Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une inquiétante apologie du Front national - Réponse à Christian Rioux.

Le quatre avril dernier, le chroniqueur du Devoir Christian Rioux réagissait à une déclaration de la porte-parole du gouvernement français Najat Vallaud-Belkacem. Au terme des récentes élections municipales qui se soldèrent par une percée du Front National de Marine Le Pen, la porte-parole « ne trouva rien de mieux que de brandir le mot "fascistes" et d’appeler au "front républicain" contre la peste brune ».

S’élevant contre le recours aux épouvantails du « fascisme », le chroniqueur a fait valoir que cette percée historique du FN était le résultat de la crise identitaire et des difficultés économiques qui touchent plus durement les couches populaires françaises. Outil de diabolisation par excellence, le concept de « fascisme » aurait pour effet de soustraire au débat le malaise quotidien des « Français ordinaires », enterré sous le spectre du régime de Vichy.

S’il y a une part de vrai dans ces constats, la prose de Rioux s’apparente néanmoins à une apologie du conservatisme moral et de la xénophobie rampante si caractéristiques du discours frontiste. Le FN serait ainsi le porte-voix d’une France encore heureuse « d’avoir une identité sexuelle, une famille stable et une école qui ne se transforme pas en laboratoire » ; d’une France « qui vit toujours en couple et n’a pas compris qu’à Paris, on se déchire sur le mariage gai et la théorie du genre ». Le chroniqueur se fait ici l’écho des milieux conservateurs récemment montés aux barricades pour défendre une vision conservatrice du couple et du mariage. Ceux-là même qui craignent que l’école républicaine ne contamine les enfants en intégrant au cursus scolaire un contenu visant à les sensibiliser à l’existence d’identités sexuelles « non-traditionnelles ».

La formation lepéniste, nous dit encore Rioux, parlerait au nom des « vrais perdants de la mondialisation », qui « souffrent directement de l’immigration pauvre […] qui accentue la compétition pour les derniers emplois sans qualification ». Autrement dit, c’est l’immigration qui doit essuyer le blâme pour la précarité montante des couches populaires. Plutôt que de dénoncer les pratiques d’exploitation des multinationales et des pressions à la baisse qu’elles exercent sur les salaires et les politiques sociales et fiscales, on dénonce la compétition déloyale des étrangers prêts à travailler à des salaires inférieurs à ceux des natifs. Le chroniqueur va jusqu’à reprendre la rhétorique de l’envahissement caractéristique des extrêmes-droites européennes : l’immigration de masse transformerait le paysage culturel au point où les natifs (blancs) ne se sentiraient plus chez eux, et seraient contraints de migrer loin des grands-centres, « repoussée par les quartiers immigrants de la proche banlieue ».

Rioux trouve inconcevable qu’on accuse de fascisme la grande proportion des électeurs ayant voté FN, en particulier dans « des villes à forte tradition ouvrière et qui ont toujours été des bastions de la gauche ». L’argument du nombre s’effondre pourtant bien vite lorsqu’on se penche sur l’histoire de l’Europe d’entre-deux-guerre. Aux élections législatives de juillet 1932, le parti national-socialiste allemand avait obtenu 37% des suffrages. Si les fascistes de Mussolini n’ont jamais joui d’un tel soutien lors d’élections libres, le consentement des Italiens à l’État fasciste n’en fut pas moindre. L’idée que le FN ait réussi là où la gauche était bien implantée ne sert pas davantage à le distinguer du NSDAP de Hitler, qui a réussi à se hisser au pouvoir dans le pays européen où la tradition socialiste était la mieux implantée. Le passage de Mussolini du Parti socialiste à la tête des chemises noires n’est pas non plus étranger aux transfuges désertant la gauche ouvrière française au profit du parti de Marine Le Pen. Tout compte fait, les alibis que le chroniqueur fournit au FN présupposent une conception du fascisme qui ne pourrait inclure aucun des cas historiques qui lui sont traditionnellement associés.

Rioux marque tout de même un point : le FN et ses électeurs ne peuvent être accusés de nourrir un projet répressif et belliqueux comparable à celui des régimes fascistes. On ne saurait cependant tabler sur cette exagération pour balayer d’un revers de main toute comparaison entre la formation frontiste et les traditions politiques d’extrême-droite. La confusion ambiante donne à penser que le débat public bénéficierait largement d’une démystification de ce qu’ont été les mouvements fascistes, notamment de leur contenu culturel et idéologique.
Soulignons enfin que l’adoption du fond comme de la forme du discours frontiste ne peut être pris à la légère. Exprimées dans un quotidien montréalais, de telles positions devraient nous amener à nous questionner sur le récent virage conservateur du nationalisme québécois, qui paraît plus que jamais avancer en terrain miné.

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