Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

1914-2014

La semaine prochaine à Sarajevo aura lieu un Forum social mondial sur la paix. Quelques dizaines d’altermondialistes québécois y seront présents grâce au travail d’Uni-Alter, une coalition de profs et d’étudiant-es de plusieurs universités. Sarajevo, cette ville martyrisée durant la guerre en Bosnie (1992-1995), est là où à l’été 1914 la Première Guerre mondiale a éclaté. Dans cette région à l’époque, des puissances s’affrontent dont l’Allemagne et son allié autrichien, la Russie tsariste et les États-empires déclinants que sont l’Angleterre et la France. En août, le carnage commence. Des centaines de milliers, puis des millions de personnes sont tuées dans cette guerre entre requins.

La grande crise européenne

En réalité, cette guerre n’est pas vraiment une surprise. Depuis au moins 20 ans, tous savent que la tempête s’en vient. Des pays « émergents » comme l’Allemagne et le Japon bousculent les « vieux » impérialismes. Ceux-ci restent puissants mais ils peinent à contrôler leurs populations remuantes et dégoûtées de l’enrichissement éhonté du 1 %. Dans les colonies, la tempête s’en vient, au Mexique, en Chine, en Afrique du Sud. En Europe même, les peuples soumis aux Empires dans les Balkans, en Pologne, en Irlande, se révoltent. Pour aider leur cause, les puissances ravivent le nationalisme ethnique, la haine et l’idéologie du tout-le-monde-contre-tout-le-monde, notamment contre les Juifs (ce racisme connaîtra son paroxysme 30 ans plus tard).

La défaite des socialistes

La Deuxième Internationale, qui regroupe plusieurs grands partis socialistes de l’époque (Allemagne, France, Angleterre, Italie, etc.) avait promis de s’opposer à la guerre, mais tout de suite après le début de la guerre, les socialistes perdent pied et appuient « leurs » gouvernements. Cette capitulation n’est pas tout à fait surprenante car depuis plusieurs années, ces mêmes socialistes sont indifférents face au pillage et au massacre dans les colonies perpétrés par « leurs » gouvernements. C’est loin et on s’en fout un peu. Et on a un peu l’impression que ces peuples « non-civilisés » sont condamnés par l’histoire. Très grave erreur.

Le retournement

Il y a cependant une grande exception dans ce cafouillage et c’est la Russie. Les diverses factions de la gauche dont les partisans de Lénine, non seulement s’opposent à la guerre, mais espèrent que l’État dominé par une poignée d’assassins soit vaincu. Au début, ce « défaitisme » de gauche leur fait ombrage, mais bientôt le vent tourne. Dans les tranchées, le carnage continue. La famine et la misère s’étendent partout en Europe. Peu à peu émerge une conscience populaire à l’effet que cette guerre n’est qu’une vaste entreprise de prédation. En Russie, les socialistes s’adressent aux soldats, « abandonnez cette guerre pourrie, ce n’est pas la vôtre. Ne tirez pas sur les manifestations… » En février 1917 puis en octobre, l’armée s’écroule, le régime tombe, c’est l’irruption des soviets. Ailleurs en Europe, on se dit, « pourquoi pas nous ?! » En Allemagne, les socialistes de Rosa Luxembourg et les ouvriers renversent le gouvernement impérial. En Italie, en Hongrie et ailleurs, des insurrections populaires surviennent.

L’autre guerre

Devant cela, les puissances cessent leurs hostilités et retournent leurs armes contre les insurgés, surtout en Russie. La guerre « civile » perpétue la guerre inter-impérialiste. Les puissances ne réussissent pas à vaincre les soviets, par contre, ils brisent la révolution européenne. Peu à peu, la flamme de la résistance se déplace vers l’est, notamment vers la Chine où s’amorce une autre grande épopée. En 1939, la guerre inter-impérialiste reprend. C’est la même guerre, mais cette fois, les peuples finissent par avoir le gros bout du bâton. Mais ça, c’est une autre histoire.

Cent ans plus tard

À Sarajevo la semaine prochaine, la discussion portera surtout sur ce qui se passe maintenant. La « guerre sans fin » amorcée en 2003, mais qui approfondissait l’offensive impérialiste des États-Unis après 1989, a bousculé la donne et continue de faire des ravages dans un vaste arc des crises qui s’étend du Pacifique à l’Atlantique via l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe du Sud. Un empire déclinant, les États-Unis, cherche désespérément, avec ses alliés-subalternes européens et canadiens, à préserver sa domination. Des pays « émergents », la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et d’autres, sont dans leur chemin, d’où des tas de « petites » guerres périphériques. Ces conflits très meurtriers et destructeurs (pensons à l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie) sont des guerres « par procuration » où s’affrontent les États-Unis et les « émergents ». Les enjeux géopolitiques se combinent aux guerres pour les ressources, ce qui fait que des pays en apparence sans beaucoup d’importance deviennent des lieux de grandes confrontations. En Ukraine, la Russie tient à garder le contrôle sur sa « périphérie proche », pendant que les États-Unis ont en tête de disloquer ce qui reste de l’ancienne URSS. En Asie-Pacifique, il est important pour les États-Unis d’empêcher la Chine de devenir une puissance régionale, d’où ses tentatives de coaliser les autres pays asiatiques craintifs de la montée chinoise. En Syrie et en Irak, les enjeux sont également de contrôler le « périmètre » du Golfe totalement sous la coupe des États-Unis (via les pétromonarchies) et d’affaiblir l’Iran, potentiel allié stratégique des « émergents ». Certes, toutes ces situations sont spécifiques et ne peuvent se réduire à la seule dynamique des affrontements inter-impérialistes.

L’histoire ne se répète pas

Il est peu probable que la « troisième » guerre mondiale n’éclate comme celles qui ont fait du vingtième siècle une des périodes les plus meurtrières dans l’histoire de l’humanité. Poussée en avant par un capitalisme prédateur qui ne tolère aucune entrave devant sa soif insatiable d’accumulation, la confrontation est quand même à l’ordre du jour. « Vieux » Empires et puissances « émergentes » sont entrés dans une spirale dont on voit les éclats dans des lieux obscurs (Alep, Bengazi, Tombouctou, Kandahar, Gaza), dont 99 % des gens ignorent l’existence, sans savoir que s’y jouent les alignements géopolitiques de plus en plus dangereux. Chose certaine, les États-Unis, comme un ours blessé, deviennent de plus en plus erratiques. Ils perdent du terrain, mais ils restent extrêmement puissants, bien que divisés. Nos élites canadiennes et québécoises, alignés à 99,9% sur cet Empire, sont non seulement aveugles et autistes face à cette montée de tous les dangers, mais coupables et responsables d’en être des participants actifs, même si la « puissance » canadienne est plutôt dérisoire. La population québécoise, dans sa vaste majorité, n’est pas dupe, et comme nos ancêtres il y a 100 ans, nous avons dit et nous dirons un retentissant NON à ces guerres.

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