Édition du 18 juin 2024

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Arts culture et société

1900 (Novecento)

Presse toi à gauche republie cette critique du film 1900 en hommage au cinéaste Bernardo Bertolucci suite à son décès. C’est lui qui nous a donné, entre autres choses, une des fresques historiques les plus intéressantes de l’histoire politique italienne du XXe siècle. Sa caméra ne pourra même plus servir à tourner des images muettes.

Le film se déroule en Italie durant la période des années troubles qui vont du début du XXe siècle à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en Italie (les deux guerres mondiales avec en prime des conflits sociaux majeurs et les fascistes au pouvoir de 1922 à 1945), avec un léger débordement à la toute fin du film, que nous préciserons plus loin. Le récit va du jour de la naissance à quelques minutes près, d’un fils de paysan, Olmo Dalco (interprété par Gérard Depardieu) et d’un fils de propriétaire terrien, Alfredo Berlinghieri (joué par Robert de Niro), durant l’été 1900, jusqu’au jour de la libération nationale, le 25 avril 1945.

La paysannerie d’un côté, les propriétaires terriens (les seigneurs) de l’autre. Un demi-siècle durant lequel nous voyons l’amitié évoluer en dents de scie entre ces deux rejetons issus de deux milieux sociaux différents et séparés par la barrière de la richesse : rien pour le fils de paysan et tout pour le fils du seigneur (le « maître »). Une relation d’amitié qui sera soumise à de rudes épreuves et qui n’échappera pas aux oppositions politiques qui ont marqué l’Italie durant ces années d’affrontements idéologiques entre les « forces de l’ordre » (la royauté et le fascisme) et les « forces du désordre » (le socialisme et le communisme).

Un récit lyrique qui nous met en présence de femmes et d’hommes, de vieilles et de jeunes personnes. Le luxe d’un bord et la misère de l’autre. La richesse ostentatoire pour une minorité et le dénuement quasi complet pour la majorité. Dans ce film, il y a : des mensonges des seigneurs, de fausses accusations lancées par des fascistes, de la violence, de l’abus sexuel, des meurtres, du vol, de l’expropriation, de l’escroquerie, de la complicité du curé dans le processus de montée des Chemises noires en Italie, de la cruauté envers les animaux, de certaines perversions sexuelles, de la désinhibition, de l’exploitation économique abusive, de la résistance, de la haine sociale, de l’amour de la terre, du raffinement aristocratique et bourgeois, du folklore paysan, de l’alcool, de la drogue, de la vengeance, de la scatologie, etc. Bref, il y a dans cette œuvre cinématographique, comme dirait saint François de Sales, « de l’homme et de l’hommerie ».
 
Le film se déroule dans un village rural de l’Émilie durant la première moitié du vingtième siècle. Il est question du passage de l’activité agricole manuelle, qui repose sur l’utilisation de la force de travail humaine, à l’introduction de la racleuse mécanique et de la machine motorisée. Cette révolution mécanique, dans l’activité agricole, a pour effet de contraindre les paysans à abandonner la terre et à fuir le monde rural pour aller vers des lieux de résidence (la ville ou l’exil ?) non précisés dans le film. 
 
Synopsis

Deux enfants naissent le même jour sur les terres du Seigneur Berlinghieri. Le premier, Olmo, est issu de la famille métayère qui a pour patriarche Leo Dalco et le deuxième, Alfredo, est le petit-fils du patriarche-propriétaire terrien. À la mort de leurs grands-pères, ces deux personnages vont suivre les bouleversements économiques et politiques qui ont marqué l’Italie de 1900 à 1945. Ils seront et resteront séparés par leur origine sociale opposée, l’amour de femmes différentes et leurs aspirations politiques antagonistes. 
 
De retour de la Grande guerre en 1918 (la Première Guerre mondiale), Olmo voit les progrès du machinisme en agriculture et prend pour femme une institutrice du prénom d’Anita qui a des idées progressistes et révolutionnaires. Elle donne des leçons d’alphabétisation à des paysans illettrés. Ils sont témoins de l’expulsion de la main-d’œuvre paysanne des terres seigneuriales par les Gardes Royaux. L’incendie de la Maison du peuple (la Casa del Popolo), perpétrée par la troupe de choc du contremaître Attila (il se surnomme le « chien de garde » du domaine du seigneur) annonce la progression des fascistes. Anita ne survivra pas à son accouchement fatal.

Alfredo hérite du domaine seigneurial paternel et épouse la citadine Ada, une femme émancipée qui a des idées et des comportements très modernes pour son époque. Elle souhaite le congédiement d’Attila lequel met sur pied une brigade qui se spécialise dans la lutte contre les syndicats, les socialistes et les communistes. Olmo devient communiste, tandis qu’Alfredo renonce à ses idéaux libéraux et compose, pendant plusieurs années, avec les Chemises noires avant de s’en dissocier. Le jour de la libération nationale, le 25 avril 1945, les paysannes et les paysans révolté-e-s veulent régler leur compte avec celles et ceux qui les ont fait tant souffrir. Ils-elles prennent d’assaut la propriété de Berlinghieri.

Ils-elles pourchassent les fascistes et déclarent le patron « mort ». Entre les deux rejetons nés le même jour, c’est le moment de l’affrontement tant attendu depuis de trop longues années par le militant communiste qu’est devenu Olmo. L’affrontement se perpétuera entre nos deux protagonistes jusqu’à la décennie soixante-dix. Las de ces querelles interminables avec son ami d’enfance, le patron Alfredo décide de mettre un terme à sa vie en laissant passer sur son corps un convoi ferroviaire.
 
Sur la portée du film

Ce film est une très longue fresque historico-politique fort réussie. À la limite, la durée du film peut rebuter : 315 minutes dans sa version originale (oui, 5 heures et quart au total). On retrouve dans cette œuvre cinématographique de Bertoluci des drames humains, le dur labeur de la classe paysanne, les ravages de l’industrialisation sur la main-d’œuvre agricole, des échecs personnels, l’échec de la lutte politique du Parti communiste italien, les espoirs populaires le jour du renversement de la dictature fasciste de Mussolini et de certains vices humains totalement intolérables. Ce film illustre ce qu’ont pu représenter les résidus de cette vieille Italie féodale au début du vingtième siècle et l’échec de l’espérance socialiste dans ce pays européen bordé par les mers Méditerranée et Adriatique. 
 
La réalisation cinématographique de Bertoluci constitue une invitation à nous interroger sur la trame de l’histoire : s’agit-il de la célèbre formule de Hegel et de Marx concernant la confrontation entre la thèse et l’antithèse dont il est présumé qu’elle débouche sur une synthèse libératrice ? Ou plutôt l’histoire ne serait-elle pas le résultat d’un mouvement dynamique, complexe et contradictoire entre les forces de l’ordre et les forces du désordre ? L’ordre finissant toujours par s’imposer, même précairement et provisoirement, mais surmontant en définitive le désordre. À observer le combat physique entre les deux principaux personnages du film (Olmo et Alfredo) de 1945 au début des années soixante-dix, nous comprenons que l’alternance politique sans alternative réelle ne contribue qu’à une seule chose : la recomposition des forces politiques dirigeantes qui accorde plus ou moins de reconnaissance sociale et politique aux forces d’opposition. 
 
Soyez avisé-e-s que certaines scènes de ce film ne passeraient plus aujourd’hui sur les grands écrans des salles de cinéma. Bernardo Bertoluci se ferait probablement accuser de nous présenter de la pédophilie et de la paraphilie.

1900(Novecento)
Bernardo Bertoluci
Italie, 1976

Yvan Perrier

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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