L’appel de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) à une journée "sans TSO"a entraîné des mobilisations professionnelles et citoyennes modestes, mais combatives, à Montréal, Québec, Drummondville et Trois-Rivières. Cette journée exprime le ras-le-bol des membres de la FIQ à l’échelle nationale comme première étape d’un plan d’action poussé et adopté par les membres lors de leur congrès tenu en mars dernier.
Démonstration réussie
"Aujourd’hui, il n’y a eu aucun TSO dans tout le CIUSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. C’est une première depuis 20 ans", déclare Éric Tremblay, président du Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (SPSESTIM-FIQ). Le syndicat qu’il préside depuis 3 ans regroupe près de 4 300 membres, répartis dans sept établissements. "Comme quoi, quand l’employeur veut s’organiser, il est capable", souligne M. Tremblay, infirmier depuis 25 ans.
L’appel de la FIQ à une journée "sans TSO" a permis aux administrations d’avoir 6 jours d’avance pour s’assurer qu’aucune infirmière ne soit retenue au travail contre son gré le 8 avril. Les heures supplémentaires obligatoires de travail ne sont censées être imposées que dans des "situations urgentes et exceptionnelles", comme des catastrophes naturelles ou des tragédies routières. "Depuis janvier, 350 personnes ont été gardées au travail contre leur gré. Ce n’est plus exceptionnel", estime M. Tremblay.
Assez, c’est assez !
Cette action des infirmières est le résultat de deux décennies de coupures brutales dans le système de santé. La gestion qui en découle est un désastre. La plupart des urgences roulent à plus de 100% de leur capacité. Il y a une pénurie de personnel. Les travailleurs et travailleuses restantes sont surchargées. Il en résulte de trop nombreux cas d’accidents, d’agressions et de détresse psychologique qui auraient pu être évités. La qualité des soins et la sécurité des patient·es sont mises en péril.
Depuis plusieurs années, des infirmières de partout au Québec témoignent de leurs conditions de travail inacceptables. De nombreux sit-in, occupations et manifestations se sont déroulés partout au Québec. La lutte contre l’utilisation du TSO comme mode de gestion quotidienne est devenue une revendication centrale. Selon La Presse, le recours au TSO s’est accéléré depuis 2015, soit au moment de l’entrée en vigueur de la réforme Barrette (Loi 10).
L’infirmière et candidate au doctorat en sciences infirmières Natalie Stake-Doucet milite pour les droits de ces collègues depuis plus de 8 ans. "Garder quelqu’un contre son gré, c’est violer ses droits, soutient celle qui est aussi présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII). Le TSO était déjà un enjeu lors de la grève de 1999. Il est maintenant devenu une cause directe de la pénurie. La ministre McCann a annoncé que 4 000 infirmières ont quitté durant les quatre dernières années. Il y a toujours environ 2 000 postes à combler."
Mme Stake-Doucet explique que "beaucoup d’infirmières sont frileuses à l’idée d’avoir un poste à temps plein". Dans plusieurs établissements, il est presque garanti qu’elles devront faire du TSO. "Ça rend la conciliation travail-famille presque impossible. Garder une infirmière en TSO aujourd’hui augmente les chances qu’elle quitte son milieu dans les prochains mois, épuisée. Ça nuit à la sécurité des patients et à la rétention de personnel."
"La population doit savoir"
"Le personnel veut que la population sache ce qui se passe dans leur milieu de travail, soutient le président du SPSESTIM-FIQ, Éric Trembaly. Mais, il existe une politique du silence. Le lien d’emploi fait craindre des représailles et le renvoi." En 2017, la FIQ a lancé son Livre noir de la sécurité des soins pour tenter de briser cette omertà. Plusieurs témoignages de travailleuses de la santé y figurent.
"On ne peut pas parler des enjeux que l’on vit personnellement au travail, c’est risqué. Mais, on peut parler de ceux des autres", souligne Natalie Stake-Doucet. L’infirmière dit recevoir régulièrement des courriels de collègues décrivant leurs conditions de travail exécrables. "Comme je ne suis plus dans le réseau depuis deux ans, je profite de ma liberté pour faire connaître les problèmes des infirmières", explique celle qui est passée à l’émission Tout le monde en parle en février 2018.
"Depuis 4 à 5 ans, de plus en plus de contrats d’embauche incluent une clause qui empêche les infirmières de parler de leur milieu de travail. Avec la réforme Barrette, beaucoup de milieux ont pris les grands moyens pour ne pas qu’on sache que ça va mal dans le réseau", explique-t-elle.
"Les infirmières crient depuis 20 ans et personne ne nous écoute, lance-t-elle. Le gouvernement a des millions $ pour faire venir des firmes externes de syndic et d’ingénierie pour analyser nos problèmes, mais on ne consulte pas les travailleurs sur le terrain. On a besoin d’un milieu sain qui nous permet une prise de parole. On a des opinions professionnelles légitimes sur la sécurité de nos pratiques."
L’affaire de tout le monde
Bien que l’action du 8 avril contre le TSO a porté fruit, la bataille est loin d’être gagnée. "Les 200 millions $ promis en santé seront-ils utilisés pour faire entrer plus de privé ou embaucher du personnel, s’interroge Mme Stake-Doucet. Consultera-t-on le personnel pour savoir ce qui améliorerait ses conditions de travail ?"
"On a besoin d’un changement de culture dans le système de santé", soutient-elle. La solution des ratios patients-infirmières est fondamental. "Là où cette solution a été implantée, on a vu des diminutions de plus de 30 % des congés de maladie, souligne-t-elle. On doit aussi embaucher du nouveau personnel administratif, dont celui dédié aux horaires. Nous en avons perdu beaucoup lors de la dernière réforme et la tâche a été empilée sur les épaules de gens qui n’ont pas forcément le temps et la formation de la faire."
Natalie Stake-Doucet encourage les usagers et les usagères du système de santé à demander aux chefs de département s’il existe des ratios ou des politiques de conciliation travail-famille dans leurs établissements. "Il est tout à fait correct de parler avec les travailleurs et les travailleuses de la santé sur place pour savoir ce qui se passe. L’action sera appréciée", souligne-t-elle.
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