Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une conférence de Québec solidaire qui esquisse des pistes d'action pour sortir du pétrole

Dans le cadre de la campagne, « Le PQ à l’épreuve des faits », Québec solidaire de la Capitale nationale a tenu une conférence-débat le 28 janvier dernier sur le thème, « Sortir du pétrole : un choix incontournable ». Près de 125 personnes ont participé à cet événement. Jean-Claude Balu [1] les a entretenues des projets des gouvernements et des entreprises pétrolières dans la conjoncture. Véronique Lalande [2], à partir d’une lutte concrète, a souligné l’importance de l’implication citoyenne dans la défense de l’environnement et Amir Khadir [3]a esquissé différentes pistes pour la sortie du pétrole mises de l’avant par Québec solidaire. Les personnes présentes ont pu par la suite échanger avec le panel. Nous reprenons ici, ce qui nous paraît l’essentiel des interventions des trois invités.

Les choix énergétiques des dirigeants économiques et politiques du continent et l’alignement du PQ sur leurs orientations

Jean-Claude Ballu nous a entretenus des politiques énergétiques qui sont mises en place actuellement en Amérique du Nord. Les États-Unis donnent le ton. Les États-Unis cherchent à atteindre durant les prochaines années leur indépendance au niveau énergétique et particulièrement en ce qui concerne le pétrole. En 2005, les États-Unis dépendaient pour leur approvisionnement en pétrole d’abord sur les importations de l’étranger. Le gouvernement américain a voulu diminuer cette dépendance et s’est orienté, en s’appuyant sur de nouvelles technologies, vers l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole de schiste. Aujourd’hui, le gaz de schiste fournit pour 35 % des gaz utilisés aux États-Unis et le pétrole de schiste fournit 25 % de la consommation états-unienne. Les États-Unis ont donc réussi en s’appuyant sur ces nouvelles filières des énergies fossiles à faire baisser considérablement leur niveau d’importation, donc de dépendance par rapport au pétrole étranger.

Et, en plus de développer l’exploitation de ces nouvelles énergies fossiles, les États-Unis se sont tournés vers le Canada avec lequel ils ont un accord de libre-échange pour renforcer un approvisionnement sécuritaire en pétrole. Aujourd’hui, 30% du pétrole consommé aux États-Unis provient du Canada. Les ententes signées entre les États-Unis et le Canada exercent donc une pression considérable pour faire de l’extraction et de la vente du pétrole un axe central dans le développement de l’économie canadienne. Le Canada produit un pétrole très polluant, à partir des sables bitumineux. Pour avoir le champ libre et pour élargir l’exploitation du pétrole, le gouvernement canadien a renié sa signature du Protocole de Kyoto. Dans les conférences internationales sur le réchauffement climatique, il cherche à écarter toutes les contraintes précises au niveau des baisses d’émission des gaz à effet de serre. Que ce soit à Copenhague ou à Doha, les conférences internationales sur le réchauffement climatique ont débouché sur des échecs. La raison est simple. La Chine et l’Inde veulent se développer selon un modèle occidental et refusent de prendre des engagements précis. Les États-Unis et le Canada s’appuient sur ce prétexte pour ne rien faire.

Nous pensons, au contraire, qu’il faut développer un nouveau modèle de développement capable de se passer du pétrole et de l’ensemble des énergies fossiles. Si, on ne réagit pas, on s’en va vers une situation catastrophique. La Banque mondiale prévoyait une augmentation de la température de 4 degrés. Et ce sont les populations des pays pauvres, qui vont être les premières touchées par ces changements climatiques. La catastrophe est imminente. On ne peut rester sans rien faire.

Qu’elle est la position du gouvernement péquiste face à cette nécessaire sortie du pétrole ? Dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, madame Pauline Marois s’est montrée ouverte à l’exploitation du pétrole en territoire québécois. Lors de sa rencontre avec la première ministre de l’Alberta, elle a donné son aval à la mise en place d’un comité conjoint visant à examiner la possibilité d’importer le pétrole tiré des sables bitumineux albertains. Elle n’a pas écarté l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent, particulièrement celui trouvé sur l’île d’Anticosti et éventuellement le pétrole de la Gaspésie. Le pétrole de l’ïle d’Anticosti est exploité par une compagnie privée, Pétrolia. C’est l’intervention du maire de Gaspé qui a fait adopter un règlement pour interdire ce type d’exploitation dans les limites de la ville qui a forcé Petrolia à interrompre ses opérations à Gaspé.

