Publié le 10 mars 2020
tiré de : Entre les lignes et les mots 2020 - n°12 - 14 mars : Notes de lecture, textes, pétition
Prenez donc le salaire horaire que vous voulez, même le plus bas et insignifiant, et multipliez-le par ces 12,5 milliards d’heures de travail impayées de travail des femmes : La somme qui résultera est plus qu’astronomique. Et ceci pour un seul jour, quand on sait que le travail impayé des femmes n’a ni jours fériés, ni durée stable, 36 jours par an !
Le rapport annuel d’Oxfam (1) auquel est dû ce calcul du travail impayé des femmes, estime à 10 800 milliers de milliards de dollars par an la somme que devraient payer aux femmes de tout le monde ceux qui profitent de leur travail. Ou mieux, la somme qu’ils … ne payent pas et qu’ils empochent avec comme résultat l’accroissement terrifiant des inégalités sans précédent historique, lesquelles conduisent à l’insupportable et si scandaleuse situation actuelle qui voit « 2 153 milliardaires possédant plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, qui comptent pour 60% de la population mondiale ». Ou encore pire, les 26 les plus riches de la planète qui détiennent autant d’argent que la moitie (50%) de l’humanité !…
Nous voici donc devant ceux qui profitent du travail impayé des femmes et qui ne sont autres que ceux qui exploitent les travailleurs et travailleuses sans débourser le moindre centime pour les entretenir ainsi que leurs familles. C’est à dire, sans payer celles qui nettoient leurs maisons, les habillent et leur cuisinent, prennent soin d’eux, les soutiennent psychologiquement, les soignent quand ils tombent malades, élèvent leurs enfants et s’occupent de leurs anciens et font les mille et un autres travaux que nécessite ce qu’on appelle… « reproduction de la force de travail » à l’époque du capitalisme triomphant ! Car si elles ne faisaient pas tout ça, ce serait le système capitaliste lui-même qui s’effondrerait en un temps record et les profits des capitalistes qui partiraient en fumée…
Cependant attention : Cette réalité déjà cauchemardesque devient encore pire quand nos gouvernants néolibéraux liquident et font disparaître ce qui reste de l’État Providence. Comme nous l’écrivions déjà en 2011 : « À travers le démantèlement ou la privatisation des services publics, l’État se décharge de ses obligations de protection sociale qu’il avait assumées vis-à-vis des citoyens/es pour les transférer – de nouveau – à la famille. C’est ainsi que les soins aux enfants, aux malades, aux personnes âgées et handicapées, même aux jeunes en détresse et au chômage, passent de la responsabilité de l’Etat à la famille, et ceci en plus, absolument gratis ! » (2
Et nous ajoutions : « Cependant, la notion de famille est très générale et abstraite. En réalité, et tout le monde le sait, à l’intérieur de la famille, ce sont les femmes qui portent presque exclusivement la charge – et sans qu’elles soient rémunérées le moins du monde – de toutes ces obligations sociales fondamentales de l’État. Alors, d’une pierre deux coups : d’un côté l’état néolibéral se débarrasse définitivement de ses obligations sociales déficitaires qui « creusent les déficits et donc, la dette publique », et de l’autre, il nous oblige de les assumer nous-mêmes en travaillant totalement gratuitement ! » Ce qui nous faisait constater que nous les femmes, non seulement nous sommes condamnées à la pauvreté et à la précarité, mais en plus ils nous chargent des tâches et des travaux qui appartenaient à l’état, avec tout ce que ceci implique comme fatigue, stress, vieillissement prématuré, travail impayé et dépenses supplémentaires ! »
Et tout ça sous l’inévitable et – très vieux jeu – emballage « idéologique » sexiste sur « la prétendue « nature féminine »(qui) va de pair avec le traitement de la femme comme un être inférieur, dont le corps est considéré toujours disponible et sur lequel est permis de se défouler n’importe quel homme. Ce n’est donc pas un hasard que les cas de violence contre les femmes, déjà innombrables, se multiplient à l’époque du capitalisme des Mémorandums. »
Et nous concluions avec les mêmes constatations que nous faisons actuellement : « Tout ce retour en arrière, vers un passé lointain est accompagné des mesures qui visent à enlever aux femmes les quelques droits et conquêtes obtenus grâce aux luttes de ces dernières décennies. L’Alliance Sacrée du Capital et du Patriarcat abolit de fait notre droit au travail et donc, à l’indépendance économique. Elle nous contraint de nouveau à une vie sans autonomie et sans libre arbitre. Elle nous traite comme des esclaves chargées des tâches et des fonctions qu’avait jadis l’État providence, parce que c’est prétendument dans la « nature » de la femme de servir à la fois de jardin d’enfant, de maison de retraite, d’hôpital, de restaurant, de blanchisserie, d’asile psychiatrique, de cours de soutien scolaire et même d’ANPE pour les chômeurs de la famille. Et tout ça totalement gratis, sans aucune rémunération, sans la moindre reconnaissance, parce que soit-disant la femme a cela dans le sang de se « sacrifier » pour les autres avec comme résultat qu’elle n’a plus de temps libre pour souffler, pour s’occuper de sa propre personnalité, pour participer activement aux affaires publiques. »
Depuis que ces lignes ont été écrites jusqu’à aujourd’hui, pratiquement rien n’a changé dans les politiques néolibérales d’exploitation et d’asservissement des femmes. Néanmoins, quelque chose, et même quelque chose de très important, a changé chez les premières intéressées, les femmes : Leur travail invisible commence à être discuté, à être contesté et dénoncé, en somme à devenir… visible. Et cela grâce à elles-mêmes, à leur mouvement qui s’étend et devient de plus en plus massif comme jamais auparavant ! Rassemblant une nouvelle vague de féministes radicales et combatives, mobilisant des centaines de milliers ou même des millions de manifestantes aux cinq continents et réussissant à organiser les premières grèves mondiales de femmes, le nouveau mouvement féministe de ces dernières années est en train de faire l’histoire ! Depuis le Chili, l’Argentine et les États-Unis jusqu’à l’État Espagnol, le Mexique et le Brésil, cette nouvelle génération de féministes fait bien plus que faire sentir sa présence : Elle envahit l’avant-scène de notre réalité sociale et politique en ciblant le tandem du patriarcat et du capitalisme. Cependant, plus que partout ailleurs c’est dans le monde musulman et arabe que les femmes et les féministes luttent – et avec succès – aussi courageusement, démentant des stéréotypes, renversant des tabous et frappant à son cœur l’obscurantisme, le sexisme et la misogynie la plus barbare. Et c’est au Liban et en Irak et surtout au Soudan que les femmes et les féministes ne se contentent pas de participer mais vont jusqu’à prendre la tête des vraies révoltes et révolutions populaires !
C‘est donc en prenant la tête, ex-æquo avec l’immense mouvement mondial des jeunes contre la catastrophe climatique, des luttes de tous les oppriméEs et des victimes du système inhumain capitaliste et patriarcal, que l’actuel mouvement féministe de masse du 21e siècle incarne les espoirs d’émancipation de l’humanité à l’heure la plus critique de son histoire !…
Sonia Mitralias
Notes
1. https://www.oxfam.org/en/not-all-gaps-are-created-equal-true-value-care-work
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