Édition du 1er avril 2025

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Un homme en colère qui dansait

Tout le monde de gauche, du moins ceux de plus de 40 ans, connaît Michel Chartrand. Plusieurs, plus jeunes, connaissent son nom, mais guère plus, hélas !

Michel Chartrand a été pendant 60 ans un homme plus grand que nature dans le paysage de la gauche québécoise. Il était pratiquement de toutes les luttes, luttes syndicales, évidemment (il a été employé de diverses organisations de la CTCC-CSN durant les années 1950 et président du Conseil central de Montréal (le regroupement des syndicats de la CSN de la région de Montréal de 1969 à 1978), luttes du mouvement populaire et coopératif, de solidarité internationale, mais aussi combats pour la mise sur pied de publications progressistes, pour la défense du français, pour la santé et la sécurité au travail, etc. Il n’était pas un touche-à-tout, mais plutôt une passerelle entre les luttes et les divers mouvements de contestation sociale, qu’il considérait porteurs d’une résistance, mais aussi d’alternatives à la société capitaliste aliénante et déshumanisante.

Chartrand a aussi été actif sur la scène politique, alors que la gauche essayait de prendre forme dans les années 1950-60 (au Parti socialiste du Québec, notamment), puis, plus tard, dans les années 1970 avec l’aventure du FRAP (parti municipal progressiste anti-Drapeau à Montréal) et à la fin de sa vie en tant que candidat indépendant (soutenu par la gauche) contre Lucien Bouchard lors de l’élection partielle de Jonquière en 1998, sous le thème de Pauvreté Zéro contre le Déficit Zéro du premier ministre.

Il avait la conviction que le socialisme, c’est la démocratie ; ce fut d’ailleurs le thème du congrès du Conseil central de Montréal (CSN) en 1972, comme l’évoque sa fille Suzanne-G. Chartrand dans le bel ouvrage qu’elle vient de publier À bas les tueurs d’oiseaux ! Michel Chartrand – Témoignages et réflexions sur son parcours militant. La première partie du livre est composée de 30 témoignages de gens qui l’ont connu comme militants, notamment Paul Cliche, Yves Laneuville… ; comme amis : Jean Gladu, Kari Levitt… ; comme père ou grand-père ; la seconde partie comprend deux textes de Michel Chartrand dont une lettre de prison d’où est tiré le titre de l’ouvrage et la troisième d’une analyse de son parcours et de notes biographiques, le tout abondamment illustré de photos d’archives, mais aussi de photos qui illustrent les multiples facettes de l’homme qui est beaucoup plus complexe que son personnage médiatique.

Chartrand était proche du « monde ordinaire », comme on disait à l’époque. Il ne craignait pas de sortir des bureaux et des rencontres syndicales pour aller à la rencontre des gens, syndiqués ou non, comme il l’a fait alors qu’il était octogénaire, en faisant une tournée qui l’a menée partout au Québec et où 20 000 personnes ont discuté avec lui du revenu de citoyenneté.

Qui d’autres que Michel Chartrand utilise l’expression tueurs d’oiseaux pour parler des ennemis du peuple et de la liberté ? Car au-delà de l’infatigable combattant, Chartrand était un homme qui aimait passionnément la vie. Le graphiste et artiste visuel, Jean Gladu, qui l’a connu plus intimement, le voyait tel un « maitre de danse, un chorégraphe » (1). Il aimait le bon vin, la danse contemporaine, la musique, la poésie, la nature, en particulier les arbres et les oiseaux. Il a reçu à sa table de grands intellectuels d’ici et d’ailleurs, tels Edgar Morin et Lucien Goldman. Il était attentif à sa famille et à ses amis qu’il savait accompagner dans les durs comme les bons moments.

Maintenant qu’il n’est plus là (il aurait eu 100 ans cette année), des jeunes et des jeunes de cœur se souviennent. Lors du lancement du livre de sa fille, le 20 octobre à Montréal, Maxime Larue-Bourdages, un des leaders du mouvement étudiant de 2012, a évoqué la visite de Chartrand au congrès de la Coalition pour une association pour une solidarité syndicale étudiante élargie (ancêtre de la CLASSE) en 2005. Il leur avait dit quelques mots qui sont restés dans la tête de ces jeunes militants : « N’oubliez pas que votre première force, c’est d’avoir raison ! ». Chartrand, affirme Maxime, avait une « colère exubérante qui prenait pour cible les pouvoirs illégitimes et qui s’appuyait sur les malheurs des gens ordinaires ». Et il parlait « vrai » ! « Aujourd’hui, l’espoir réside dans le maintien de sa mémoire et de celle de sa colère salvatrice » (2).

Un livre inspirant à lire, à méditer pour apprendre du passé, pour ancrer nos luttes dans l’histoire, pour se donner le courage d’aller plus loin, avec … le monde ordinaire.

1- Jean Gladu, « L’homme qui dansait », in Suzanne-G. Chartrand, À bas les tueurs d’oiseaux ! Michel Chartrand – Témoignages et réflexions sur son parcours militant, Montréal, Didactica, c.é.f. et Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2016

2- Maxime Larue-Bourdages, « Votre première force, c’est d’avoir raison ! », in Suzanne-G. Chartrand, op.cit.

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