Derek Rosmussen, Lucy Uprichard, Martin Lukas
The Breach, 12 septembre 2024
Traduction Alexandra Cyr
Selon l’enquête de The Breach, Gastops est la seule compagnie dans le monde qui produise les systèmes de surveillance en vol qui équipent les bombardiers F-35 américains dont ceux qui ont lâché des bombes de 2,000 livres sur Gaza.
Selon un expert canadien du contrôle des armes, « cela est très important ; d’habitude il est impossible de savoir si ces pièces détachées sont fabriquées à Whitby, Winnipeg ou Laval. Elles finissent dans les F-35 qu’Israël utilise pour ses opérations à Gaza. Dans ce cas, nous en sommes certains » dit M. Kelsey Gallagher un chercheur de haut niveau du Project Ploughshares’ à Waterloo, Ontario.
Dans d’autres pays, des groupes de la société civile se servent de l’existence de ces manufacturiers uniques pour saisir les tribunaux afin qu’ils reconnaissent que l’exportation de ces pièces détachées d’armement viole la loi internationale.
Aux Pays bas, la plus grande organisation pour la paix, qui avait déjà gagné sa cause pour arrêter les transferts du gouvernement néerlandais vers Israël, a déclaré à The Breach que la découverte d’uniques compagnies fabricantes avait été « vital » dans leur démarche judiciaire.
Plus tôt cette semaine, la Ministre d’Affaires mondiales Canada, Mme M. Joly, a annoncé que le gouvernement canadien avait suspendu 30 permis de vente d’armes à Israël cet été et qu’il s’était opposé à un contrat d’expédition de 50,000 mortiers hautement explosifs à l’armée israélienne en passant par les États-Unis.
Si M. Gallagher est satisfait de cette décision, il souligne que le Canada n’a pas cessé l’envoi de pièces d’équipement pour les F-35 aux États-Unis où l’entreprise Lockheed Martin fabrique ces avions destinés à Israël.
Au Canada, plus d’une centaine de compagnies fournissent des composantes pour les F-35 mais, Gastops est l’unique équipementier que The Breach ait pu identifier. Elle a soutenu fortement que ses composantes sont « une technologie critique qu’elle fournit pour chacun des F-35 produit dans le monde ».
L’examen des transferts d’armes vers Israël a rapidement augmenté et il y a des signes de gêne chez le manufacturier américain.
Ce printemps, Lockheed Martin a retiré toutes les informations concernant les fournisseurs canadiens, de son site Web. Il en a fait autant pour les compagnies d’une douzaine d’autres pays selon ce qu’a mis au jour The Breach en révisant les archives de la compagnie.
Une coalition d’ONGs canadiennes a mené campagne pour que le gouvernement impose immédiatement un embargo sur les ventes d’armes à Israël.
Mardi, Mme Joly a déclaré : « nous n’aurons (plus) d’armes ou de pièces d’armement envoyées vers Gaza et la manière de les expédier et où elles le sont n’importe pas ». Elle est contredite par l’envoi continu de pièces de F-35 aux États-Unis.
Pour M. Gallagher, il est clair que « d’un point de vue des droits humains, le Canada a une obligation absolue de contrôle des armes. Il ne doit pas fournir des systèmes d’armement à des pays qui vont en faire un mauvais usage et il est évident que les risques existent pour ce qui concerne Israël ».
« Personne d’autre ne détient cette technologie »
Depuis 10 ans, l’armée israélienne a de plus en plus favorisé les attaques aériennes. Un officier parle de la stratégie « du jeu de billard avec une boule de bowling ». Elle a acquis ses premiers F-35 en 2016 et leur capacité de dévastation est devenue l’élément clé dans la guerre contre Gaza qui dure depuis près d’un an maintenant.
Le nombre de morts atteint presque 41,000. En janvier dernier, les bombardements aériens avaient déjà détruit ou endommagé au moins la moitié des bâtiments de l’enclave.
Pour sa fourniture de F-35 à Israël, Lockheed Martin compte sur une chaine mondiale de production de composantes dont des fournisseurs critiques au Canada, au Royaume uni et en Australie. Leur production est attachée à « une chaine juste à temps ». Les pièces manufacturées arrivent au moment déterminé (du montage).
Gastops fabrique des capteurs de surveillance en ligne sans compétition qui détectent les fluctuations des moteurs en vol, qui donc, permet de poursuivre les vols. Il en résulte moins d’arrêts et plus de temps de vol selon la compagnie. Environ 24 employés.es sont chargés.es de cette fabrication. Au moins 3,500 de ces capteurs auraient été produits au cours des 10 dernières années. Le vice-président de l’Association des industries aérospatiales, le groupe de lobbying de l’industrie, soutient que « personne d’autre ne détient cette technologie ».
