Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

1er mai

Une réflexion à tiède sur le 1er mai

Il m’apparait important de tirer un bilan rapide des événements du 1er mai. Selon moi ce bilan devrait se faire dans les syndicats locaux, être mis en commun entre syndicats, et alimenter le bilan des instances supérieures de la FNEEQ et de la CSN, voire des autres composantes du mouvement social. Ceci ne se veut rien de plus qu’une contribution hâtive à cette autre étape importante de notre lutte, contribution qui passe sous silence les énormes gains politiques réalisés grâce à l’audace, à l’enthousiasme et au dévouement de plusieur.es. Bravo et merci sincère à tous ceux et celles qui y ont participé, shout out spécial à Sherbrooke, mes héros.

Maintenant le pot.

1. Le mouvement de grève sociale dans les cégeps a dès le début été un mouvement autonome de la base syndicale. Pendant les années où j’ai été délégué local (2009-2014), moi et d’autres sommes intervenu.es à plusieurs reprises à la FNEEQ afin de mettre à l’ordre du jour le sujet de la grève sociale, notion longtemps reçue avec un mélange d’incrédulité et de condescendance envers ce qui était considéré par plusieurs – exécutant.es et délégué.es - comme un concept flou et utopique typiquement ultra-gauche. Même après que des mandats d’action et d’animation sur le sujet aient été votés sur le plancher de la FNEEQ, il a fallu que des membres de syndicats locaux prennent le leadership de proposer cette grève à leur instance. Le résultat de cette démarche a surpris tout le monde, ou presque.

Première leçon : le réalisme/pragmatisme allégué (les membres ne sont pas prêts) n’est pas un bon argument. On ne peut se substituer aux membres pour juger de l’action. Ce sera à retenir lorsque les directions nationales nous recommanderons d’accepter les ententes de principes sous l’argument que « les membres ne sont pas prêts à aller plus loin », comme lors des dernières négos.

2. À leur crédit, il faut reconnaître que les directions (FNEEQ, CSN), devant le fait en train de s’accomplir, se sont ralliées au mouvement et ont contribué positivement à la mobilisation en la supportant lors de leurs interventions - à deux reprises dans mon assemblée locale - et l’appui du FDP fût le côté objectif de ce ralliement – très important chez nous je pense. Mais n’oublions pas quand même les déclarations intempestives des chefs syndicaux (Jacques Létourneau notamment) qui minimisait l’importance politique des décisions des instances locales lorsque celles-ci étaient encore minoritaires. Ma théorie c’est que les directions (nationales, fédératives ou même locales) jouent généralement le centre. Par exemple, pour ne pas perdre les membres corporatistes qui se mobilisent en période de négo sur la base de la défense de leur conditions de travail, elles seront portées à suivre un cours droitier en pensant que la gauche de toute façon leur restera fidèle. Lorsque le mouvement gagne un momentum de gauche, les directions le suivront parfois, mais ce n’est que temporaire, jusqu’au reflux - réel ou perçu – naturellement causé par la peur de la répression et la volonté de stabilisation chez les membres autant que chez les directions.

Il faut se demander ce que révèle la lenteur de la FNEEQ et de la CSN à réagir à l’ordonnance de la CRT, et leur recommandation finale de ne pas maintenir la grève votée. (Si tant est que les choses se soient passées ainsi. N’étant pas à l’exécutif, je n’ai jusqu’à présent vu aucun courriel ni document émanant de la FNEEQ ou de la CSN à ce sujet. J’ai appris la ligne de ma direction nationale dans le journal le lendemain matin).

Comment expliquer que des dizaines de juristes et des syndicalistes expérimenté.es se soient révélés incapables de confronter la CRT, en dépit des arguments que chacun.e était à même de formuler en ce sens ? Pourquoi un tel délai avant la réponse, délai qui a ajouté à l’incapacité des directions locales à consulter leur propre base ou à prendre des décisions autonomes ? Le caractère éventuellement illégal de la grève était un fait connu. Pas de surprise ici. La question des mandats conditionnels au support de la FNEEQ/CSN n’explique pas tout et ne se posait pas partout. Certains syndicats mieux avisés avaient prévu le coup fourré de dernière minute et ont pu aller en AG le soir même. Dans au moins un cas à ma connaissance, l’assemblée a persisté dans sa volonté. Si, entre 16h00 et 18h00, des dizaines de profs s’étaient pointés à leur bureau syndical pour exiger le maintien de la grève ; si un nombre significatif de syndicats locaux avaient annoncés qu’ils allaient respecter leurs mandats, ne peut-on penser que cela aurait entrainé les autres syndicats à faire de même ? Et dans ce cas, la FNEEQ et la CSN auraient-elles désavoué leurs membres ? On peut en douter.