Le Parti québécois cherche à éviter les questions principales. Faut-il oui ou non commencer l’exploitation du pétrole en territoire québécois ? Faut-il oui ou non laisser aux compagnies privées le développement des énergies renouvelables ? Au lieu de cela, le PQ affirme qu’il serait plus rationnel (et plus écologique !) d’importer le pétrole de l’Alberta au lieu d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Et qu’il serait encore plus raisonnable, d’exploiter le pétrole présent sur le territoire québécois pour briser notre dépendance aux importations et pour s’enrichir à partir des redevances qu’on pourrait charger aux entreprises qui seront appelées à exploiter le pétrole québécois. C’est ce niveau de discours que nous sert aujourd’hui le gouvernement péquiste. Pourtant, le Parti québécois a mené sa campagne électorale en se présentant comme le défenseur des énergies renouvelables. Il s’était même fixé des objectifs précis de réduction d’émission des gaz à effet de serre et des objectifs de réduction de la dépendance au pétrole. Une fois au gouvernement, il s’apprête à mener des politiques qui vont dans un sens opposé. Il se tourne vers le pétrole du golfe St-Laurent. Comment ce gouvernement pourra-t-il atteindre ces objectifs de réduction des gaz à effet de serre et de réduction de la dépendance du Québec au pétrole, s’il permet le développement de l’exploitation pétrolière ? Les initiatives du gouvernement péquiste risquent d’accentuer la dépendance du Québec au pétrole. Pourtant, la population du Québec n’a pas voté pour ça. Mais le PQ, lui, veut nous placer devant un fait accompli. Et il s’inscrit dans le choix des grands décideurs du continent à ce niveau.

Construire la résistance citoyenne, ici et maintenant : difficile, mais nécessaire

Véronique Lalande nous a entretenus, sur un mode très personnel, ce qui a été très apprécié, de la lutte contre la pollution par la poussière provoquée par le port de Québec dans certains quartiers de Limoilou. Nous retiendrons particulièrement, ici les leçons qu’elle tire de cette lutte encore en cours, particulièrement celles concernant l’importance et les difficultés de la résistance citoyenne.

L’action citoyenne, c’est une lutte pour faire respecter ses choix, ses valeurs. L’action citoyenne, c’est déjà une action politique, car la politique ne se limite pas au vote. Elle s’incarne également dans les choix de vie qu’on fait. Faire de l’action citoyenne, c’est refuser d’être les témoins passifs de situations injustes ou inacceptables. Chaque fois qu’on juge qu’une situation est inacceptable, il faut la dénoncer.

Le choix fait de vivre en ville, dans Limoilou, nous a confrontés, à un environnement pollué par une poussière qui avait une signature spéciale. Il fallait comprendre ce qui arrivait. Pour comprendre, il fallait s’interroger sur cette réalité. Quand on parle d’action citoyenne, il y a des causes qu’on choisit, il y a également des causes qui s’invitent et qui s’imposent à nous. Notre action s’est amorcée en partant du refus de cette pollution par la poussière. Nous avons fait enquête sur les causes de cette pollution. Et, en se mettant en mouvement, on est arrivé à mieux comprendre notre environnement. Cette poussière venait du port de Québec, car le port du Québec est le plus gros port de vrac de l’est de l’Amérique du Nord. Et ce port est dans notre cour.

Face à une telle situation, la première réaction souvent, c’est l’expression de l’impuissance. On s’est fait dire qu’on ne pouvait rien faire, particulièrement, parce que le port de Québec est de juridiction fédérale. Et les autorités que nous avons contactées semblaient avoir renoncé à s’attaquer au problème. Elles nous ont affirmé que tout le monde savait que le port de Québec est le plus grand pollueur de la ville. Pour nous, il n’était pas acceptable que les autorités du port puissent, faire absolument ce qu’elles voulaient y compris polluer la vie de quartiers. Il était inacceptable de penser qu’on ne pouvait rien faire pour les empêcher. Et plus on comprenait la situation, plus on voyait l’importance du problème.

