Aujourd’hui, une jeune femme avec laquelle je discutais m’a lancé cette phrase pour expliquer le fait que le spectacle de Loco Locass/Gilles Vigneault, sur les plaines d’Abraham n’était pas complet : « Vigneault, c’est plate ! ». J’aurais aimé savoir si elle connaissait ne serait-ce qu’une chanson de ce grand chansonnier, poète et conteur, mais la conversation s’est terminée là. Par contre, elle avait démontré de l’enthousiasme pour les « shows » anglophones et leurs « hits » basés presque toujours sur un lied peu travaillé au niveau de la langue mais répété à satiété par les radios commerciales.
Plus tard, un retraité me répétait crânement son aversion pour les Français et leurs comportements envers les Québécois. Son acharnement me laissait perplexe sur ses motivations. Quand j’avançai que nous étions historiquement psychologiquement aliéné par-devers les Français, surtout en regard de la langue et de la culture, et que je lui rappelai l’exemple de Félix Leclerc, qui dut d’abord recevoir un triomphe à Paris avant que le Québec puisse enfin l’apprécier (souvenons-nous du terrible mot du grand critique Victor Barbeau écrivant à propos de Félix Leclerc en 1940 : « il aurait mieux valu que cet homme naisse sans bras et muet » !), les masques sont tombés. Ce monsieur détestait Félix Leclerc, le considérait comme une putain, s’étant vendu, disait-il, aux péquistes. Interloqué, je lui demandai des explications. Il me rappela le spectacle de la Super Francofête en 1974, à Québec, où Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois affirmèrent en chœur l’affirmation du Québec comme peu le firent avant et après. Or, notre bonhomme semblait l’avoir gros sur le cœur. Quand je lui rappelai que le Parti québécois n’avait encore jamais obtenu le pouvoir politique à cette date et que les libéraux dirigeaient alors le Québec, il se renfrogna et quitta les lieux.
Ces deux exemples témoignent, ce me semble, d’une intériorisation des valeurs étrangères issues du monde anglo-saxon dont cette tendance à rabaisser à outrance ce qui provient du monde francophone. Cela manifeste d’un rapport historique de colonisateur/colonisé où ce dernier, aliéné, rejette ses propres valeurs et favorise celle de l’Autre, selon les intérêts de ce dernier, véritable rapport de schizophrénie identitaire menant à terme à l’autodestruction. Que le Festival d’été de Québec, financé à mêmes nos impôts, mette au programme davantage de créations anglophones que francophones témoigne éloquemment de cette aliénation.
De plus, il y a chez nous un difficile rapport à l’artiste véritable, indépendant et courageux : quels sorts a-t-on réservés à Émile Nelligan, Claude Gauvreau, André Mathieu ? Pourquoi le 20e anniversaire de décès de Félix Leclerc, en 2008, en plein 400e anniversaire de Québec, est-il passé inaperçu ? Pourquoi s’est-on acharné sur Luck Mervil, en septembre 2009, lorsque celui-ci s’est entêté à lire le Manifeste du FLQ lors du Moulin à paroles, à Québec, quand les politicailleurs se débandaient lâchement ? Pourquoi laisse-t-on mourir seul et pauvre Raymond Lévesque, auteur de quelques-unes des plus belles chansons francophones et véritable poète populaire au service du peuple qu’il chantait ?
Tout ça alors qu’Isabelle Boulay et compagnie, autres arrivistes pour qui la démarche artistique est pour le moins douteuse, se prostitue allègrement en chantant la même semaine lors de la Fête nationale des Québécois et lors de la fête de la confédération ? Et ces gens-là ne recevront pas, de la part des faire-valoir et lécheux de bottes journalistes, tout comme de ces aliénés divertis à grands renforts de l’inculture de masse états-unienne, quelconque critique sur leur démarche et orientation…
Extirper ce pli fâcheux, reliquat du colonisé, qui consiste à détruire les meilleurs des nôtres est une tâche urgente à accomplir. Tout comme mettre fin à la promotion des médiocres, des arrivistes et autres colombes fédérastes, des vire-capots style prince-consort, des élites creuses, lâches et mues par leur seul appétit personnel. La revitalisation de la culture québécoise est à ce prix.
D’ici là, Loco Locass, amoureux de notre langue, qui la façonne comme le miel l’abeille, et qui place leur démarche au cœur même de la démarche d’accouchement du peuple québécois à lui-même, mettra la table à l’homme de Natashquan, au danseur de Saint-Dilon, qui nous raconte à nous-mêmes notre pays québécois, de la Manikoutai à Jos Monferrand, de Gros-Pierre à Jean-du-Sud, de Jack Monoloy à Ti-cul Lachance, Gilles Vigneault, qui « nous convie à rester debout ».
Joël Vallières
14 juillet 2010
« Allons, enfants de la patrie »