Deuxième leçon : L’hésitation politique des directions est toujours possible, voire prévisible. Les assemblées locales devraient réduire au minimum pratique la liberté politique des directions. Les membres doivent être mobilisé.es, aux aguets et ne pas (trop) se reposer sur leurs directions.

3. Ceci vaut aussi pour l’aspect pratique des choses. À Limoilou, la logistique du piquetage s’est faite sur la base d’un concertationisme qui s’est avéré fatal. La grève a été officialisée par des courriels (indépendants) de la direction du collège et du syndicat, envoyés quelques jours après le vote de grève du 22 avril et annonçant que les cours ne seraient pas donnés et que les profs ne seraient pas payés. Fort de cette situation de collaboration (de bonne foi, dans ce cas-ci) entre la direction et le syndicat, un piquetage ferme n’a pas été organisé - aussi sans doute pour éviter la confrontation entre collègues sur les lignes. C’est ainsi qu’il a été possible, par les mêmes moyens, de lever la grève à moins de 12 heures de son déclenchement.
Troisième leçon : Le pouvoir vient d’en bas. Le contrôle des actions doit demeurer le plus possible au niveau des instances locales. Un piquetage, ça doit être étanche, et contrôlé par le syndicat local.

***
Au bout du compte, le vol de notre grève sociale n’a-t-il pas été largement le fait d’une incapacité des syndicats locaux – membres et directions - à maintenir le leadership politique qu’ils avaient depuis le début et qui a rendu ce mouvement possible ?
Les conséquences de cette situation et de la décision qui en est résulté dans plusieurs cégeps –l’annulation de la grève par les directions collégiales et syndicales locales – a des effets que l’on peut déjà sentir.

À l’intérieur de nos propres rangs, plusieurs membres questionnent plus que jamais la valeur de leur vote et de leur implication, si les décisions prises en instances peuvent être renversées ainsi sans façon. On tempête contre la FNEEQ, on parle de désaffiliation… C’est encore une fois le cynisme, la frustration et le sentiment d’impuissance qui viennent corrompre un travail de mobilisation pourtant exemplaire et une réponse militante inespérée qui laissait – et laisse toujours – espérer un sortie du marasme politique qui asphyxie le syndicalisme québécois. On peut naturellement aussi craindre des pertes quant à la confiance que pourront avoir d’autres acteurs sociaux, allié.es potentiels dans la bataille, quant à la crédibilité des décisions syndicales.

Il est impératif que nous tirions des leçons constructives des événements du 1er mai 2015. La création d’un « caucus de gauche » dans les Fédé et inter-fédé voire Inter-centrales me semble être une avenue à explorer. Les communications et les discussions ne peuvent être centralisées sans que les membres locaux soient du coup en situation de dépendance face à des directions détenant ainsi un monopole de l’information.

Nous avons vu les conséquences de l’inexistence d’une gauche syndicale organisée lors de la dernière négo du secteur public, où les membres des Fédérations se sont vus sommés d’accepter l’inacceptable car les autres syndiqués, nous dit-on alors, « feront pareil ». Nous voyons encore aujourd’hui d’autres conséquences de la même situation.

Il faudrait tenter, d’ici les prochaines négos, de changer cette donne. Des initiatives en ce sens existent peut-être déjà, il faut les soutenir – individuellement mais aussi collectivement, en donnant des mandats à nos syndicats locaux - et leur donner une ampleur et une vitalité réelle et inédite si nous ne voulons pas jouer à nouveau dans une même tragédie dans un avenir proche.

Sacha Calixte, enseignant, cégep Limoilou, 4 mai 2015
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