Tous ceux et celles qui suivent la politique canadienne savent maintenant qu’il a gagné la course à la direction du parti comblant ainsi le poste laissé libre par la mort de Jack Layton. Il l’a remporté avec 57% des voix contre 43% pour son adversaire, Brian Topp au quatrième tour de scrutin le 24 mars dernier à Toronto. Cette victoire, pour le plus connu des représentants québécois au parlement, ne fut pas une grande surprise. Il était considéré par la plupart des observateurs-trices comme l’artisan des succès du parti en mai dernier avec l’élection de 59 députéEs sur les 75 du Québec, qui a propulsé le parti à la fonction d’opposition officielle avec la dose de crédibilité nécessaire pour être le prétendant au gouvernement du pays pour la première fois de son histoire. Mais qu’est-ce que cette élection d’un ancien libéral veut dire pour l’avenir du N.P.D. ? La réponse n’est pas claire mais certaines évidences se font jour.
Modernisation ?
Thomas Mulcair n’a jamais donné beaucoup d’informations précises sur ses intentions au cours de la course à la chefferie. Ses adversaires ne l’ont pas non plus poussé à le faire. Tous et toutes ont déclaré vouloir poursuivre « le legs de Layton ». M. Mulcair a vaguement parlé de « moderniser » le parti, de revoir la vieille rhétorique à propos du « peuple travailleur » et que le parti devait faire la preuve de sa capacité à « gérer l’économie ». Mais il y avait suffisamment de preuves pour soulever des inquiétudes quant à son adhésion aux politiques de justice sociale depuis longtemps mises en tête des luttes par le N.P.D. Le commentateur Murray Dobbin, sympathisant du N.P.D., l’a qualifié, au cours de la campagne de « Gros L, de libéral de cœur, qui n’est surement pas si loin du 1% décrié par ceux et celles du mouvement Occupy ».
M. Dobbin a souligné que M. Mulcair a appuyé l’ALÉNA sur lequel les mouvements ouvrier et environnementaliste ont pourtant jeté l’anathème. Dans une récente entrevue, il a dit que l’ALÉNA a été le premier traité international à inclure l’environnement. Vous ne pouvez pas jeter le bébé avec l’eau du bain a-t-il ajouté. Pour M. Dobbin : « les traités sur la libération du ciel », (ondes et navigation aérienne), et l’ALÉNA sont les traités politiques les plus nocifs que le pays ait eu à subir. Ils ont introduit des décennies de baisses de salaires, de prédation des ressources naturelles, de baisse de la productivité, de disparition de plusieurs milliers des meilleurs emplois du pays. Et quoi qu’en pense M. Mulcair dans sa naïveté, ils ont créé les conditions pour virtuellement mettre fin à toute législation fédérale sur l’environnement, surtout depuis que le pays a perdu deux poursuites en vertu de l’ALÉNA ». Mais le N.P.D. a depuis longtemps abandonné toute velléité d’opposition à ce traité. Il n’a pas non plus fait campagne contre le traité de libre échange avec l’Union européenne actuellement en cours de discussion dans le plus grand secret.
Quant aux positions de M. Mulcair sur l’environnement, il en a donné une idée en 2007, en réponse aux questions de Kady O’Malley. Il se présentait comme politicien. Il lui a dit : « Au-delà de quoi que ce soit d’autre, je suis d’abord un administrateur public. J’ai dirigé au Québec, la plus grande administration de régulation, l’Office des professions. J’y ai réduit le personnel et introduit des méthodes de gestion qui l’ on rendu plus efficace. Quand j’ai été ministre de l’environnement, j’ai réduit de 15% le budget du ministère… ».
Les défenseurs de la solidarité avec les PalestinienNEs se sont à juste titre alarméEs de l’appui inconditionnel de M. Mulcair à Israël. Le co-président de sa structure de campagne, M. Lorne Nystrom est directeur du Center for Israël and Jewish Affaires. C’est le principal groupe de pression en faveur d’Israël (au Canada). Alors qu’il agissait comme co-responsable du N.P.D., M. Mulcair a publiquement humilié une députée de Vancouver, Libby Davies, en la forçant, avec la complicité de Jack Layton, à revenir sur sa déclaration à l’effet qu’Israël occupait le territoire palestinien depuis 1948.
Même s’il n’a probablement pas sollicité leur appui, il semble que M. Mulcair ait été élu par des éléments qui ne sont pas réputés pour leur sympathie envers le parti.
