Une « longue marche »
En 1989, le gouvernement provincial de l’époque tardait à répondre aux demandes des organisations syndicales et populaires qui voulaient une hausse substantielle des prestations d’aide sociale. L’Ontario, une des provinces les plus riches du Canada, était (et est encore) l’une des plus chiches dans ce domaine. Pour populariser la revendication, une marche a été organisée à partir de London, Windsor, Sudbury et Ottawa vers le Parlement ontarien situé à Toronto. La Marche fut un grand succès et à la fin de 1990, des militants impliqués dans la lutte contre la pauvreté et pour le logement social créaient l’OCAP. Au même moment arrivait au pouvoir un gouvernement provincial du NPD. Les mouvements pensaient alors que les choses pourraient s’améliorer, mais au contraire, le NPD se mit tout le monde à dos avec sa politique d’austérité.
Mobiliser dans la rue
D’emblée, OCAP s’est distingué par sa capacité de mobiliser et d’organiser des actions de masse, incluant l’occupation des bureaux du gouvernement et même des députés. Lors d’un congrès du Parti conservateur fédéral à Toronto, OCAP organisa un campement de protestation. En 1995, OCAP s’est joint à un puissant mouvement populaire initié par les Travailleurs canadiens de l’automobile pour bloquer les mesures réactionnaires du gouvernement provincial conservateur. Des centaines de milliers de personnes furent mobilisées par cette coalition dans plusieurs villes ontariennes. Par la suite, OCAP a continué dans l’action directe : occupations de logements inoccupés, blocages de bureaux et de rues (même dans les quartiers riches de Toronto comme Rosedale). Dans les années 2000, les actions ont impliqué les nombreux sans-abri qui sont si nombreux à Toronto, et que la police chasse comme des bêtes sauvages. Récemment, l’action d’OCAP a continué. Le gouvernement actuel (libéral) cherche à diviser les personnes recevant de l’assistance sociale en « clientèles » spécifiques. Ainsi, un bonus de $250 est offert pour les personnes qui reçoivent un certificat médical, ce qui laisse place à l’arbitraire et à l’exclusion. OCAP a organisé ses propres cliniques avec des médecins progressistes qui ont livré les fameux certificats, ce qui a permis à plusieurs milliers de personnes de bonifier leur chèque.
Contre le racisme, le profilage, la violence économique
En 2013, OCAP a tourné son attention vers les immigrant-es et les réfugié-es, en particulier africain-es, de même qu’un grand nombre de sans-abri autochtones, qui sont les mal-aimés de Toronto et qui sont victimes du profilage racial de la police. Les HLM où une grande partie de ces populations vit sont dans un état pitoyable. Le voyou qui sert de maire à Toronto, l’ineffable Rob Ford, a promis de nettoyer cette « racaille », mais encore là, OCAP est dans son chemin. Un grand parc de Toronto, Allan Gardens, a été transformé en campement où abondent banderoles et bannières, « Nous sommes ici pour rester ». Des manifestations organisées par OCAP ont empêché la tenue de plusieurs réunions du Conseil municipal. Le 14 janvier dernier, OCAP était en force à la session du Conseil pour dénoncer les coupures de $4,3 millions pour le logement prévues au budget de la ville pour 2014.
Un mouvement politico-social
OCAP se définit comme une organisation contre la pauvreté et contre le capitalisme, rien de moins (ce qu’on peut lire sur leur site : http://ocap.ca/). « Le seul pouvoir des couches populaires, c’est la résistance » affirme OCAP, qui pense que la seule manière d’améliorer la situation des démunis, c’est de lutter contre l’État, le gouvernement et les élites économiques. Non-partisan, OCAP fait la promotion des mobilisations de masse comme moyen d’action principal, sans pour autant exclure pétitions, documents et démarches auprès des autorités municipales et provinciales. Ces actions ont parfois « débordé », d’où de nombreuses confrontations avec la police, qui permettent aux médias et aux élites de crier au scandale. Certes, l’action directe est parfois controversée, car elle peut tomber dans le piège d’une certaine théâtralisation de l’action militante qui détourne l’attention des revendications fondamentales vers le cassage d’une ou deux vitrines ou l’arrestation des militants. Également, l’action directe est parfois détournée par l’intervention des infiltrateurs policiers qui sont souvent responsables des casses. C’est ce qui permet à l’État de cibler des porte-paroles bien connus de l’OCAP comme John Clarke et Gaétan Héroux, qui sont régulièrement devant les tribunaux. Même si les accusations farfelues la plupart du temps n’aboutissent pas, ces procès immobilisent les militants dans des procédures longues et coûteuses.
Un dialogue est nécessaire
Au Québec, le mouvement populaire est animé par de grandes coalitions militantes comme le FRAPRU, la FFQ, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, sans compter une myriade d’organisations qui mobilisent les personnes sur l’assistance sociale (ADDS, OPDS), les sans-abri (RAPSIM), les chômeurs et chômeurs (MAC), sur une base locale et nationale. L’avantage est que ces coalitions réunissent des centaines de groupes locaux et mettent souvent en place des « coalitions de coalitions » (comme la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services sociaux). La toile de la solidarité est tissée avec les syndicats, les organisations étudiantes et bien d’autres réseaux, ce qui fait du mouvement populaire québécois une force assez redoutable, comme on l’a vu à plusieurs reprises ces dernières années, à commencer par les Carrés rouges. En Ontario et dans le ROC, on n’a pas cela, et c’est ce qui limite la portée des mouvements comme OCAP qui par ailleurs, est une organisation remarquable par ses capacités à mobiliser les plus démunis et à faire sortir les dossiers au grand jour. Il semble donc qu’un échange d’expériences pourrait être bénéfique à tout le monde. On se donne donc rendez-vous au FSP.