À la lumière de l’analyse du professeur à la Faculté des sciences de l’éducation et chercheur en santé mentale au travail, M. Simon Viviers, soutenu par le chercheur invité et doctorant, M. Marcelo Balboa, les offres patronales faites aux enseignantes et enseignants sont pathogènes. Celles-ci accentueraient non seulement les phénomènes de pénurie de personnel, de désertion professionnelle, de départs précipités à la retraite, mais aussi les problèmes liés à la détresse psychologique vécus par les enseignantes et enseignants du Québec.
« L’analyse effectuée par les chercheurs Viviers et Balboa permet de conclure que les offres patronales faites aux profs aggraveraient une situation déjà insoutenable. La négociation qui débute doit permettre de répondre de manière concrète à la souffrance des profs. De plus, la profession enseignante est depuis trop longtemps malmenée. La situation exige que le gouvernement pose des gestes qui permettront d’inverser la tendance et d’améliorer le quotidien des profs qui travaillent dans les écoles publiques du Québec », indique Sylvain Mallette, président de la FAE.
Six situations à risque qui font souffrir les profs
Les chercheurs ont analysé les offres patronales sous l’angle de la psychodynamique du travail qui permet d’établir les liens entre la santé mentale et l’expérience vécue par les travailleuses et travailleurs dans le cadre de leur travail. Cette perspective a amené les chercheurs à définir ce que peut constituer une situation de travail à risque pour la santé mentale, c’est-à-dire une situation qui se caractérise par une organisation du travail qui génère une souffrance pathogène. Ainsi, la lourdeur du travail, la complexité et la confusion des rôles, la bureaucratie et la désorganisation, le non-respect et la violence, les pressions du temps et la précarité d’emploi et de travail forment les six situations de travail à risque. À la lumière des récentes recherches, une septième situation à risque se profile. En effet, l’instauration de la gestion axée sur les résultats contribue à alimenter le sentiment de dépossession que vivent les profs, donc alimente la souffrance enseignante.
« Devant la souffrance pathogène, les enseignantes et enseignants utilisent des stratégies défensives, dont certaines ont pour effet d’en faire toujours plus pour pallier individuellement les déficiences de l’organisation du travail, et d’autres ont pour effet un désinvestissement psychique ou physique du travail. Ces stratégies permettent aux profs de "tenir" au travail, mais limitent le développement de leur santé mentale, maintiennent en place l’organisation pathogène du travail et risquent donc, à terme, de mener à la maladie sous diverses formes », souligne Simon Viviers, co-auteur de l’avis-conseil.
Les profs vus comme objets
Les chercheurs mandatés par la FAE ont effectué une première lecture des offres patronales. Rapidement, ils ont constaté que les fondements de ces offres pouvaient induire des conséquences néfastes pour la santé mentale des enseignantes et enseignants. Ces fondements portent d’abord sur la vision des profs comme travailleurs, ensuite sur la conception de ce qu’est le travail d’éducation au sens large d’une société, et enfin, sur la perspective privilégiée en matière d’organisation du travail dans les établissements scolaires.
« L’analyse du discours que portent les offres patronales laisse entrevoir une conception des enseignantes et enseignants comme un moyen de production profitable et susceptible d’être optimisé, une ressource parmi d’autres, comme les infrastructures, les ressources pédagogiques ou financières, dans le but de produire de la réussite éducative. Cette conception du personnel enseignant risque fort de donner lieu à une organisation qui produit de la souffrance pathogène, puisqu’elle considère les profs comme des objets, et non comme des êtres humains », indique M. Viviers.
Les élèves vus comme des clients
Un deuxième point fondamental du discours patronal concerne la définition contradictoire de l’activité d’instruction publique : est-elle vue comme une prestation de services pour une communauté-clientèle ou comme un processus de formation de sujets critiques, de citoyennes et citoyens éduqués et susceptibles de contribuer à la vie en société ?
« Pour que le travail soit source de santé, il doit pouvoir permettre aux profs de sentir qu’ils participent à la construction d’un monde qu’ils ont des raisons de valoriser. Pour les enseignantes et enseignants, la relation aux élèves comme personnes humaines en développement s’avère extrêmement importante. Considérer l’instruction publique comme une prestation de services transforme la nature du lien pédagogique avec la communauté, par le biais d’une "clientélisation", ce qui installe les profs dans une logique du type "le client a toujours raison" déniant ainsi la reconnaissance de l’expertise enseignante », ajoute le professeur Simon Viviers.