Le journaliste et militant Derrik O’Keefe, a examiné la liste de ceux et celles qui ont contribué à la campagne à la chefferie du N.P.D., grâce au site d’Élections Canada. Il a trouvé parmi les soutiens à la candidature de M. Mulcair, le nom du financier multimillionnaire, M. Gerald Schwartz le p.d.g d’Onex Corporation et cofondateur de CanWest Global Communications. Avec son épouse, Mme Heather Reisman, fondatrice et p.d.g. de l’entreprise Indigo Books and Musik, cet homme d’affaire a fondé la Heseg Foundation for Lone Soldiers, une ONG qui fournit des fonds pour aider les non-israéliens ayant servi dans l’armée israélienne. En 2006, M. O’Keefe a noté : « …ce couple a fait les manchettes parce qu’il a abandonné son traditionnel appui aux Libéraux pour le porter vers les Conservateurs après que Stephen Harper ait décidé d’appuyer les attaques militaires d’Israël contre le Liban ».
Cette contribution à la campagne à la chefferie de Thomas Mulcair, accompagne celle d’un autre dirigeant d’Onex, M. Anthony Munk, qui est également un des directeurs de Barrick Gold, le géant minier canadien, qui a été fondé par son père, M. Peter Munk. Barick est particulièrement visé par les critiques des environnementalistes et des Amérindiens qui se battent dans divers pays contre son pillage des ressources naturelles et sa destruction des communautés.
Il faut aussi souligner la couverture particulièrement sympathique de la campagne de M. Mulcair, par les principales chaines de journaux du Canada soit, Postmedia (nouveau nom de CanWest), groupe Gesca, une division de Power Corporation, propriété de la famille Desmarais.
Et les libéraux ?
Toutefois, nous n’avons pas vu de véritables différences fondamentales entre les positions des candidatEs au cours des cinq débats publics [1] En fait, le débat qui a fait le plus les manchettes portait sur la pertinence pour le N.P.D. de rechercher des alliances formelles avec les Libéraux, voire de s’y intégrer. Ce débat a encore augmenté maintenant que le chef par intérim des Libéraux est M. Bob Rae, ancien premier ministre N.P.D. de l’Ontario et qu’il partage les bancs de l’opposition avec M. Mulcair, ex-libéral lui-même.
Même si M. Mulcair pouvait, comme le soutiennent plusieurs, transformer le N.P.D. en une version quelconque du New Labor de Tony Blair, et même s’il était le plus capable de battre les Libéraux ou d’opérer la fusion avec eux, il n’en reste pas moins qu’en ce moment, le N.P.D. est déterminé à raffermir sa position de « gouvernement en devenir » et de remplacer l’actuel gouvernement de Stephen Harper aux prochaines élections dans trois ans. Les Libéraux sont encore en train de travailler pour reprendre leur position historique de « parti naturel de gouvernement ». Il ne fait pas de doute que le N.P.D. serait prêt à s’allier à eux s’il le fallait pour se débarrasser du gouvernement conservateur.
Le projet de coalition signée en 2008 par M. Layton, avec les Libéraux et le Bloc québécois, a été un ultime effort pour défaire le gouvernement Tory minoritaire de l’époque. Un tel arrangement n’a plus de pertinence, puisqu’il est impossible de défaire le gouvernement par un votre parlementaire. Toutefois, parmi les membres du N.P.D. il n’y a pas de véritable opposition à une alliance avec les Libéraux. On a pu le voir, au cours du vote à la chefferie, où tous les membres votaient en donnant leur liste de candidatEs par ordre de préférence. À peu près la moitié des membres ont voté au premier tour, le seul où tous les candidatEs étaient en lice. Il constitue donc une indication fiable quant aux sentiments des militantEs à ce sujet.
Au cours de ce premier tour, les trois candidats les plus en vue, Ms Mulcair, Topp et Nathan Cullen ont récolté les deux tiers des suffrages exprimés. Ce sont ceux qui étaient les plus identifiés à une possible collaboration avec les Libéraux. Brian Topp avait été l’architecte de l’accord sur la coalition de 2008 ; il a même écrit un livre à ce sujet. [2] Nathan Cullen a participé au débat en proposant, significativement, que les deux partis tiennent des assemblées d’investiture conjointes de manière à présenter des candidatEs communEs aux prochaines élections. Quant aux liens de T. Mulcair avec les libéraux, ils sont bien connus. Dans ce contexte, le député Pat Martin n’était pas mal venu de mettre de l’avant sa promesse (sa menace ?) de se présenter à la chefferie si aucunE des candidatEs ne soutenait une éventuelle fusion avec le parti libéral !
Et le Québec ?
