africain lambda. Tout ceci est très bien pour les parties (UE/Maroc), mais au prix de quoi et au détriment de qui ?

Sur les papiers, en théorie, le projet de déclaration politique du Partenariat de Mobilité UE-Maroc "donne une place importante au respect des droits et la dignité des migrants dans la gestion de la migration irrégulière." Plaisanterie de mauvaise goût. Septembre 2018, la Marine royale a ouvert le feu sur une embarcation en Méditerranée qui refusait de répondre à ses sommations. Les tirs ont fait un mort, dont une Marocaine de 22 ans qui ne devait pas être dans la bonne catégorie de citoyens, et au moins trois blessés. Quant au sort des clandestins subsahariens au Maroc,disons-le, il est trois fois pire que ce qui se passe en France. Dans les rues d’Agadir, les rares subsahariens qu’on peut rencontrer là-bas, sont des gaillards dans un très sale état qui traînent et mendient dans les rues. Les étrangers en situation irrégulière au Maroc n’ont pas l’ombre d’une dignité et ne bénéficie d’aucun droit réel.

Les pays africains d’où sont originaires les étrangers sur le sol marocain semblent moins préoccupés par le sort de leurs compatriotes. La CEDEAO qui est prête à accueillir le Maroc n’a fait valoir aucune conditionnalité sérieuse. La relation Maroc/UE n’est un souci pour personne, tant pis. Tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes.

Le royaume chérifien peut donc éternellement réclamer ses racines"africaines" comme Barack Obama ....mais il importe à ce pays, et plus encore,à l’ensemble des pays du Maghreb d’engager leurs pays une transformation mentale,une bonne révolution culturelle, afin que recule et cesse de manière considérable le racisme très très très décomplexé et violent au Maghreb.

Il faut que les pays d’Afrique subsaharienne fassent également leur propre r-évolution interne. Car, s’il est vrai que le traitement des étrangers en France, en Italie au Maroc et ailleurs relève parfois du crime, et plus ordinairement de la discrimination, de la persécution morale et physique, les Etats africains, eux-mêmes, doivent traiter de manière digne leurs populations.

La dignité, quelque soit la condition sociale, n’est pas négociable. Or, en Afrique "noire", nul besoin du " mâle Blanc dominant", pour y voir, chaque jour, des traitements d’une infinie cruauté, d’une extraordinaire inégalité, d’un infini mépris des "uns" (en situation de force) à l’égard des "autres" (en état de faiblesse). Même au sein d’une ethnie, là encore, il n’est pas besoin de considérer un pays tout entier, il y a l’établissement des différences, des traitements inégalitaires, des logiques exclusions, etc. Sur ce terrain, "décolonialistes" et "panafricanistes" sont aux abonnés absents. Tout ce qui n’est pas "blanc" n’évoque en eux aucune révolte. Et pourtant, il y a beaucoup à dire sur les conditions de vie inacceptables des populations, des masses africaines. Beaucoup à dire sur les fichues traditions ethniques, les fichues pratiques culturelles qui maintiennent encore la plus grande portion des populations en Afrique à l’écart de la connaissance exacte et objective des choses, du monde, et de elles-mêmes. Il y a pire que l’ennemi d’en face, qu’on a toujours connu...il y a l’ennemi d’à côté, l’ennemi en nous, qui est bien plus fatale.

Les dirigeants africains ne réaliseront pas l’unité africaine si les consciences populaires restent cloisonnées dans leurs propres mythes, cultures, religions, ethnies, nationalités. Et le Maroc, loin d’être ce pont méditerranéen pacificateur et égalitariste entre l’Europe et l’Afrique est le véritable Cheval de Troie du nouvel ère du capitalisme sur le continent africain. C’est aussi un mur hostile à tous les prolétaires nomades qui sont invités à rester chez eux mourir dans la paix du Christ, la paix d’Allah, la paix de Jéovah, etc. Mur financé par la très catholique Union européenne, qui s’est acheté, une petite tranquillité auprès du Maroc et de la Turquie. Deux Etats maître chanteurs qui à défaut d’adhérer à l’UE, veilleront à ce que celle-ci demeure la tour de Babylone.

Pour ce qui est de l’Union africaine, elle doit revoir sa copie de fond en comble. Pour l’heure, les événements récents sur le continent africain démontrent que l’Union africaine ne pèse et ne vaut pas grand chose. Et qu’en matière d’unité, d’union continentale, c’est à dire des peuples, de mise en commun des biens son bilan est proche de moins un.

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