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Abdellali Hajjat : Les frontières de l’ »identité nationale », L’injonction à l’assimilation en France métropolitaine et coloniale

Historiciser et dénaturaliser l’injonction d’assimilation
Publié le 31 mars 2012

« L’idéal, pour que l’amour-propre national soit satisfait et doublement satisfait, est que la naturalisation soit demandée et refusée, demandée pour être refusée. La demande de naturalisation et le refus qui lui sera opposé flattent l’amour-propre : la demande constitue une manière d’hommage ; le refus traduit une manière de vigilance quant au ”sang français” et à sa ”pureté”, quant à la qualité de la ”nature française” , quant au mythe de l’intégrité ethnique de la race » Abdelmalek Sayad cité par l’auteur

Le livre d’Abdellali Hajjat traite de la notion d’assimilation, interrogeant les évolutions de cette notion à travers l’histoire récente « cet ouvrage est parti du contraste saisissant entre, d’un coté, la disqualification publique de la catégorie d’assimilation et, de l’autre la légitimité de son utilisation du sein du champ administratif », après la colonisation « Plus précisément, il s’agit d’interroger le rapport entre des événements coloniaux et le concept d’assimilation dans la mesure où les configurations sociales spécifiques le politisent, le disqualifient et transforment ses usages et ses significations » et ses transcriptions dans l’univers bureaucratique des institutions chargées de la transformation des étranger-e-s en français-e-s, des fonctionnaires chargé-e-s des naturalisations « Il s’agit dès lors de montrer comment l’administration chargée des naturalisations définit elle-même certains critères de naturalisation, dont la condition d’assimilation » ou « La socio-histoire des pratiques administratives du bureau du Sceau puis de la sous-direction des naturalisations permet de mettre en lumière les enjeux de la mesure de l’assimilation. »

La notion d’identité nationale, n’est pas stable, elle est en permanence en (re)formulation, en (re)création, en fonction d’orientations politiques, de choix démographiques et plus généralement des rapports de force sociaux. L’Autre n’est donc pas défini par nature ou par culture, il s’agit toujours d’un Autre dans les mots de la politique.

Si domine au XIXème une théorisation des races « On essayera ainsi de montrer comment l’intervention des critères de civilisation dans le droit colonial s’inscrit dans le cadre d’une configuration des relations de pouvoir entre l’administration coloniale, les indigènes et les rares défenseurs des droits des indigènes, en l’occurrence la Ligue des droits de l’homme », rendant l’Autre, l’étranger-e colonisé-e, ainsi construit-e inassimilable par définition, ce qui domine aujourd’hui c’est plutôt des critères socioculturels, permettant à la fois une délimitation, un soupçon permanent caractérisant l’Autre, mais ouvrant des conditions discrétionnaires, de transformation en « nationaux ».

Concrètement, cela passe par une injonction à l’assimilation dont l’administration et ses employé-e-s sont seuls juges tant de la définition que de l’appréciation. Les analyses autour des marges de manœuvre, des appréciations différenciées de fonctionnaires, des processus bureaucratiques sont plus qu’éclairantes sur cette impossible « lisière » : « Pour éclairer cette zone d’ombre, l’approche ethnographique se révèle d’une grande utilité car elle permet de saisir les logiques sociales de pouvoir discrétionnaire au niveau le plus bas de la procédure : l’entretien dit ”d’assimilation”. »

Les rapprochements entre période coloniale et « post-coloniale » permettent à la fois de discerner des continuités et des ruptures y compris dans le sens même du mot « assimilation ». « En ce sens, la disqualification du concept d’assimilation se distingue de celle qui s’est opérée dans la seconde moitié du XIXe siècle. A l’époque, le discours impérial, soutenu par les discours à prétention scientifique, avait conclu à l’assimilation impossibles indigènes en raison de leur altérité raciale. Seule une petite minorité pouvait être assimilée au peuple français. Désormais, le concept d’assimilation est dénoncé par les indigènes eux-mêmes comme une ”illusion” destinée à légitimer le pouvoir colonial ». Une rupture notable se produit avec la loi de 1927 qui instaure une « bonne assimilation » comme condition à l’entrée dans la « communauté française », l’assimilation comme condition de la naturalisation.

Cette injonction peut-être lue comme une certaine métamorphose « A travers le filtre de la situation coloniale, on passe en quelque sorte de l’idée d’une politique d’assimilation comme condition de maintien de la victoire, à l’idée de l’assimilation comme condition d’entrée dans le groupe des vainqueurs. »

L’auteur analyse les dimensions « sexuelles » de l’assimilation « Cet ordre sexuel national est idéal dans la mesure où il suppose que les ”naturels”, en particulier les hommes, s’y soumettent complètement, et qu’il désigne clairement une certaine catégorie de la population étrangère, dont le comportement, voire la ”nature”, serait antinomique à l’ordre sexuel national. »

En mettant l’accent sur quelques phénomènes, plus ou moins liés, dans l’imaginaire national, aux croyances ou aux phénomènes religieux, l’auteur montre que les principaux refus de naturalisation pour « défaut d’assimilation » concernent principalement des femmes et/ou des musulmans. La laïcité à la française, est bien une « catho-laïcité » et « l’exception républicaine française » une construction fantasmatique. Sur ce sujet, lire l’ouvrage de Christine Delphy : Un universalisme particulier. Féminisme et exception française (1980-2010) (Editions Syllepse, Paris 2010) Accaparement de la totalité de l’humanité par une partie de l’humanité ou la rhétorique républicaine comme arme terrible contre l’égalité substantielle

Au delà des quelques aspects évoqués, un livre très riche et une contribution importante sur des processus politiques « aux frontières » de la prétendue identité nationale.« Autrement dit, le signifiant change (la religion ou la culture sans la race), ainsi que les formes de justification, mais demeure la logique de division (”eux”/”nous”) et d’essentialisation (ou de radicalisation de la différence) ».

Reste encore tout un travail de destruction de la mythique ”identité nationale” qui fabrique à la fois l’Autre comme différent-e et unifie artificiellement des « nationaux », majoritairement plus près des Autres, que de ceux qui les exploitent et les dominent. Sur ce sujet voir entre autres : Suzanne Citron : Le mythe national, L’histoire de France revisitée (Éditions de l’Atelier, Paris 2008) Sujets tabous et mémoire clôturés

Editions La Découverte, Paris 2012, 338 pages, 25 euros

Didier Epsztajn

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