Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Trotski à Halifax

L’autre histoire du Canada

Nous sommes en mars 1917. Un mois avant, d’immenses manifestations de travailleuses éclatent dans les grandes villes de Russie. « Le pain, la paix et la démocratie » : c’est un mouvement de masse qui réussit à amener les soldats du côté de la révolution. Le roi issu d’une monarchie vieille de 350 ans démissionne. Le régime est en ruine.

Les nombreux exilés révolutionnaires russes dispersés aux quatre coins du monde essaient de rentrer en Russie au plus vite. Comme Lénine par exemple, alors en Suisse. Trotski, qui a présidé le soviet des travailleurs à Petrograd en 1905, est à New York avec sa famille. Il s’embarque dans un bateau à destination de la Suède, lequel fait escale à Halifax. Aussitôt accosté, le navire est inspecté par les autorités navales britanniques, qui contrôlent effectivement le port dans ce pseudo État indépendant.

Trotski, sa femme et ses deux enfants sont mis en détention. Trotski finit par comprendre que les services britanniques veulent l’empêcher de parvenir en Russie, de peur qu’il n’aide à la révolution et de mettre fin à la guerre.

Le leader révolutionnaire se retrouve dans un camp sordide où s’entassent plus de 800 personnes, essentiellement des prisonniers de guerre allemands. Les conditions sont infamantes. On ne lui donne même pas la permission de contacter les autorités consulaires russes. Égal à lui-même, Trotski anime les discussions parmi les détenus. Durant les longues journées, on l’écoute avidement parler de la révolution qui s’en vient, de Lénine, de Rosa Luxemburg, de la complicité entre les puissances impérialistes et des monarchies sans scrupule, de Moscou à Londres !

Au bout d’un mois, le Soviet de Moscou s’agite pour exiger la libération de Trotski. Finalement, les représentants de sa Majesté décident de le laisser partir. En quittant le camp, Trotski est escorté par des centaines de prisonniers allemands qui pleurent et qui chantent l’Internationale. Une scène émouvante, qui lui restée en mémoire toute sa vie.

Quelques plus tard en octobre, la révolution franchit un bond avec l’établissement du nouveau pouvoir soviétique. Trotski se retrouve au premier plan en tant que président du Soviet et avec mandat de négocier la fin des combats avec l’Allemagne. La monarchie allemande pense qu’elle peut profiter de la dislocation de l’armée russe pour exiger des conditions inacceptables. Les révolutionnaires russes s’adressent par-dessus les généraux aux soldats allemands : « allez-vous continuer à vous faire tuer pour vos généraux et vos seigneurs » ?! En octobre 1918, le message est entendu, Les ouvriers, les soldats, les matelots allemands, se révoltent. Une autre monarchie est emportée par le torrent.

C’est le début, espère-t-on à Moscou de la révolution européenne. Pour la stopper, les impérialistes britanniques, secondés par leurs larbins canadiens. Quelques 6000 soldats canadiens sont envoyés combattre contre les soviets à Murmansk, à l’ouest de la Sibérie.

Mais la nouvelle armée rouge confronte et réussit à vaincre les impérialistes et les partisans de la monarchie (les « blancs ») qui sèment la mort et la terreur partout dans le pays. Des milliers de paysans, d’ouvriers, de femmes et d’hommes, entendent l’appel de Trotski, qui devient alors chef de la nouvelle armée de la révolution. C’est le peuple en armes qui transforme la guerre impérialiste en une lutte pour la paix et la liberté.

La petite histoire d’Halifax s’inscrit ainsi dans une histoire plus grande. Une révolution triomphe malgré tous les obstacles, y compris la complicité du pseudo État canadien au service de l’Empire. Il y a des fois, pas trop souvent, où la lutte des peuples, juste et légitime, finit par trouver le chemin tortueux qui finit par aboutir à une vieille-nouvelle idée : vaincre !

Photo : La Canadian Car and Foundry Co. à Amherst N.-E., usine où fut détenu Trotsky et des centaines de prisonniers de guerre. Voir : Leon Trotsky forged notable month at Amherst foundry-turned internment camp

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