La question du Québec est toujours présente ; c’est l’historique talon d’Achille du parti. En fait, il n’y a eu aucun débat à ce sujet durant la course, parce que tous et toutes sont d’accord pour défendre fermement le fédéralisme tout comme le parti. Et Thomas Mulcair encore plus que les autres. Même s’il a longtemps été libéral, (certains disent qu’il a même un temps pensé à passer chez les conservateurs), on retrouve une constante dans son parcours de carrière politique : son hostilité pour le mouvement indépendantiste soutenu par une vaste majorité des progressistes au Québec. Il a été conseiller-juridique d’Alliance Québec, le groupe de pression anglophone québécois, financé par le gouvernement fédéral qui a mené de multiples batailles en cour contre la Charte de la langue française, la loi 101.
Personne au Québec ne s’attend à ce que le N.P.D. soutienne l’indépendance. Mais, en 2011, le parti a procédé à des aménagements pour s’attirer le soutien de ces QuébécoisEs qui cherchent une alternative aux Conservateurs de S. Harper. Il ne leur a pas simplement montré une plus grande ouverture que les autres partis fédéralistes à propos de leurs préoccupations pour la langue, mais il est allé jusqu’à leur reconnaître le droit à l’auto-détermination en leur promettant que si une majorité venait à voter pour la souveraineté dans un futur référendum, il le reconnaîtrait. M. Mulcair n’a pas participé à cette résolution ; elle a été adoptée avant son arrivée au parti. Elle est identifiée comme « la déclaration de Sherbrooke ».
Toutefois, il était un des architectes de la coalition avec les Libéraux en 2008. Cette entente s’est faite avec la promesse du Bloc québécois de ne pas voter avec les Conservateurs pour défaire le gouvernement libéral minoritaire de l’époque durant les six mois à courir sur son mandat. Il se peut bien que cette manœuvre, de la part de Jack Layton, qui amenait le Bloc à se joindre au Libéraux de Stéphane Dion, l’auteur de la détestée « loi sur la clarté », ait donné aux QuébecoisEs le message que le N.P.D. était un parti fédéraliste qui leur était plus sympathique. Et les Conservateurs ont renforcé cette perception en attaquant l’accord d’abord et avant tout sur cette base.
Est-ce que cela suffira à renforcer la faible structure du parti au Québec ? Durant la course à la chefferie, le parti a réussi à amener le nombre de ses adhérantEs à 12,000, soit moins de 10 % du total canadien et bien loin des objectifs de 20,000 que visait M. Mulcair. Depuis l’élection de 2011, le Bloc a regagné des appuis et un récent sondage le mettait nez à nez avec le N.P.D. Le Bloc a trois fois plus de membres que le N.P.D. et bénéficie de la collaboration de la puissante machine électorale du P.Q.
Le nouveau chef du Bloc, Daniel Paillé reconnait que le N.P.D. dirigé par Thomas Mulcair représente un grand défi pour sa formation. Mais il ajoute, avec justesse, que le N.P.D. va bientôt révéler sa vraie couleur en défendant les intérêts « Canadiens » contre ceux du Québec. Le chroniqueur du Devoir, Michel David, note avec perspicacité que M. Mulcair détient toutefois un argument que le Bloc ne peut utiliser : il peut prétendre à remplacer le gouvernement Harper. Comment cela va se jouer dans le futur ? Tout dépend de la capacité du mouvement indépendantiste à se sortir de la crise dans laquelle il se débat en ce moment et peut reprendre sa marche en avant. Dans ce cas, le N.P.D., qui se concentre en ce moment sur la progression de ses gains au Canada anglais lors de la prochaine élection, pourrait être confronté à des dilemmes majeurs.
Nous avons eu un avant-goût de ces tensions durant un des débats. Lorsque Peggy Nash a avancé que l’affermissement de la loi sur la santé, cette loi qui impose des conditions d’investissements aux provinces qui ont le pouvoir sur la distribution des soins de santé, devrait être amendée pour satisfaire les préoccupations québécoises. Les autres candidatEs s’en sont vite dissociéEs. Ce fut la seule fois où, dans les débats, les particularités du Québec ont été évoquées. Peggy Nash, qui a siégé à la direction des Travailleurs canadiens de l’automobile, avait probablement en tête la pratique des syndicats canadiens qui organisent des accommodements pour leurs affiliés du Québec en leur accordant une large autonomie. Le N.P.D. n’a jamais eu de telles dispositions envers ses adhérantEs québécoisEs.
La marginalisation du monde ouvrier
On a pu observer, au cours de l’assemblée d’investiture la marginalisation à venir du monde ouvrier dans ce parti. Lors de la précédente, en 2003, on avait attribué d’office 25% des votes aux syndicats. Cela était conforme à sa constitution et aux pratiques historiques du parti qui leur ont toujours donné un poids important à la direction des instances. C’est au lendemain de cette assemblée d’investiture que le parti est passé à la formule unE membre un vote pour élire son chef. Cela a été provoqué en partie par des modifications à la loi fédérale sur le financement des partis qui bannissaient la contribution des syndicats. Le N.P.D. a donc pu, ainsi, avoir accès aux financements publics comme tous les autres partis. En plus, les individuEs peuvent réclamer jusqu’à 75% de leur contribution, autre manière pour l’État de financer les partis via les impôts. Le N.P.D. dépend donc, maintenant, de cette source pour l’essentiel de ses activités.
