I : Un moment de vérité pour les syndicats canadiens
Les éléments qui nous ont amenés à ce moment de vérité sont bien connus :
– l’érosion persistante du taux de syndicalisation, particulièrement dans le secteur privé (17 % et en baisse constante) ;
– l’échec des efforts de syndicalisation pour compenser les fermetures d’usines et suivre la croissance de la population active ;
– le déclin de la part de la richesse nationale détenue par les travailleuses et les travailleurs ; le pouvoir d’achat stagnant ou en baisse chez les familles ayant un revenu de travail ;
– la recrudescence de l’hostilité politique des gouvernements de droite ; Exemples : Les trois interventions du gouvernement Harper dans les négociations collectives libres en six mois ; les nouvelles attaques antisyndicales attendues en Saskatchewan ; les attaques contre les conventions du SCFP à Toronto ; les lois antisyndicales dans 20 états américains ;
– les agressions des employeurs internationaux contre des dispositions clés des conventions collectives et la création de syndicats ; par exemple : les conflits entre Vale, US Steel et les métallos ;
– un changement de génération spectaculaire au sein des syndicats : les vétérans du mouvement syndical prennent leur retraite et les syndicats font face à de nouveaux défis pour recruter, organiser et servir les plus jeunes ;
– l’opinion publique de plus en plus défavorable aux syndicats et la perception que ceux-ci servent leurs propres intérêts et sont dépassés ;
– la paralysie et le dysfonctionnement de certaines centrales syndicales (sauf exceptions) ;
– jusqu’à ce jour, l’échec du mouvement syndical à se réorganiser et à aborder la question des trop nombreux syndicats (57 affiliés au CTC), l’incapacité de lancer et de piloter des campagnes fructueuses et le manque de coordination entraînant le chevauchement des ressources et des services syndicaux.
Si les syndicats n’évoluent pas rapidement, nous suivrons le déclin continu des syndicats américains. Le taux de syndicalisation dans le secteur privé au Canada est déjà aussi (voir :Document de travail pour les discussions entre les TCA et le SCEP) faible qu’il l’était lorsque Reagan a maté les contrôleurs aériens aux États-Unis. Nous devons renverser cette érosion de nos membres, de notre pouvoir et de notre prestige.
Aujourd’hui, il est clair que des occasions, et pas seulement des menaces, se présentent aux syndicats. Le capitalisme mondial démontre qu’il est incapable de se réformer et nous sommes sans doute au début d’une longue période de perturbations et de stagnation économiques. Le public est de plus en plus préoccupé par les inégalités, les excès et l’irresponsabilité des riches et des chefs d’entreprises, comme le montrent les appuis surprenants récoltés par les indignés du mouvement d’occupation. Si les syndicats arrivent à s’affirmer comme porte-paroles légitimes de ce mécontentement et à canaliser la colère et les préoccupations des Canadiennes et des Canadiens dans une voie progressiste et efficace, nous pourrions émerger plus forts et plus confiants de la crise actuelle, comme l’ont fait nos prédécesseurs à la fin des années 1930, grâce aux stratégies novatrices de recrutement et de négociations ainsi qu’à la volonté de défier ouvertement les échecs politiques et économiques de cette pénible époque.
II : Vers un nouveau syndicalisme canadien
Dans ce contexte troublant, les dirigeants des TCA et du SCEP ont récemment entamé des pourparlers sur la façon dont le mouvement syndical devrait réagir. Ils ont discuté plus particulièrement des possibilités qu’offrirait un nouveau syndicat canadien pour redonner au mouvement son pouvoir et sa capacité d’innover. Il a été convenu que le mouvement syndical canadien de 2011 doit se régénérer, devenir plus dynamique et exercer une nouvelle influence sociale. Ils ont également reconnu que le mouvement syndical canadien ainsi que chacun de nos syndicats subiront des changements majeurs au cours des prochaines années alors que les conditions socioéconomiques se transforment progressivement. Le SCEP et les TCA ont maintenant l’occasion d’orienter et de façonner ces changements plutôt que d’attendre passivement de les subir.
Nous croyons que l’idée d’une nouvelle force syndicale canadienne s’impose avec une capacité de réussir et de croître d’une manière que nos syndicats actuels sont incapables d’initier. Ce nouveau syndicat canadien pourrait offrir d’importantes occasions de mettre à profit nos traditions et nos succès antérieurs, de créer une nouvelle identité, une nouvelle présence, une nouvelle « marque » et un nouveau pouvoir pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs et d’attiser le changement social.
Le but d’un nouveau syndicat n’est pas seulement de créer une organisation plus « imposante ». D’autres syndicats ont tenté cette approche et les résultats ont souvent été décourageants. Bien qu’une plus grande organisation offre de nombreux avantages, notamment en réduisant les chevauchements et en bénéficiant des synergies dans les infrastructures et les services, le mouvement syndical d’aujourd’hui doit rechercher davantage. La formation d’un nouveau syndicat doit être fondée sur le désir et la volonté de moderniser nos pratiques, d’innover avec de nouveaux modèles de recrutement et de services aux membres et de rebâtir notre image auprès des travailleuses et des travailleurs.