Cinq quartiers sont touchés par cette poussière en provenance du port de Québec. Et les acteurs de la santé publique avaient renoncé à faire quoi que ce soit. Ils acceptaient la situation. Et ils affirmaient qu’on ne pouvait rien faire. Il y avait là un enjeu environnemental, mais également un enjeu de souveraineté. Avoir une attitude souverainiste, c’est comprendre que si tu ne peux même pas agir sur le territoire sur lequel tu vis et que tu ne peux pas assurer une vie en santé de ton monde supposément parce qu’il y a différents domaines de juridiction, c’est un non-sens. Face à une telle situation, il y a trois options : subir et se résigner ; fuir et aller ailleurs ou décider d’agir sur son milieu.

Pour agir, il fallait dépasser la compréhension de la pollution par cette poussière comme un simple désagrément. Il fallait montrer que cette poussière était dangereuse pour la santé. Car elle était une poussière composée de métaux lourds et particulièrement de nickel. Et puis, on a appris que le port de Québec était un lieu de transit important de ce minerai. Alors, cette compréhension nous a permis de trouver des partenaires de lutte. Pour faire connaître nos découvertes, nous avons développé un site web pour aider à nous organiser et à organiser notre action de vigilance. Puis, on a compris, que toutes sortes de matières extrêmement dangereuses transitaient par le port de Québec et que les autorités ne rendaient aucun compte aux citoyens.

Des leçons à tirer. L’action citoyenne, ça prend du temps. Ça prend un investissement mental pour réfléchir aux problèmes que l’on rencontre. Elle s’inscrit dans une dynamique : s’informer, faire des choix en lien avec nos valeurs, agir. Mais l’action citoyenne dérange. Et il faut gagner des personnes qui ne sont pas nécessairement prêtes à agir... Des personnes qui sont en mode survie ne sont pas nécessairement prêtes à agir et il faut le comprendre. Mais d’autres personnes sont en attente de résultats rapides. Quand tu décides de refuser de subir, il y a là, en soi, quelque chose d’extrêmement positif, quelque chose de grisant... On ne doit pas être les témoins passifs d’une situation qu’on juge intolérable.

Et on voit maintenant que l’action citoyenne semble se développer. Il y a eu le printemps érable, il y a vraiment quelque chose qui se lève, une volonté de se prendre en mains, de sortir de la passivité, de refuser subir... Par l’action citoyenne, un rapport de force peut être créé en ce moment. C’est une opportunité... et il y a des moyens de communiquer comme jamais pour faire connaître nos initiatives.

Des pistes pour la sortie du pétrole...

Reprenant à son compte l’intervention précédente, Amir Kadhir a souligné l’importance qu’on doit accorder aux mobilisations citoyennes pour la défense de la qualité de la vie. Si on doit un jour se débarrasser de ce type d’économie basée sur les énergies fossiles, cela va commencer par des mobilisations citoyennes. Et il a rappelé les mobilisations des habitants des îles de la Madeleine contre l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent, celles des habitants de la vallée du St-Laurent contre l’exploitation du gaz de schiste, celles des habitants de Sept-Îles contre l’exploitation de l’uranium, celle des habitants de Gaspé qui ont pu obtenir une réglementation pour empêcher l’exploitation de pétrole sur le territoire de la ville par la compagnie Petrolia. D’ailleurs, cette mobilisation a été victorieuse et la compagnie a arrêté sa prospection...

Mais la sortie du pétrole doit se poser également sur le plan directement politique. Il a rappelé que le PQ a toujours abordé la question de la sortie du pétrole et des énergies fossiles avec un flou artistique laissant, en fait la question ouverte. Le PQ a dû se repositionner sur les gaz de schiste, mais il l’a fait forcé et contraint par la force de la mobilisation citoyenne autour de cette question.

