Disons, pour faire simple, que la lourdeur relative de ces événements, comme conception, préparation, temps de réunion, fait surgir l’inévitable question de toute forme de militantisme : pourquoi ? Pourquoi consacrer une partie de ses jours, qu’on sait comptés, à des activités chronivores ? Activités qui parfois engendrent des luttes au sein même des luttes, des tensions (inévitables) sur les meilleurs moyens de concevoir ces luttes, de les mener. Je dis cela sur le long terme, à propos des luttes de gauche surtout (où l’on compte une proportion constitutivement élevée de critiques internes), pas à propos de mes activités actuelles.
Pourquoi faire du syndicalisme universitaire ? Pourquoi tenir, aussi, à un syndicalisme non-spécifiquement universitaire ? Et, tant qu’à y être, pourquoi du syndicalisme, mais en fait, la façon dont la question se pose à moi ce matin, c’est de la conjonction ou séparation d’un syndicalisme spécifique, défini par le milieu, le type de travail, la profession, et d’un syndicalisme rassemblant de façon hétéroclite (dans le cas des centrales) toutes sortes de travailleur.euses.
Étrangement, il y a des raisons radicalement séparées, pour moi, et si cette sémantisation subjective est de très faible intérêt, je crois qu’elles dévoilent des clivages entre des formes de syndicalisme, et c’est pourquoi j’ose en parler.
Si je me suis engagé dans mon syndicat, le SPUQ, si j’ai osé, dans un mélange d’énergie, de craintes (quant à mes capacités) et de colère (contre l’administration), d’assumer un mandat de présidence, c’est d’abord et avant tout parce que le syndicat c’était le lieu d’un contre-discours fort, vibrant, mobilisant, sur l’université, le refus de la marchandisation, la défense de la collégialité. Le SPUQ, pour moi, du fait de la collégialité structurelle (quoique quotidiennement menacée, érodée, malmenée) du monde universitaire, du fait aussi des pouvoirs que lui donne sa convention dans la structure de l’UQAM, du fait de l’histoire de ses luttes, c’est un rouage de la cogestion de l’université. Être au SPUQ, impliqué dans son exécutif, c’est être placé devant la nécessité de réfléchir non seulement aux conditions de travail, mais au travail sous toutes ses formes, à l’institution universitaire elle-même, à son développement.
Peut-être que cela plaisait tout particulièrement à un pli intellectuel, transformant ainsi le syndicalisme en vecteur de recherche sur les universités, leur histoire, leur sociologie, les enjeux contemporains, les crises soulevées ici et là, au Québec, aux États-Unis, en France comme en Australie. Mais il y avait bien plus, et ceci tenait à ce qu’il reste des principes et structures d’autogestion et de cogestion à l’UQAM. Je devrais dire "forces" plutôt que "restes", car c’est la force de ces éléments, lorsque solidement appuyés sur la mobilisation des profs, qui continue de me mouvoir, de renforcer en moi la volonté de défendre le syndicalisme universitaire.
Dans cette perspective, les aspects associés aux conditions de travail, dans une opposition un peu factice (car le type de cours qu’on donne, la liberté dans le choix des sujets de recherche, la forme même de nos services à la collectivité, choses fondamentales dans les conditions de travail, et donc balisées aussi nettement que possible dans la convention, ce sont aussi, indissociablement, des éléments liés à la conception de l’université, à la collégialité, etc.), les aspects donc des "conditions de travail" comme le salaire, les assurances, étaient et continuent d’être secondaires, à mes yeux.
Je dirais même que, sur le plan strictement concret du travail, c’est l’organisation du travail, la façon dont on le conçoit, dont on l’évalue, dont on le déploie dans nos jours, qui est le problème majeur des "conditions de travail". Pas le salaire. Pas les assurances. C’est l’épuisement, la perte de sens du travail, la perte du sens de participation à la communauté, qui menace le plus les profs. En ceci, un peu de conscience collective est nécessaire : nous sommes des privilégié.es dans le monde du travail contemporain (pour le salaire). En même temps qu’emblématiques de l’aliénation menant les professionnel.les et tant de travailleur.euses intellectuel.les à se brûler "volontairement", en intériorisant des normes d’excellence plus productivistes que celles des plus fervents stakhanovistes.
Voilà pour ce côté du syndicalisme universitaire. Je m’y implique pour défendre une certaine idée de l’université, de la vie intellectuelle, combinant autogestion et "slow science". C’est donc très très "universitaire", comme syndicalisme.
Mais alors, pourquoi m’intéresser au syndicalisme "at large" ? Ici aussi, l’histoire du SPUQ joue un rôle, et je la dois, nous la devons, au travail de Piotte, Dumais, Gill, Pelletier et tant d’autres. Celle d’une volonté de s’impliquer, comme universitaires et comme syndicalistes, dans les luttes sociales sous toutes leurs formes, et d’ainsi accueillir les syndicats à l’université, pour élaborer des "recherche-terrain" avec eux (comme avec les groupes de femmes), réfléchir aux formes de syndicalisme, participer aux discussions de la CSN (notre centrale depuis la création du SPUQ en 1970).
L’idée est élémentaire, sans doute, simpliste tant elle paraît simple, mais il me paraît crucial, tout prenant que soit le travail de prof, de ne pas me faire avaler par lui, pour avoir un moment de décalage permettant de lier, tant bien que mal, par des chemins ardus, mon travail de prof et la situation des autres travailleur.euses, au Québec et ailleurs, et la situation aussi des exclu.es du travail. Je ne veux pas lutter pour un "nous" limité, une extension restreinte du "je", celle de "mon" travail.
Mais il est hautement compliqué de lutter pour toutes les formes de travail, sans distinction. Juste pour se comprendre entre profs, sur ce que l’on veut (ou refuse), combien de discussions, de réunions ? Je comprends dès lors la nécessité de s’organiser par type de travail, et parfois la volonté d’être indépendant, comme syndicat, pour ne pas se faire dire quoi faire, perdre son pouvoir de négociation, au profit d’une structure verticale.
Et de plus, je distingue aisément entre le concept de convergence de ces formes de syndicalisme (universitaire et "élargie") et le temps qu’on peut donner à une forme ou à l’autre, (selon les structures que l’on a aussi ; certaines facilitent la convergence, d’autres la compliquent, et parfois c’est l’absence qui entrave).
Néanmoins, malgré ces difficultés, et précisément à cause de ces difficultés, les centrales et, plus encore peut-être, la discussion intersyndicale, entre autres via des structures affinitaires comme Lutte commune, me paraissent indispensables. Et mieux encore : parler de ces luttes avec des groupes communautaires, des acteurs.trices des mouvements environnementaux, féministes, antiracistes, pour le droit au logement, et j’en oublie. S’organiser, pour ne pas se faire organiser. Tout simplement.
C’est sans doute banal, cette double volonté, ultimement, universitaire et "pan-syndicaliste".
Mais pour moi, c’est une vraie question, au sens de : "est-ce que je continue ?". Oui et oui. Assurément.
Ceci en tentant de jeter des ponts justement. Pour ramener au coeur des discussions syndicales l’exigence d’autogestion, réfléchir dans les universités et dans les syndicats aux luttes contre le racisme, contre toutes les formes d’inégalités, et aux luttes environnementales. Et plus généralement, la lutte contre le capitalisme, qui sous-tend les autres, pour dire les choses clairement. Car, pour cette lutte-là, vraiment, on a besoin de tout le monde... de très solides alliances.
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