Ce nouveau syndicat devra s’adresser à la population canadienne de façon différente. Il devra être un mouvement de travailleuses et de travailleurs dynamique, sectoriel et axé sur la communauté, plus invitant et qui répond davantage aux besoins des travailleuses et des travailleurs, contrairement aux organisations d’aujourd’hui. Un nouveau syndicat devra atteindre la masse critique, posséder l’envergure et les ressources nécessaires pour gagner des luttes cruciales, recruter avec succès et exercer l’influence politique à titre de syndicat social. Il devra être en mesure de développer de nouvelles méthodes de recrutement et de représentation des travailleuses et des travailleurs sur le marché du travail précaire et hyper-flexible d’aujourd’hui. Il devra posséder les qualités, établir les priorités et les stratégies qui permettront de surmonter les contraintes et les obstacles économiques, politiques et culturels auxquels nous nous heurtons actuellement.
Les qualités, les priorités et les stratégies d’un nouveau syndicat doivent résulter d’un dialogue et de débats soutenus, arrimés à une vision. Toutefois, lors de cette discussion ouverte, les dirigeants ont reconnu que les possibilités et les principes qui suivent s’appliquent à un nouveau syndicat. Les discussions préliminaires ont également cerné des questions qui devront être abordées et des défis qui devront être relevés à mesure que nous progressons.
III : Caractéristiques et stratégies nécessaires pour assurer le succès d’un nouveau syndicat
– Bien que la mise sur pied d’une plus grande organisation ne soit pas une raison suffisante en-soi pour former un nouveau syndicat, il n’en demeure pas moins que sous certains aspects sa taille représente un atout certain :
- un plus grand nombre de membres ;
- une visibilité, une crédibilité, une influence accrues auprès du public, des gouvernements, des employeurs ;
- un plus grand poids économique au besoin ;
- un fonds de grève plus important pour appuyer les « luttes épiques » contre les entreprises, une situation de plus en plus fréquente.
– La création d’un nouveau syndicat serait une occasion de bâtir une « image de marque » et de faire connaître un nouveau modèle de syndicalisme industriel pancanadien. Cette image de marque améliorée sera essentielle pour attirer de plus en plus de travailleuses et de travailleurs qui désirent adhérer à un syndicat :
- un nouveau syndicat ne sera pas axé sur « qui nous sommes » (par ex., travailleuses et travailleurs de l’automobile, du papier, etc.), mais plutôt sur ce que nous croyons et faisons ;
- un nouveau syndicat doit offrir une représentation exceptionnelle à ses membres (obligation de rendre des comptes, efficacité, combativité) ;
- un nouveau syndicat doit préserver l’identité et les structures sectorielles (par ex., contrats types) au sein d’un syndicat unifié et diversifié.
– Un nouveau syndicat pourrait provoquer une vague de changements dans le monde syndical canadien et attirer d’autres partenaires. Un nouveau syndicat devra être ouvert à toutes celles et à tous ceux qui partagent la vision d’un syndicat social plus fort, plus imposant, au Canada.
– Un nouveau syndicat pourrait conjuguer ses ressources et les utiliser plus efficacement dans plusieurs domaines :
- pour réaliser des économies d’échelle en recherche, en éducation et en services juridiques ;
- en fusionnant ses infrastructures (administration, édifices, etc.) ;
- en évitant les chevauchements de services. Un nouveau syndicat pourrait profiter de sa création pour restructurer ses sections locales afin d’offrir à chacune une masse critique plus vigoureuse et plus axée sur la communauté :
- fusion des plus petites sections locales dans des sections locales
communes plus importantes.
– Un nouveau syndicat industriel pourrait avoir comme objectif de renforcer et d’élargir sa présence et sa masse critique dans des secteurs clés de l’économie :
- raviver et élargir la négociation collective sectorielle ; consolider et renforcer les structures de négociation et les conseils sectoriels ;
- prôner l’élaboration de visions de rechange en matière de développement économique pour chacun des secteurs et y consacrer les ressources nécessaires.
– Un nouveau syndicat se définirait comme une force de combat non seulement pour ses membres, mais aussi pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs :
- en offrant des services et du soutien aux travailleuses et aux travailleurs non syndiqués engagés dans des luttes et des conflits ;
- en accordant la priorité et les ressources à des campagnes novatrices, créatives pour recruter de nouveaux membres ;
- en développant des façons plus efficaces et durables de servir les plus petites unités de négociation ;
- en utilisant sa structure de sections locales amalgamées pour s’affirmer comme le porte-parole des travailleuses et des travailleurs dans chaque communauté et en s’investissant régulièrement dans des campagnes et des luttes locales ;
- de cette manière, les ressources combinées et la plus grande visibilité du nouveau syndicat sont utilisées pour véritablement développer une nouvelle forme de syndicalisme : un syndicalisme qui correspond à la lutte plus large que mènent toutes les travailleuses et tous les travailleurs pour la justice et la sécurité.