Une organisation du travail qui individualise et qui intensifie le travail
Le troisième point concerne les fondements de l’organisation du travail sous-tendue par le portrait d’ensemble des offres patronales, à savoir une injonction, voire une inculcation de la responsabilité individuelle des enseignantes et enseignants au regard de leur pratique. Les offres patronales prévoient aussi une longue liste de prescriptions et d’obligations pour les profs, en faisant fi voire en supprimant les garanties qu’elles et qu’ils puissent disposer des ressources nécessaires pour arriver à y répondre.
« Le modèle d’organisation du travail proposé risque de faire porter sur les épaules individuelles des enseignantes et enseignants la responsabilité d’un travail dont la qualité dépend pourtant de multiples déterminants hors de leur contrôle, au premier chef le contexte et les conditions d’exercice, par exemple les ressources mises à leur disposition ou la division des rôles et des fonctions », souligne M. Viviers.
Analyse critique des orientations patronales
Si l’analyse des fondements du projet patronal permet de jeter un éclairage général sur les conséquences que pourrait avoir la mise en place d’un tel projet sur la santé mentale des enseignantes et enseignants, l’analyse des quatre premières orientations patronales et du rationnel qui les sous-tend offre un portrait plus précis de ce qui est susceptible d’accentuer ou d’atténuer les situations à risque. Pour chacune des quatre premières orientations patronales, un tableau qui permet de synthétiser les zones d’impact des offres faites aux profs sur les situations à risque est présenté.
Première orientation patronale : Des enseignantes et enseignants valorisés, engagés et qui maintiennent un haut degré de compétence professionnelle, pour contribuer pleinement à la réussite éducative des élèves
Tableau 2. Synthèse des incidences des propositions patronales de la première orientation sur les situations à risque pour la santé mentale des enseignantes et des enseignants
Deuxième orientation patronale : Une tâche enseignante professionnelle au service de la réussite éducative de tous les élèves
Tableau 3. Synthèse des incidences des propositions patronales de la deuxième orientation sur les situations à risque pour la santé mentale des enseignantes et des enseignants
Troisième orientation patronale : Une organisation du travail souple et des services centrés sur les besoins et capacités des élèves
Tableau 4. Synthèse des incidences des propositions patronales de la troisième orientation sur les situations à risque pour la santé mentale des enseignantes et des enseignants
Quatrième orientation patronale : Une organisation du travail plus souple et une offre de services qui répondent aux particularités des secteurs de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle
Tableau 5. Synthèse des incidences des propositions patronales de la quatrième orientation sur les situations à risque pour la santé mentale des enseignantes et enseignants
L’analyse des quatre premières orientations patronales montre que, si elles étaient mises en œuvre, les offres faites aux enseignantes et enseignants risqueraient fort, dans leur ensemble, d’accentuer les sept situations de travail à risque pour la santé mentale des profs. Le discours porté par ces offres patronales conçoit le personnel enseignant comme des ressources à optimiser, par l’obligation de formation, des exigences d’imputabilité individuelle et une organisation du travail plus flexible et intensive. Les offres patronales proposent des moyens qui risquent d’être contreproductifs, notamment au regard de la valorisation de la profession enseignante et de la rétention des enseignantes et enseignants », conclut Simon Viviers.
Une affaire de santé publique qui concerne aussi les ministres de la Santé et du Travail
Le contenu de l’avis-conseil inédit dévoilé aujourd’hui par la FAE soulève de nombreuses questions, notamment en ce qui concerne les obligations que doit assumer l’État québécois en matière de santé mentale au travail. C’est pourquoi la FAE interpelle directement la ministre de la Santé et des Services sociaux, madame Danielle McCann, ainsi que monsieur Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Tout comme leurs collègues Christian Dubé et Jean-François Roberge, les ministres McCann et Boulet doivent prendre conscience que la souffrance qui caractérise la profession enseignante ne peut plus durer et que les offres faites aux profs viendraient aggraver la situation.
« Pour promouvoir ou restaurer la santé mentale, il faut poser des gestes concrets et mener des actions vigoureuses qui permettent d’atténuer et d’éliminer les situations qui génèrent la souffrance pathogène au travail. La négociation actuelle des conditions de travail des profs constitue une occasion de corriger un problème qui dure depuis trop longtemps et qui mine des milliers d’enseignantes et enseignants, mais aussi toute la profession enseignante. La FAE demande donc le retrait des offres patronales faites aux enseignantes et enseignants le 17 décembre 2019. C’est de cette manière que nous pourrons constater si le premier ministre François Legault veut véritablement prendre soin des profs », conclut le président de la FAE, Sylvain Mallette.
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