Comment fait-on pour sortir de la dépendance énergétique au pétrole ? Rien ne se fera, si on attend une solution des décideurs du type de ceux qui se rencontrent à Davos, des grandes entreprises et des grands décideurs politiques, car ces derniers profitent de cette économie extractiviste. On ne peut pas compter sur les politiciens canadiens ou québécois liés à ces milieux. Voyez le nombre d’anciens politiciens qui sont devenus des lobbyistes des entreprises pétrolières et gazières.

C’est pourquoi la sortie du pétrole va passer par une série de batailles rangées menées par les citoyens et les citoyennes du Québec. Mais comme parti, il va aussi falloir faire une série de synthèses pour mieux dégager les pistes de solutions. Certaines organisations, comme Équiterre par exemple, nous proposent des solutions dans le cadre du système actuel. Elles analysent les dimensions de la dépendance au pétrole, comme l’utilisation de l’automobile, et l’aménagement du territoire et l’étalement urbain qui favorise, encore une fois, l’utilisation de l’automobile en l’absence de transport public adéquat. De ces analyses découlent un certain nombre de perspectives qui pourraient favoriser la moins grande consommation de pétrole. C’est une approche qui essaie de contenir la dépendance au pétrole et aux énergies fossiles. Cette approche est tributaire d’une certaine planification des choix de développement. Mais dans les faits, les plans suggérés font fait face à d’innombrables obstacles qui jouent contre ces derniers et pour le pétrole.

Contre tout ça, il faut un État qui accepte de rompre avec le consensus global. Au Québec, comme ailleurs, il faut rompre avec l’idée que c’est le libre marché et les entreprises privées qui doivent pouvoir faire l’ensemble des choix de développement à partir de la défense de leurs propres intérêts corporatifs que ce soit au niveau des types de transport, du développement immobilier, du développement urbain, ou régional. Quand on laisse ces choix aux entreprises privées, on se retrouve avec un nombre incalculable de centres d’achats, avec un étalement urbain injustifié qui détruit les terres et éloigne les personnes de leur lieu de travail et qui consacre une utilisation massive de voitures.

Cela est possible parce qu’il n’y a pas de prise en charge collective du développement. Si on doit échapper à la dépendance au pétrole, cela passe par rupture avec le modèle de développement actuel, et cela suppose une rupture avec le marché libre, donc le dépassement du capitalisme tel qu’il se donne un peu partout dans les pays développés y compris dans les pays dirigés par des partis soi-disant sociaux-démocrates comme en France. On ne pourra sortir du pétrole au Québec que si on remet en cause la pérennité du capitalisme ? Ne serait-ce que pour sortir de la crise économique, il faut dépasser le capitalisme, il faut sortir de ce modèle de développement qui explique la dépendance au pétrole.

Pour Québec solidaire, si on réussit à réduire notre dépendance au pétrole, si on en finit avec les subventions à l’industrie pétrolière, ce sont des centaines de millions de dollars qui seront disponibles pour investir dans l’économie québécoise afin de mettre en place un autre développement. Un des éléments majeurs de notre Plan vert, son maître mot, c’est le transport collectif pour rapprocher les lieux de travail et les lieux de résidence et diminuer le recours à l’automobile. Investir dans le transport collectif et électrifié, c’est investir dans un secteur qui crée le plus d’emplois par dollar investi.

Voilà un type d’économie qu’il faut favoriser en entendant une transformation plus fondamentale. Il faut dès maintenant passer de l’économie basée sur les énergies fossiles à celle du transport collectif.

Un débat à poursuivre

La discussion qui s’en est suivie a rebondi sur les diverses interventions soulevant soit les obstacles, mais également les possibilités de changement à toute une série de niveaux qui montrent l’ampleur du travail à faire au niveau de l’analyse et des initiatives pour relever ce défi essentiel :sortir du pétrole. Cette rencontre a donc permis un pas en avant dans une réflexion qu’il faudra poursuivre.


[1Environnementaliste et responsable de la commission altermondialisme de Québec solidaire

[2Citoyenne impliquée dans une lutte pour la qualité de l’environnement dans la ville de Québec

[3Député de Québec solidaire

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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