Tiré de MondAfrique.
L’entretien entre le président Emmanuel Macron et son homologue tchadien Mahamat Idriss Deby le mercredi 18 octobre au palais de l’Elysée avait un air de revanche pour le fils d’Idriss Deby Itno. Alors qu’il avait été reçu presque en catimini en février 2023, entrant chez Macron par une porte de service, Mahamat Idriss Deby a eu droit mercredi aux honneurs de la garde républicaine et à l’accueil de Macron sur le perron de l’Elysée.
Le pacte de l’Elysée
Entre l’accueil froid et glacial de l’année février et la réception en grandes pompes de mercredi, il y a eu le coup d’Etat perpétré le 26 juillet 2023 au Niger qui a changé le rapport de forces entre Deby fils et Macron. Après le refus des militaires nigériens de laisser sortir par le Bénin voisin les militaires français qu’ils ont renvoyés, la seule option qui restait pour la France était le Tchad. Impossible d’envisager comme itinéraire le Burkina Faso, le Mali encore moins l’Algérie, le Nigeria et la Libye. Avec le changement de donne politique au Niger, la France a donc aujourd’hui plus besoin de Mahamat Idriss Deby qu’il n’en a d’elle. Outre le passage par son territoire des éléments contraints de partir du Niger, le Tchad est désormais le seul pays de l’ex G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) où l’armée française maintient une présence permanente, incluant des emprises militaires.
Au-delà de l’accueil chaleureux à l’Elysée, Deby fils a eu droit à une heure d’entretien en tête-à-tête avec Macron, sans assistants, ni gardes-de-corps. Le président tchadien de transition a ainsi pu dérouler son agenda devant Macron et, sans doute, conclure avec lui le pacte de l’Elysée en ces termes : « Je vous ai accueillis au Tchad alors que vous êtes chassés de partout au Sahel, laissez-moi en échange mettre en œuvre ma stratégie de maintien au pouvoir ». La vérité c’est que Macron n’est pas en position de force pour répondre non à Mahamat Idriss Deby. Tout au plus, le président français ne peut que demander à son homologue de mettre la forme, pour éviter que le forcing de la victoire à la présidentielle de décembre 2024 soit trop grossier.
L’agenda secret de la victoire
Après avoir sécurisé le soutien de la France, Deby fils pourra mettre en route l’agenda de sa victoire en 2024. Celui-ci passe, notamment, par la neutralisation de Succès Masra, président du parti les Transformateurs et prétendant le plus sérieux du moment au fauteuil présidentiel. Exilé depuis la violente répression d’octobre 2022 à N’Djamena, qui a fait entre 50 et 200 morts selon les sources, Succès Masra s’est vu empêcher de rentrer au pays. Toutes les compagnies aériennes ont reçu la consigne formelle des autorités tchadiennes de ne pas le laisser embarquer sur leurs vols à destination de N’Djamena. Elles s’y sont conformées.
Les stratèges de Deby fils vont jouer la montre et laisser rentrer, dans le meilleur des cas, le président des Transformateurs à quelques mois de la présidentielle pour lui opposer ensuite l’obligation de résidence permanente d’au moins un an pour être éligible. Le sort de l’adversaire le plus sérieux de Mahamat Idriss Deby aura ainsi été scellé. Et la France ne trouvera rien à redire. L’agenda secret de la victoire en 2024 prévoit également le renforcement des relations entre Deby et le Premier ministre de transition Saleh Kebzabo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR). Défavorisé par l’âge (76 ans) et étant comptable avec Deby fils du bilan de la transition, le président de l’UNDR pourrait ne pas être candidat contre Mahamat Idriss Deby. Dans cette hypothèse, il pourrait se satisfaire d’une reconduction à son poste en cas de victoire du président de la transition lors de la présidentielle de 2024. Afin de se donner le plus de chance de victoire et de ratisser large, Mahamat Idriss Deby évite actuellement de se présenter comme le candidat du Mouvement patriotique pour le salut (MPS), parti fondé par son père et qui n’a pas forcément la meilleure réputation de gouvernance pour les Tchadiens.
Les stratèges de Deby fils espèrent tirer des dividendes politiques de son positionnement de candidat transpartisan, moderne et capable de grande mansuétude envers ses opposants. C’est dans cette stratégie de séduction que s’inscrit la libération en mars 2023 des centaines de personnes arrêtées lors des manifestations d’octobre 2022 ainsi que l’élargissement des dizaines de combattants du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), mouvement rebelle à l’origine de la mort en avril 2021 du maréchal Idriss Deby Itno.
Transition dans la transition
Conformément aux textes électoraux, pour que Mahamat Idriss Deby puisse être candidat en 2024, il lui faudra démissionner de l’armée au moins six mois avant la présidentielle, mais surtout céder son fauteuil à un président intérimaire qui organisera le scrutin présidentiel, sans en être prétendant. Si partir de l’armée passera facilement pour le général Deby comme une lettre à la poste, en revanche le choix du président intérimaire qui organisera la présidentielle est une question hautement sensible. Deby fils pourrait jouer la carte Haroun Kabadi, un fidèle parmi les fidèles de son père.
Actuellement président du Conseil national de transition (CNT), M. Kabadi, alors président de l’Assemblée nationale, avait refusé volontairement de devenir président de transition en avril 2021, après le décès tragique d’Idriss Deby Itno. La manœuvre avait permis à l’armée tchadienne de désigner Mahamat Idriss Deby président du Conseil militaire de transition (CMT), organe qui a dirigé le Tchad jusqu’au dialogue national inclusif d’août 2022. En tant que président du parlement de transition (CNT), Kabadi a donc le profil idéal pour s’inscrire dans le schéma de la victoire de Mahamat Idriss Deby en décembre 2024.
L’autre hypothèse envisagée par les stratèges de Deby fils serait une transition confiée au Premier ministre Saleh Kebzabo. Cette option présente un double avantage : d’une part, elle permet d’écarter définitivement le président de l’UNDR de la course à la présidentielle et, d’autre part, elle l’obligerait à garantir la victoire de Mahamat Idriss Deby dans son propre intérêt. Avec Kabadi ou Kebzabo, la victoire de l’actuel président de la transition serait ainsi assurée. On y mettra alors un peu de forme et la France s’y accommodera.
Stratégie des Deby de père en fils
A regarder de près le contexte politique tchadien et les rapports entre Paris et N’Djamena, Mahamat Idriss Deby n’a fait que reproduire la stratégie employée par son père en 2016 pour imposer à la France sa victoire controversée à la présidentielle. Non seulement Paris n’avait pas pipé mot lors de cette présidentielle, mais le ministre des Affaires étrangères de l’époque Jean-Yves Le Drian s’était même précipité au mois d’août, en plein été, à l’investiture d’Idriss Deby Itno pour un cinquième mandat consécutif. Trois années avant le scrutin de 2016, feu Idriss Deby avait envoyé son armée au Mali se battre aux côtés de la France dans les opérations Serval et Barkhane. Le président tchadien était alors devenu l’allié incontournable de la stratégie française de lutte contre le terrorisme au Sahel. En échange, la France a fait profil bas face aux accusations de violations de droits de l’homme et de fraudes électorales portées contre son régime.
L’histoire pourrait se répéter dans un an lors de la présidentielle tchadienne de décembre 2024. Cette fois non plus avec le père, mais avec le fils.
Francis Sahel
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