Édition du 17 décembre 2024

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Planète

VIDÉO. Quand la CGT, Greenpeace et Attac débattent d’un Green New Deal européen

Il n’est pas anodin que la CGT, Greenpeace et Attac discutent de la sorte. Il faut dire que la gauche a grand besoin de débats, d’idées fraîches, notamment concernant la conjugaison du social et de l’écologie. En attendant la traduction politique.

Tiré de regards.fr

Le 17 janvier à Saint-Denis, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, le directeur général de Greenpeace France Jean-François Julliard et la porte-parole d’Attac Aurélie Trouvé étaient rassemblés autour de l’économiste Pavlina Tcherneva, « une des inspiratrices du volet social du Green New Deal porté par la gauche américaine », lit-on sur Le Monde, pour une conférence intitulée « Le Green New Deal et la garantie de l’emploi ».

Pour vous, nous avons écouté ces deux heures de discussions. Voici ce qu’il fallait en retenir.

Pavlina Tcherneva pose en introduction trois questions : « Pourquoi combiner les dimensions sociales et économiques pour répondre au défi climatique ? ; Qu’est-ce que la "garantie d’emploi" et quel rôle cette idée a dans le Green New Deal ? ; Comment finance-t-on tout ça ? » Elle fait ensuite une brève présentation du Green New Deal : « Le Green New Deal combine des mesures socio-économiques et environnementales. Il y a une stratégie sur l’industrie, les infrastructures, les transports, l’artisanat et l’agriculture. Sont aussi abordées la question du logement et de l’accès à l’eau potable. Tout en garantissant des emplois avec des salaires décents (15 dollars de l’heure minimum). Selon les sondages, le Green New Deal est très populaire. On ne peut pas dissocier la menace climatique de la menace économique. C’est une même crise. Il n’y a pas de solution purement technique. Fondamentalement, le Green New Deal pose la question du futur. Quel intérêt de lutter contre le changement climatique s’il n’y a pas d’accès à un logement décent, si les salaires sont bas et si, finalement, ce monde sauvé du changement climatique n’est pas un monde vivable pour tous ? Inversement, quel intérêt d’avoir des emplois, de bons salaires, une sécurité sociale pour tous, si l’environnement est détruit ? Le choix entre emploi et environnement est un faux choix, nous n’avons pas à choisir. Le chômage créé des problèmes de santé, de logement, etc. C’est à la collectivité de prendre tout ça en charge, ce qui est très coûteux. Nous voulons éviter que des personnes perdent leurs emplois et leurs logements. On veut plus de stabilité. Comment paie-t-on ? Nous avons la monnaie. La monnaie, ça se crée. La souveraineté monétaire permet le financement du Green New Deal. On l’a bien fait pour la Seconde Guerre mondiale ! L’UE a, institutionnellement, réduit les possibilités de financement public, et créé une frontière entre les banques centrales et les ministères des Finances, ce qui empêche le financement de projets. À cela s’ajoute la règle des 3%. Comment faire face à l’enjeu climatique si notre marge de manœuvre financière est réduite à néant ? Un Green New Deal en Europe serait limité à 1% du budget de la zone euro... »

« Il faut s’appuyer sur des services publics plus importants, avec des agents indépendants du pouvoir politique et des pouvoirs économiques afin d’impulser des choses impossibles dans le privé. Il faut que le service public redevienne la référence en matière de développement. »

