Ce qui était en jeu, entre Barcelone et Madrid, c’était le droit d’organiser un référendum sur l’indépendance par une composante nationale de l’État espagnol. En s’appuyant sur une Constitution et des institutions héritières de la dictature franquiste, l’État central a nié depuis le début le droit du gouvernement catalan d’organiser un vote. En interdisant et refusant tout dialogue, l’ultraconservateur Parti populaire, au pouvoir à Madrid, a attisé la frustration de la population catalane. Cela a poussé le peuple catalan en masse à exprimer son plus profond sentiment démocratique, dimanche, et son droit à décider pour lui-même.
Cette victoire démocratique, le peuple catalan l’a gagnée d’abord dans la rue. Depuis 2010, date à laquelle le Tribunal constitutionnel espagnol a déchiqueté le projet de Statut d’autonomie, le peuple catalan s’est mobilisé sans répits. À travers des chaines humaines de millions de personnes, une campagne non gouvernementale et un processus d’assemblées locales, la société civile s’est mise en marche.
Finalement, la bataille a été remportée dimanche dans les urnes. Malgré le boycottage des forces politiques pro-Espagne, les 2,25 millions de bulletins de vote émis, sur un collège estimé à 5,5 millions, représentent une participation plus élevée que le cumul des votes aux partis favorables au référendum (incluant certains fédéralistes) aux dernières élections de la communauté autonome.
Cependant, ce triomphe des urnes et de la rue demeure symbolique. Le gouvernement catalan, pour respecter le cadre juridique de l’État espagnol, n’a appuyé qu’un succédané de référendum maintenu par des bénévoles. Les fédéralistes l’ont boycotté massivement, mais également de nombreux souverainistes prudents qui se sentent instrumentalisés. En termes de participation, on est loin des 93 % du référendum québécois de 1995.
La fin du début
Il faut ajouter que CiU, le parti officiel de la Generalitat de Catalunya , se drape dans un nationalisme identitaire pour dévier les résistances sociales à ses politiques d’austérité. Une analyse historique attentive de la bourgeoisie de Catalogne nous enseigne qu’elle a toujours joué dans les sphères du pouvoir espagnol. Aujourd’hui encore, les tergiversations et les ambigüités de CiU sont inquiétantes. Une analyse dialectique est nécessaire. En Catalogne, c’est la société civile mobilisée qui pousse le gouvernement régional à la lutte nationale, non l’inverse. Si Artur Mas s’arroge le rôle de porte-étendard du mouvement souverainiste, c’est parce que la rue l’y a poussé. Mais plus les Catalanes et les Catalans se mobilisent en faveur de l’indépendance, plus la droite baisse dans les sondages. Un vote pour l’indépendance n’est pas un vote pour Artur Mas !
Les protagonistes du changement en Catalogne seront les gens d’en bas. Seule la majorité populaire peut transformer l’idée de souveraineté pour une pratique : dans la rue, dans les mobilisations contre les évictions de logement, dans la résistance contre les coupures dans les programmes sociaux et sur le terrain des alternatives écologiques. Les événements actuels sont plus qu’une guerre de drapeaux, il s’agit d’un processus en marche pour la constitution d’une société alternative. La majorité de la population affirme qu’elle veut décider davantage que sur un État-nation : la majorité populaire veut de plus en plus affirmer sa souveraineté sur son système de santé, son éducation, son territoire et son logement.
Les peuples contre l’Espagne
Ce processus constituant n’est pas isolé, ni restreint à la seule Catalogne. Les mouvements sociaux maintiennent l’arène politique à chaud au sud des Pyrénées : avec les mobilisations des indigné-es à Madrid et l’arrivée fulgurante de Podemos un parti ouvertement rupturiste, sans parler de la montée électorale l’indépendantisme basque depuis le cessez-le-feu de l’ETA. La gauche radicale catalane établit des solidarités avec ces mouvements, car comme le plus connu des chants catalans l’enseigne :
Si nous tirons tous , il tombera
Cela ne peut durer plus longtemps
C’est sûr, il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer
– Lluis Llach, L’Estaca (« le Pieu »)
Le 9-N, c’est un pied de nez au monarchisme espagnol rétrograde, ennemi de la pluralité et de la démocratie ; mais c’est aussi un défi à l’élite catalane chauvine. Le 9-N, c’est un échelon gravi d’en bas par le peuple de Catalogne.
L’Estaca