Publié le 9 février 2017
Les notions de base du revenge porn incluent « le partage d’images sexuelles privées, l’enregistrement d’une personne sans son consentement et l’intention de causer un préjudice à cette personne ». Ce préjudice est largement mis en action à travers la dégradation sexuelle et professionnelle des femmes.
Malgré sa définition, l’expression « revenge porn » n’est presque jamais utilisée pour décrire la pornographie commerciale. En effet, l’empressement à condamner le revenge porn laisse entendre que la pornographie commerciale n’est pas préjudiciable, dégradante ni humiliante.
Il est couramment pris pour acquis dans les débats publics que les femmes dans la pornographie commerciale ont librement et volontairement consenti, non seulement à être filmées lors de la performance d’actes sexuels, mais aussi à la distribution de ces films au niveau mondial. En dehors de ce récit, toutes les histoires d’abus au sein de l’industrie de la pornographie commerciale sont largement ignorées.
Des femmes impliquées dans tous les aspects de l’industrie de la porno, de la soi-disant « soft porn » de Playboy et du « libre choix » de la pornographie d’amateurs, aux formes plus « hard » telle que le gonzo, ont parlé publiquement de la violence et de la contrainte dans le milieu. Je rapporte un certain nombre de leurs histoires dans le livre Selling Sex Short. Les enregistrements filmés de ces agressions et abus de confiance demeurent en circulation et accessibles à un public essentiellement composé d’hommes qui les utilisent à des fins d’excitation sexuelle.
Certains incidents violents à l’intérieur même de l’industrie de la pornographie sont encore très rarement considérés comme de la « vengeance ». L’analyse s’en tient à un niveau individuel et n’offre pas une mise en contexte significative du consentement. La plupart des conceptions liées au revenge porn se maintiennent autour du fait que la personne en question – presque toujours une femme – n’a pas consenti à la distribution de son image et que le but de la publication de cette image est de la dégrader ou de l’humilier d’une quelconque façon.
Or il est important de comprendre que l’abus du « consentement », ainsi que l’humiliation et la dégradation, sont les caractéristiques principales de l’industrie de la pornographie.
D’abord, les inégalités que subissent les femmes – sur le plan économique, social, politique et sexuel – contribuent à une sorte de contrainte culturelle à leur participation à l’industrie de la pornographie. Il est insensé de laisser entendre que la pornographie commerciale est une question de « libre choix », comme si le consentement pouvait exister à l’extérieur d’une culture pornographique capitaliste et patriarcale.
Ensuite, il y a la représentation des femmes. La violence sexuelle et l’agression sexuelle contre les femmes sont extrêmement courantes dans la pornographie commerciale. La façon dont certains groupes de femmes y sont représentés démontre que l’humiliation et la dégradation accompagnent la violence sexuelle la plus évidente.
Le racisme est également omniprésent dans la pornographie hétérosexuelle (et gay). Comme l’explique Gail Dines
« Se cachant derrière la façade du fantasme et du divertissement inoffensif, la pornographie se permet de promouvoir des stéréotypes racistes réactionnaires qui seraient considérés comme inacceptables fussent-ils présentés dans n’importe quel autre type de média de masse. Cependant, la puissance de la pornographie est que ses messages agissent en profondeur, se maintiennent et résonnent toujours, à un niveau sous-textuel, avec l’idéologie de la suprématie blanche, qui continue de diriger les politiques tant sur le plan économique que social en discriminant contre les personnes de couleur. »
Dines démontre comment le sexisme et le racisme sont inséparables des tropes régulièrement utilisés tels que : les femmes asiatiques sont fragiles et soumises ou les femmes noires sont pauvres, « du ghetto », et facilement influencées par les proxénètes. La pornographie non seulement renforce la domination masculine et la suprématie blanche, mais elle sexualise aussi les inégalités : l’inégalité est quelque chose qui aide les hommes à s’exciter sexuellement.
Fondamentalement, l’industrie de la pornographie requiert l’objectivation sexuelle afin de fonctionner. Comme Kathleen Barry le fait valoir dans The Prostitution of Sexuality, la prolifération de la pornographie a été, du moins en partie, basée sur la réduction des femmes à des organes sexués disponibles pour le regard masculin. Elle affirme que, dans les sociétés post-industrielles :
« Lorsque les femmes atteignent un potentiel d’indépendance économique, les hommes se sentent menacés par leur perte de contrôle sur elles, qui ne sont plus leur propriété juridique et économique dans le mariage. Pour reprendre le contrôle, la domination patriarcale se reconfigure autour du sexe en produisant une condition sociale et publique de subordination sexuelle qui suit les femmes jusque dans la sphère publique. »
En ce sens, en termes de classes, toute pornographie est du revenge porn. Au lieu qu’un individu homme profite et abuse d’une individue femme – comme ce qui est entendu avec le revenge porn – ce sont les hommes en tant que classe qui tirent profit et abusent des femmes en tant que classe.
La situation est similaire dans les autres aspects de l’industrie du sexe, comme Sheila Jeffreys l’explique dans The Industrial Vagina :
« Le boom des clubs de strip tease peut être considéré comme une contre-attaque grâce à laquelle les hommes ont réaffirmé leur droit à un réseau de domination masculine sans la présence irritante des femmes, à moins que ces femmes ne soient nues et disponibles pour satisfaire leurs désirs… Ces clubs fournissent un antidote à l’érosion de la domination masculine en ré-institutionnalisant la hiérarchie traditionnelle des relations entre les sexes. »
Tandis que les femmes ont de plus en plus affirmé leur égalité et leur indépendance face aux hommes, l’industrie du sexe – y compris dans sa version la plus globale et rentable, la pornographie – est devenue une forme de compensation patriarcale, et même une forme de vengeance. C’est une façon de réinstituer les hiérarchies fondées sur le racisme et le sexisme.
Nous avons accès à plusieurs décennies de théories féministes et d’activisme contre les méfaits de la pornographie. Il y a vingt-quatre ans voyait le jour l’ordonnance Dworkin-MacKinnon qui avançait l’idée que les femmes devraient pouvoir rendre civilement responsables les pornographes qui les ont abusées. Cette ordonnance aurait été tout à fait adaptée, à bien des égards, pour aborder la question actuelle du revenge porn.
Il n’est pas essentiel de réinventer la roue pour comprendre les méfaits du revenge porn. Il y a cependant un besoin urgent de reprendre les discussions avec les féministes critiques de la pornographie, des inégalités sexuelles, et de la notion de consentement si nous avons le moindre espoir de réparer ces dommages.
Meagan Tyler, Feminist Current
Dr Meagan Tyler est sociologue, enseignante et chargée de recherches à l’université de RMIT à Melbourne en Australie. Elle est notamment l’autrice de Selling Sex Short : The pornographic and sexological construction of women’s sexuality in the West et la co autrice de l’ouvrage collectif Freedom Fallacy : The limits of liberal feminism édité chez Connort Court