Philippe Martinez. « Ça fait un moment qu’on travail sur la garantie de l’emploi. Nous avons un projet qui date de 15 ans qui permet d’avoir une vie professionnelle qui conjugue activité et périodes de non-emplois rémunérées – notamment des périodes de formation. La question qui nous est posée, c’est de convaincre qu’on peut conjuguer la préservation de la planète et la préservation des droits sociaux, et donc de l’emploi. Il faut avoir toujours en tête que le social et l’environnemental ne s’oppose pas. En France, on dépense des sommes très importantes pour réparer les méfaits du travail, je ne parle pas du chômage mais des maladies professionnelles. Il faut soigner le travail pour faire des économies. Il faut travailler sur de nouvelles perspectives de création d’emplois dans des filières environnementales, tout en s’appuyant plus sur le savoir-faire des ingénieurs, des cadres dans l’industrie française pour faire évoluer les industries traditionnelles afin qu’elles prennent mieux en compte la question environnementale. Les entreprises, ne jugeant les effets d’une politique industrielle que sur le court-terme, ne sont pas intéressées. C’est le bilan comptable de fin d’année qui prime. Il faut donner plus la parole aux salariés. Nous avons la chance d’avoir des services publics qui existent encore. Il faut s’appuyer sur des services publics plus importants, avec des agents indépendants du pouvoir politique et des pouvoirs économiques afin d’impulser des choses impossibles dans le privé. Il faut que le service public redevienne la référence en matière de développement. Les services publics ne peuvent pas absorber les dérives d’une société capitaliste qui renvoie vers le public les dégâts qu’elle génère. La règle des 3% ne doit pas être une barrière infranchissable, on pourrait déjà exonérer de cette règle tous les investissements concernant l’environnement mais aussi les "dépenses sociales". Ce ne sont pas des dépenses mais des investissements. On pourrait aussi faire des économies. On dépense des milliards d’euros pour faire la guerre... »

Aurélie Trouvé. « Un Green New Deal nécessite de remettre en cause le système économique actuel et de renverser la tendance au néolibéralisme et son approfondissement en France depuis les années 80. Ça demanderait de recoupler les politiques budgétaires et monétaires, soit une refondation de l’UE telle qu’elle fonctionne actuellement. Mais ça n’est pas seulement un problème de budget – la PAC, c’est 30-40 milliards d’euros par an, et c’est tout sauf une politique de Green New Deal –, c’est aussi un problème de compromis à 27. Je doute qu’on puisse au sein de l’UE avoir une politique ambitieuse dans les institutions actuelles. Un Green New Deal nécessite une désobéissance aux institutions européenne, a minima. Si on veut une force politique qui porte un tel projet, il faut des liens dans la société. Les mouvements sociaux participent à ce rapport de forces. Il y a des alliances à faire entre forces sociales et organisations environnementales. La gauche politique doit prendre en compte les changements de mode de consommation pour désinvestir dans les énergies fossiles. Du côté écologistes, comment on intègre pleinement les questions sociales ? La question de l’emploi est centrale. En France, si on veut s’attaquer à l’urgence écologique, il faut créer un million d’emplois. »

Jean-François Julliard. « Greenpeace soutient le Green New Deal parce que l’ambition environnementale est là. Les objectifs sont parfaitement alignés sur la science climatique. Il faut faciliter les transitions, qui ont un impact majeur sur l’emploi. »

« Il y a une coïncidence quasi-naturelle de la dimension sociale des problèmes environnementaux. La jeunesse refuse l’idée néolibérale qui veut qu’on n’aurait pas les moyens de financer le Green New Deal. »

Pavlina Tcherneva. « Le plus grand succès du néolibéralisme, c’est de nous avoir convaincu que les gouvernements n’ont pas les moyens financiers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le plan Marshall, nous ne nous sommes pas posés la question. Il fallait dépenser, personne ne s’est inquiété du déficit, parce que nous avions la souveraineté monétaire. La zone euro a institutionnalisé ce problème. Le Green New Deal pense la transformation industrielle et la question macro-économique associée à la question de l’emploi. Il faut prendre en compte la formation des travailleurs de l’industrie. Le Green New Deal est fait pour aider les plus pauvres. Il y a une coïncidence quasi-naturelle de la dimension sociale des problèmes environnementaux. La jeunesse refuse l’idée néolibérale qui veut qu’on n’aurait pas les moyens de financer le Green New Deal. »

