Édition du 18 février 2025

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Arts culture et société

« The Apprentice » de Ali Abbasi – Don’t feed the Trump

La force du portrait d’Ali Abbasi est d’opposer l’empathie à la cruauté, la force de l’enquête à l’impunité. Il déconstruit ainsi intelligemment le mythe du patriote américain. En compétition en sélection officielle au Festival de Cannes. « The Apprentice » d’Ali Abbasi, avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova…

Tiré du blogue de l’autrice.

Dans The Apprentice, le réalisateur dano-iranien Ali Abbasi s’intéresse à la fabrique du monstre Donald Trump. C’est une nouvelle pierre à la déconstruction du mythe méritocratique, déjà entamée par le précédent documentaire "Trump, un rêve américain" qui se concentrait davantage sur les talents de Donald héritier pour accumuler les dettes et les procès. Ali Abbasi se concentre ici sur la genèse du magnat de l’immobilier, son apprentissage de l’agressivité et de la masculinité toxique, le développement de son phrasé caractéristique rempli d’hyperboles, de la candeur naïve de sa jeunesse jusqu’à son addiction au pouvoir et à l’argent.

La sortie du film est prévue à la mi-septembre, avant les élections américaines de novembre. Alors que Donald Trump, 77 ans, ancien président, est donné gagnant par la majorité des sondages, malgré les affaires qui le visent, son sexisme notoire, ses liens avec des groupuscules suprémacistes, et les mensonges qu’il a proférés, rien ne semble interférer avec son inexorable retour au pouvoir. Le biopic a donc l’ambition au moins d’expliquer et idéalement de contrer la nouvelle ascension jusqu’au pouvoir de celui que la moitié des Américains abhorre alors que l’autre moitié l’adore.

Pas étonnant de voir que cet homme, héritier de l’empire de son père, grandit dans le culte du self-made man, mais surtout avec des millions dans les poches. Ce que l’on ignore davantage c’est qu’il tient son éthique de requin à un illustre avocat, connu pour son agressivité redoutable. Pour Roy Cohn (les Français les plus malintentionnés y verront une déclinaison américaine d’un Nicolas Sarkozy, petit homme à la gouaille hargneuse criblé d’enquêtes pour corruption, aux mouvements de menton saccadés et au franc-parler provocateur), l’essentiel est de gagner. La vie se sépare en deux catégories, les killers et les losers. Pour cela, tous les moyens sont bons : l’attaque, l’argent, le mensonge. Toujours surenchérir. Tout s’achète. Toujours prétendre qu’on a gagné même quand on a perdu.

Le jeune Trump, qui paraît si inoffensif, suivra à la lettre la leçon fondatrice d’un délire narcissique botoxé au capitalisme décomplexé. Il y a les exemples que détaille le film : le chantage exercé sur un fonctionnaire pour gagner une affaire, la corruption et les menaces sur le maire de New York. Dans la catégorie masculinité toxique on retrouve : la Trump Tower que Donnie veut plus grande que les autres, l’achat du consentement d’Ivanka au mariage, le viol. Mais il y a aussi le hors champ, ces exemples que le film invoque immanquablement : les réalités alternatives, le gros bouton du nucléaire que Trump se dispute avec Kim Jong Un, et bien sûr la prise du Capitole par un groupuscule encouragé par un Trump contestant sa défaite.

pprentice » reprend le nom de la série de télé-réalité animée et produite par Donald Trump. C’est un trompe-l’œil ; face aux réalités alternatives propagées et revendiquées par Trump, le réalisateur convoque justement la seule arme qui vaille : l’analyse sociologique et la vérité. La prestation de l’acteur est époustouflante, autant dans les moues proéminentes qu’arbore le personnage que dans sa transformation d’un être méché, jamais éméché, d’abord complètement gauche puis si imposant. La force du parti pris est aussi celle d’un regard empreint de compréhension, presque de compassion face à la rudesse d’un père et aux moqueries d’un milieu impitoyable. Ali Abbasi nous rappelle qu’avant d’être un être abject, Donnie aussi a été innocent. La société, ou plus exactement le capitalisme et son agitation d’ego et d’ambitions débridés prête à tout écraser, est profondément responsable de phénomènes médiocratiques comme le trumpisme.

La force du portrait d’Ali Abbasi est d’opposer l’empathie à la cruauté, la force de l’enquête à l’impunité. Il déconstruit ainsi intelligemment le mythe du patriote américain s’élevant au-dessus d’une loi du Talion. Don’t feed the troll qui s’engraisse des attaques et des coups bas. Dans un ultime pied de nez qui clot son film, le réalisateur convoque un journaliste chargé de tirer le portrait de Trump dans un livre. L’intéressé se moque un peu du résultat, pourvu que le livre fasse parler de lui. En conférence de presse, Abbasi persiste et signe : il n’est pas contre une rencontre avec le héros de son film. Il n’est d’ailleurs pas sûr que le film lui déplairait, « il serait probablement surpris ».

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jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Paris - France

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