Édition du 19 novembre 2024

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Laïcité

7 raisons pour lesquelles Québec solidaire devrait résister au compromis Bouchard-Taylor

Dans les semaines à venir, Québec solidaire aura à préciser sa position quant au port de signes religieux dans la fonction publique. La tentation est grande d’embrasser le « compromis » Bouchard-Taylor, à la fois pour des raisons idéologiques et stratégiques. Mais, dans une perspective progressiste, est-ce vraiment la position la plus raisonnable ?

Tiré du blogue de l’auteur.

7 bonnes raisons de rejeter les projets d’interdiction

(1) La commission Bouchard-Taylor cherchait à mettre fin à la « crise des accommodements raisonnables » qui a sévi de l’automne 2006 jusqu’à son point culminant en janvier 2007, lorsque le village d’Hérouxville adopta un « code de conduite » destiné aux nouveaux arrivants : interdiction de la lapidation, de l’excision, etc.

En d’autres termes, il fallait cette commission pour calmer la grogne populaire contre certaines minorités confessionnelles. Les médias ont largement contribué à alimenter ce sentiment de panique autour d’un faux problème. Savez-vous que la Commission des droits de la personne (CDPDJ) reçoit 13 fois plus de demandes d’accommodement pour cause d’handicaps que pour motifs religieux (0,69% des demandes, toutes religions confondues) ?

Maintenant que la soi-disant « crise des accommodements » est chose du passé – la question des accommodements n’est plus d’actualité depuis onze ans – le « compromis » Bouchard-Taylor n’est plus nécessaire.

(2) Dans ce même ordre d’idées, les commissaires Bouchard et Taylor ont pris leurs distances de ce rapport rédigé il y a plus de dix ans. Le philosophe Charles Taylor recommande de ne rien faire : « Nous nous trouvons dans une situation où les choses s’arrangeront d’elles-mêmes avec le temps, parce que les gens viennent à se connaître les uns les autres, les inquiétudes disparaissent » (CBC, 18 octobre 2018).

Quant au sociologue Gérard Bouchard, il souligne une situation inéquitable : « Nous ne pouvons logiquement et honnêtement demander de réduire les droits de certains citoyens, alors que nous avons toujours le crucifix à l’Assemblée nationale. (…). Nous perdons toute crédibilité vis-à-vis des minorités ». « Depuis 10 ans, le débat sur la laïcité est centré sur la question du hidjab ». « Je crois que c’est une façon polarisante de mener le débat et ça ne fait que creuser davantage les divisions et cela rend impossible une conversation » (Montreal Gazette, 26 octobre 2018).

3) En plus de vouloir résoudre un faux problème et de créer des divisions, l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique s’attaque frontalement aux droits fondamentaux : les Chartes des droits et libertés ne permettent pas qu’on puisse discriminer des gens sur la base de leurs croyances religieuses. Si un parti comme Québec solidaire souhaite remettre en cause les droits fondamentaux de certaines minorités, alors le fardeau de la preuve lui revient : en quoi ces discriminations sont-elles urgentes et indispensables ?

(4) L’argument selon lequel « des femmes se battent dans d’autres pays pour ne pas porter le voile, donc il faudrait le restreindre ici » n’est pas valide. Le point central est la défense des droits fondamentaux. S’il y a des pays où le port du voile est imposé par la force et l’intimidation, cela contrevient à ces mêmes droits fondamentaux, que nous devons chérir.

Au Québec et au Canada, les femmes sont libres de porter ce qu’elles veulent. Leur liberté est garantie. Si l’on interdit le port de signes religieux dans une partie de la fonction publique, cela revient à discriminer ces gens et porter atteinte à leurs droits fondamentaux. De toute façon, le débat n’est pas censé porter spécifiquement sur le hidjab, mais sur tous les signes religieux.

Extrait d’un texte de Céline Héquet :

(5) D’où vient ce sentiment d’urgence qu’il faille légiférer pour invisibiliser des signes religieux qu’on ne voudrait pas voir ? Un retour du religieux ? En fait c’est plutôt la catégorie des non-croyants.es qui semble en plein essor depuis trente ans, tandis que les femmes arborant le voile forment moins de 0,5% de la population québécoise. Et encore là, rappelons que l’écrasante majorité de celles-ci ont le visage découvert, pourquoi la panique ?

(6) Depuis le 11 septembre 2001, les médias occidentaux ont fait leurs choux gras de la peur de l’islam et du terrorisme, martelant des images de femmes voilées intégrales en la « Une » de leurs journaux et de n’importe quel topo. Cela a marqué les imaginaires et amplifié démesurément l’inquiétude vis-à-vis de l’islam.

Une étude réalisée à l’Université de l’Alabama démontre que les attaques terroristes commises par des musulmans reçoivent 7 fois plus d’attention que celles commises par des individus adhérant à d’autres croyances. Cette disparité médiatique provoque nécessairement l’impression que les musulmans.es seraient plus enclins au terrorisme (The Guardian, 20 juillet 2018).

Si la vue de signes religieux indispose tant de gens, c’est notamment en vertu de préjugés qui furent consolidés au fil des années. Ce n’est pas en stigmatisant ces femmes que les préjugés s’effaceront…

(7) La CSN ainsi que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) s’opposent à l’interdiction de signes religieux en invoquant plusieurs raisons, dont le fait que ce n’est pas en excluant des minorités confessionnelles de la fonction publique qu’on facilitera leur intégration.

Quant aux femmes qu’on prétend vouloir « délivrer » du supposé joug de leur voile – cela reste à démontrer car, au Québec, elles sont libres de le porter ou non, elles arborent généralement leurs signes religieux par simple expression de leur foi – rappelons qu’elles subissent leur lot de violences verbales et physiques avec la montée des courants identitaires partout en Occident. Nul besoin d’une discrimination institutionnelle venant s’ajouter à cet ensemble de pressions sociales non-sollicitées.

Pour toutes ces raisons, on peut penser que Québec solidaire – un parti qui se définit comme inclusif de par son programme – devrait faire le choix de la tolérance face au pluralisme. La laïcité, la vraie, est tout à fait compatible avec l’ouverture au pluralisme.

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