Philippe Martinez. « Quand on parle de consommation, que ce soit à l’échelle de la planète ou à celle de notre pays, tout le monde ne vit pas dans l’abondance. Si le message se veut être percutant et bien perçu, il faut faire attention aux mots qu’on emploie. Si le choix, pour sauver la planète, c’est de perdre son boulot, le discours syndical va être compliqué. Il faut qu’on parte des réalités. N’opposons pas fin du monde et fin du mois. Si les chercheurs avaient plus de moyens, je suis convaincu qu’il y aurait des idées et des projets importants en matière de développement qui permettent de conjuguer création d’emplois et nouvelles industries. On ferme souvent les entreprises qui puent et qui polluent pour des intérêts financiers et non pas pour sauver la planète ! Les vieilles industries ne demandent que quelques investissements pour préserver et développer l’emploi tout en préservant la planète. On n’est pas obligé de travailler autant. Si certains travaillent moins, il y aura des emplois pour d’autres. La difficulté majeure, c’est d’avoir une traduction politique. On a besoin que le mouvement social et les associations travaillent ensemble pour montrer que ces exigences sociales et écologiques ont besoin d’une traduction politique. En France, pour l’instant, on n’a pas de mouvement politique qui travaille sur le Green New Deal. Il y a urgence, les alternatives manquent entre le néolibéralisme et le fascisme. Si on interdisait seulement l’accès aux marchés publics aux pollueurs qui ne respectent pas les règles sociales de base, on pourrait mener une guerre économique sur une base sociale et environnementale. »

« Quelle transformation des modes de production et de transformation pour à la fois répondre à l’urgence écologique, mieux partager les richesses et permettre un emploi décent à tout le monde ? »

Aurélie Trouvé. « Le droit à un travail décent est un droit fondamental. Il faut qu’on parte d’abord de ce droit et qu’on aille chercher les besoins humains non-pourvus, les besoins écologiques et sociaux (crèches, EHPAD, hôpitaux, écoles, etc.). Il faudrait parler de Green and Social New Deal. La Commission européenne a mis le Green New Deal à son agenda, c’est aussi une manière d’évacuer le social. Il faut se méfier de ce terme, ici en France et en Europe. Quelle transformation des modes de production et de transformation pour à la fois répondre à l’urgence écologique, mieux partager les richesses et permettre un emploi décent à tout le monde ? Se pose aussi la question de la relocalisation des activités. Je ne crois pas à une transition écologique et sociale sans ça. Face au libre-échange, que propose-t-on ? Un protectionnisme solidaire ? L’extrême droite récupère ces questions territoriales. À défaut que cela soit sérieusement pris en charge par le politique, nous, on se pose ces questions pour y apporter des réponses systémiques. »

Jean-François Julliard. « En France, il manque une force politique qui place cette question du Green New Deal au cœur de son projet. On ne voit pas ça venir. Il faut que un, et idéalement plusieurs partis s’en emparent. Ce sera déjà un préalable si on veut qu’il y ait un jour un Green New Deal à la française. Mais ça ne sera pas suffisant. En face, il y a beaucoup d’obstacles, beaucoup de résistance. Il y a un gouvernement très néolibéral qui ne veut pas en entendre parler. Les opposants, ce sont tous ceux qui vivent bien du système actuel. Ils sont nombreux et puissants : les patrons des multinationales, les actionnaires – quand on voit les dividendes qui tombent, on comprend pourquoi ils ne veulent pas changer le système –, les milieux financiers, un certain nombre d’économistes qui n’y croient pas, une partie du milieu intellectuel qui va s’y opposer. Mais sans force politique qui s’en empare et qui parvient au pouvoir, ça n’arrivera pas. Seul un gouvernement et un Parlement peuvent mettre en oeuvre ces mesures. Quand on voit l’énergie que dépense le gouvernement d’Emmanuel Macron à défendre les intérêts de Total plutôt que défendre l’intérêt général, on se dit qu’on est très loin d’avoir un gouvernement qui croit à un Green New Deal. »

Pavlina Tcherneva. « La souveraineté monétaire est limitée par des problèmes d’autonomie alimentaire et énergétique. La question du financement devrait être une question facile à résoudre. Il faut s’en débarrasser. L’idée que ce serait une perspective américano-centrée n’est pas pertinente. L’Inde et l’Afrique du Sud ont des projets concrets en matière d’emplois garantis. Ce n’est pas une question d’hégémonie financière mais de souveraineté. Il faut fonder des alliances internationales autour de cette idée. Nous avons besoin que les États prennent en charge la planification à la place des entreprises. »

Jean-François Julliard

Directeur général de Greenpeace France.

Aurélie Trouvé

présidente d’Attac France.

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