The Breach n’a pas reçu de réponse à sa demande de commentaires de la part de l’entreprise.
Les exportations d’une seule et unique source de pièces de F-35 ont été décisives dans la poursuite néerlandaise
Pax for Peace et d’autres ONGs de défense des droits humains néerlandaises ont enregistré quelques victoires dans leurs poursuites contre le gouvernement de leur pays à cause de ses exportations directes de composantes de F-35 en Israël.
Un tribunal d’appel y a ordonné l’arrêt des exportations le juge ayant conclu : « un risque certain existe qu’Israël utilise ces F-35 dans la commission de sérieuses violations de la loi humanitaire internationale ».
Le gouvernement néerlandais en a appelé de cette décision et a trouvé une voie d’échappement pour passer outre à l’esprit de la règlementation ; il a expédié ces composantes aux États-Unis.
Dans leur poursuite, les organisations de défense des droits humains ont mis l’accent sur le rôle du seul fabricant néerlandais, la compagnie Fokker, qui fabrique diverses parties de ces jets.
Frank Slijper, directeur de Arms Trade Project à PAX for Peace, soutient qu’il serait possible de découvrir que chaque F-35 construit autour de 2010 peut contenir des pièces néerlandaises.
La nature d’unique source des contributions de Fokker au programme de F-35 a permis d’établir clairement la relation entre les attaques israéliennes sur Gaza et la responsabilité de l’État néerlandais.
Pour M. Slijper, « Il est fondamental de prendre conscience que ces compagnies particulières participent à l’équipement de ces avions et si le gouvernement néerlandais exerce correctement son devoir de contrôle cela a un effet sur l’aviation israélienne et détermine la manière dont Gaza sera bombardé. Donc, il était vraiment important pour nous de nous assurer que les compagnies du pays contribuaient activement au programme de F-35 israélien ».
En mars, les avocats.es de Palestiniens.nes canadiens.nes et d’organisations de défense des droits humains ont lancé le même genre de poursuite contre la ministre d’Affaires mondiales Canada Mme M. Joly, en demandant l’arrêt des exportations d’armes.
Au cours des procédures, plusieurs compagnies ont demandé que la Cour garde le secret sur les détails de leurs exportations.
Lockheed Martin a éliminé de son site Web les mentions de ses équipementiers
La lutte pour empêcher les exportations de composantes militaires en Israël est active depuis des années. Mais elle a pris une ampleur remarquable depuis octobre 2023.
Depuis ce moment, des militants.es ont organisé au Canada, des blocages de bureaux de manufacturiers d’armes, mené des campagnes de protestation et fait du lobbying auprès de représentants.es du gouvernement pour qu’un embargo s’applique immédiatement. La même chose a eu lieu partout dans le monde.
Cela semble avoir poussé Lockheed Martin à dissimuler les noms de ses fournisseurs. En février dernier, la compagnie a procédé à une mise à jour de son site Web et y a retiré les informations sur ses partenaires dans 19 pays dont une image d’un de ses « partenaire industriel » selon ses archives. C’est en effet, après que The Breach eut produit en avril, une vidéo sur les compagnies canadiennes qui fournissent des pièces d’équipement critiques pour les F-35, que Lockheed Martin a retiré de son site Web tout ce qui restait d’informations sur ces compagnies, soit 80% de ses pages.
Kelsey Gallagher du projet Plougshares’ a souligné à The Breach que des compagnies de source unique comme Gastops peuvent être le maillon faible utile aux organisations qui espèrent interrompre le flot (d’exportation) de composantes des F-35.
Si le gouvernement stoppe les exportations, cela pourrait interrompre les achats et la fabrication des F-35s selon M. Gallagher. Il pense aussi que le gouvernement canadien pourrait se retrouver sous d’énormes pressions américaines pour qu’une telle perspective ne se réalise pas.
En juillet, l’armée israélienne a confirmé qu’elle avait utilisé les F-35s pour larguer des bombes de 2,000 livres sur le camp de tentes de Al-Mawasi à Gaza. Cette attaque, dans une zone déclarée sécuritaire, a tué 90 personnes et en a blessé plus de 300. En plus elle a détruit l’usine de désalinisation qui fournissait l’eau potable à la population et qui était un lieu de rassemblement.
Le lendemain de cette attaque, le ministre de la défense israélien, M. Yoav Gallant posait devant un F-35 et remerciait ses pilotes.
Ce F-35 comportait des composantes fabriquées sur le sol canadien vendues et expédiées par des manufacturiers canadiens. Le gouvernement canadien aurait pu décider d’arrêter tout cela.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d’aide financière à l’investissement.
Un message, un commentaire ?