Comme l’a noté Murray Cooke, ces changements et l’adoption de la formule unE membre un vote a abouti à une relative marginalisation du caucus parlementaire fédéral, des puissantes ailes provinciales, des syndicats et des militantEs de terrain. Et il ajoute : « Détenant un contrôle solide sur le parti, Jack Layton était capable de modérer, simplifier et organiser avec précaution le message du parti. Il a tout simplement enterré bien des politiques controversées. Durant la campagne électorale de 2004, il a personnellement éliminé des revendications du parti, le retrait du Canada de l’OTAN [3] Cela faisait pourtant des lustres qu’il y figurait. Jack Layton s’est toujours, durant chaque campagne électorale, concentré sur un petit nombre de bien modestes réformes à faire. De plus en plus, le N.P.D. s’est mis à parler pour le « classe moyenne » canadienne. En 2011, il proposait la réduction des impôts des petites entreprises pour récompenser les « créateurs-trices d’emploi ». Il est clair que la plateforme de 2011 a été la plus modérée de toutes celles qui l’ont précédé,quels que soient les chefs de l’époque ».
Toutefois, la marginalisation de la base ouvrière du parti n’a pas commencé sous le leadership de J. Layton. Depuis que les politiques néolibérales ont cours, depuis quelques dizaines d’années, bien des syndicats s’étaient éloignés du parti et pas seulement à sa demande. On se rappellera des approches des dirigeantEs du Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile auprès des Libéraux. C’était pourtant un syndicat hautement respecté par ses membres pour sa vigueur à lutter contre les demandes de concessions patronales dans les conventions collectives. C’est un symptôme d’un courant général accolé aux politiques de baisses des salaires, des conditions de travail et des programmes sociaux des néolibéraux.
Au cours de cette course à la chefferie, Peggy Nash a été la seule candidate issue du Syndicat canadien de l’automobile donc, issue du milieu ouvrier. Deux autres se sont retiréEs de la course avant la fin. Peut-être que ça ne veut rien dire, mais elle était la première de toute l’histoire du parti à parvenir à cette étape. Pourtant elle n’a pas été appuyée par les autres dirigeantEs syndicaux-ales aux commandes du parti. Elle a finalement fini au quatrième rang avec seulement 12% des suffrages exprimés dès le premier tour.
Une approche alternative ?
Ce qui est le plus notoire, c’est que cette distanciation des membres issuEs de la classe ouvrière n’a pas donné lieu non plus, à des rapprochements du parti avec ses organisations locales qui se battent en première ligne, sur le terrain, contre les attaques des capitalistes. Seule, Niki Ashton, qui n’a obtenu que 5% des voix au premier tour, a fait une lointaine allusion à la lutte des étudiantEs du Québec pour un meilleur accès aux études supérieures.
Il arrive que le N.P.D. soit un outil efficace pour les militantEs qui luttent en dehors du parlement. En juin dernier, les nouveaux et nouvelles députéEs ont utilisé toutes les astuces du code procédural de la Chambre pour s’opposer au retrait du droit de grève des travailleurs-euses de Postes Canada. CertainEs ont même participé à des ralliements publics. Ces actions ont aidé à mettre la lumière sur ce conflit et a permis au parti de faire un bond dans les sondages.
Les gouvernements, partout dans le pays, s’attaquent maintenant aux syndicats des secteurs publics, aux services publics et aux populations les plus pauvres et les plus vulnérables, que ce soient les mères bénéficiant de l’aide sociale ou les retraitéEs. Ils ont tous le même programme d’austérité accrue et de coupes dans les services. Le N.P.D. va donc faire face à des défis de plus en plus importants que ce soit sur le front économique, social, constitutionnel et international. Avec M. Mulcair aux commandes nous avons bien des signaux qu’une forte tendance du parti vers la droite est en marche.
Par-dessus tout, le parti sort de cette course à la chefferie bien mal armé pour faire face à la crise ambiante. Ses leaders montrent à l’envie qu’ils veulent arriver au gouvernement dans trois ans avec un autre programme qui ne se démarque que peu de celui des Conservateurs. Il se peut bien que ce soit suffisant en période électorale. Mais ça n’a que peu à voir avec la nécessité de construire un vaste mouvement populaire capable de venir à bout des assauts néolibéraux.