– Un nouveau syndicat viserait à provoquer un « changement culturel » au sein du personnel et des dirigeantes et des dirigeants des sections locales qui transcenderait les activités de service afin que ces personnes considèrent leur travail comme un apport au renforcement du mouvement syndical :
- en mettant l’accent sur le recrutement de nouvelles unités ;
- en s’impliquant davantage dans les campagnes communautaires et le syndicalisme social.
– Un nouveau syndicat viserait à renforcer les activités des centrales syndicales actuelles (le CTC et les fédérations provinciales) d’une façon ou d’une autre :
- en les inspirant et les incitant à développer une vision plus énergique de l’action ;
- à défaut, un nouveau syndicat devra lui-même assumer les fonctions d’un mouvement plus vaste (en lançant ses propres campagnes et d’autres initiatives) ; un nouveau syndicat possédera une meilleure capacité de « faire le travail lui-même » de façon non sectaire, avec l’objectif ultime d’inciter l’ensemble du mouvement syndical à un militantisme plus vigoureux.
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– Un nouveau syndicat viserait à articuler une critique plus large du système socioéconomique actuel (capitalisme néolibéral) et à se positionner comme catalyseur à long terme de changements sociopolitiques et à ne pas se limiter à rechercher simplement le progrès économique de ses membres.
- La structure organisationnelle d’un nouveau syndicat reflétera les différentes façons dont les membres s’investissent dans des activités importantes :
- être en mesure d’organiser et de représenter les membres dans le milieu de travail, même dans les plus petites unités de négociation ;
- organisation des unités de négociation dans des sections locales plus vastes, qui possèdent la masse critique et les ressources pour permettre le développement du pouvoir des dirigeantes et des dirigeants ; participation plus large aux activités syndicales ; présence et visibilité plus actives dans les communautés ;
- capacité des sections locales de projeter une image unie dans chaque communauté et implication soutenue dans les campagnes, les luttes et la politique au niveau local et régional ;
- en outre, le syndicat est organisé de façon sectorielle afin de tirer profit de sa masse critique pour établir des normes à l’échelle d’une industrie et lutter pour une vision différente du développement économique des secteurs ;
- le syndicat national se charge des conventions collectives, des conseils et des campagnes qui suscitent la participation et l’unification de tous les secteurs du syndicat ;
- dans un nouveau syndicat, l’unité de négociation est la base, mais elle interagit avec une communauté publique plus vaste tout en préservant une solide identité sectorielle, comme le représente le diagramme suivant :
Présence au niveau communautaire et régional
Conseils sectoriels Sections locales amalgamées
U.N.
IV : Questions ouvertes que devra aborder un nouveau syndicat
Les discussions entre les dirigeants du SCEP et des TCA ont recensé un certain nombre de questions qui devront faire l’objet de discussions plus approfondies et d’un consensus.
Quelle est la meilleure forme de participation démocratique pour les membres dans les différentes régions ? Quel type de structure et de représentation régionale devra être retenu ?
– Comment un nouveau syndicat canadien pourrait-il représenter les travailleuses et les travailleurs non syndiqués et leur offrir des services ?
– Quelle serait l’approche du nouveau syndicat à l’égard des partis politiques ?
Bien que chaque syndicat convienne de la nécessité d’une action et d’une participation des syndicats à l’action politique, aux luttes électorales et extra-parlementaires et que chacun doive prendre des décisions politiques indépendantes dans l’intérêt des travailleuses, des travailleurs et de leurs membres, il existe des différences dans les approches actuelles entre les TCA et le SCEP. Alors que le syndicat national du SCEP est affilié au Nouveau Parti démocratique, les TCA n’ont aucune affiliation officielle au niveau national.
Comment un nouveau syndicat participera-t-il à la politique nationale et s’impliquera-t-il avec le Nouveau Parti démocratique ?
V : Les forces communes de deux excellents syndicats le SCEP et les TCA possèdent plusieurs caractéristiques et forces communes :
– ils sont canadiens ;
– ils sont diversifiés dans le secteur privé (bien que présents dans certains domaines du secteur public) ;
– ils sont dotés d’un modèle de service solide ;
– ils jouissent d’une excellente réputation sectorielle et sont solidement arrimés à la négociation par contrat type ; les comités de négociation sont maîtres de la négociation ; toutes les conventions collectives sont ratifiées par scrutin secret ;
– ils sont voués au syndicalisme social, à la participation des communautés et à l’activisme politique ;
– ils reconnaissent les impératifs d’autonomie du Québec.
Plus important encore, compte tenu du consensus atteint par les dirigeants des TCA et du SCEP sur la nécessité de créer un nouveau syndicat canadien, nous avons accepté de communiquer ces points de vue aux dirigeants démocratiques de nos syndicats respectifs pour susciter des discussions plus poussées.