Tiré de regards.fr
Ce vendredi 12 avril, les Soudanais se sont réveillés sans Omar El-Béchir à la tête de leur pays. Une première depuis 30 ans. Mais la révolution qu’ils ont menée depuis quatre mois a un gout d’inachevé. El Béchir est tombé, les prisonniers politiques ont été relâchés, mais son régime est toujours là. Un Conseil militaire de transition a été mis en place pour deux ans, la Constitution est suspendue et l’Etat d’urgence instauré. Un putsch militaire comme l’Afrique et le monde entier en ont connu depuis des décennies.
Sur la place al-Qiyada al-Ama, siège du quartier général de l’armée devenu l’épicentre de la contestation, la liesse des premières minutes a laissé place à la colère et la déception. « Omar El-Béchir est tombé, mais tout son système et son gouvernement sont toujours là, raconte Lana, photographe soudanaise dont la photo d’une jeune femme devenue une icône a fait le tour du monde. Nous n’avons pas peur et nous ne pouvons accepter cette situation. Rien n’a changé finalement ».
Quels changements pour le Soudan ?
A vrai dire, personne ne sait vraiment ce qu’il se passera dans les prochains jours et les prochaines semaines. Les craintes de voir la situation se détériorer sont vives. Abdelrahim Abayazid, activiste soudanais basé en Finlande, suit de près la situation. Il est en lien permanent avec ses compatriotes sur place. Selon lui, le Congrès national, parti islamiste du président déchu anciennement appelé Front national islamique, « ne souhaite pas abandonner le pouvoir. L’armée est divisée. Une partie d’entre elle, actuellement à la tête du pays depuis 1989, n’a pas l’intention de se retirer. »
Awad Ibn Ouf, ministre de la Défense, haut-gradé, est en effet devenu le nouvel homme fort de Khartoum. C’est par ses mots qu’est arrivée la nouvelle du renversement d’El-Béchir. Et, à en croire certains, cela n’augure rien de bon. « Il a notamment dit la semaine dernière qu’il était préférable de tuer des centaines de manifestants plutôt que de les arrêter », souligne Abdelrahim Abayazid. « C’est un criminel de guerre recherché par la Cour pénale internationale, abonde le Docteur Amal Abdalla, activiste soudanais installé à Londres. La sécurité des manifestants est en péril. Nous avons peur que cela finisse en bain de sang. »
Les craintes sont vives, mais pas question pour autant d’abandonner la lutte. « Nous n’avons pas peur, une partie de l’armée nous soutient et nous ne lâcherons pas, souligne Lana. Nous serons dans la rue pour protester. Le combat n’est pas fini ».
Une colère profonde
Ce combat, les Soudanais le mènent depuis quatre mois et ce fameux 19 décembre. Alors que le pays est en crise et que la monnaie locale s’est effondrée, le gouvernement annonce que le prix du pain est multiplié par trois. La mesure de trop pour un peuple déjà asphyxié économiquement.
La protestation, née le jour-même à Atbara, ville située à 250 kilomètres de Khartoum, s’est très vite propagée à travers tout le pays. Avec, à sa tête, l’Association de Professionnels Soudanais, qui regroupe des médecins, professeurs à l’université, avocats ou encore journalistes. La colère, profonde, grondait depuis plusieurs années.
Déjà, en 2012, 2013 et janvier 2018, des troubles avaient éclatés après l’annonce de mesures liées au pouvoir d’achat. Cette fois-ci, les manifestations ont pris un autre tournant. « En l’espace d’une semaine, les slogans sont devenus politiques, raconte le Docteur Amal Abdalla. Les gens n’évoquaient plus l’augmentation du pain ».
Aux cris de « liberté, paix, justice » et de « thawra ! » (révolution en arabe, ndlr), des milliers de Soudanais appellent désormais à la fin du régime d’Omar El-Béchir. La violente répression gouvernementale, qui fait 22 morts dans les premières semaines, et les arrestations de leaders du mouvement n’atténuent pas l’ampleur et la force de la contestation.
L’alternative en construction
Jusqu’à ce 6 avril, jour durant lequel les événements s’accélèrent. La place al-Qiyada al-Ama, siège de l’armée soudanaise et du ministère de la Défense, est occupée jour et nuit par des milliers de Soudanais. Elle devient le haut-lieu d’une révolution naissante. L’armée qui est au pouvoir va alors jouer un rôle prépondérant. Divisée, elle voit l’une de ses factions se ranger derrière les protestataires. Des affrontements éclatent. Le 10 avril, le bilan des victimes depuis le début du soulèvement en décembre dernier s’élève à 87 morts. La pression devient alors trop forte. Omar El-Béchir doit partir. Ce sera chose faite le 11 avril.
Cette chute, la deuxième d’un dirigeant autoritaire en moins d’un mois après celle d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie le 2 avril dernier, apporterait-elle un nouveau souffle démocratique sur cette partie du continent ? « Cela pourrait peut-être se répercuter en Erythrée, où le président Isaias Afewrki est à la tête du pays depuis 1993, souligne Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des conflits armés sur le continent africain. Le Tchad et son président Idriss Deby, au pouvoir depuis 29 ans, pourraient également être impactés. Mais il est encore trop tôt pour le savoir ».
Les Soudanais, eux, n’en ont toujours pas fini avec leur révolution. « Le plus dur reste à venir », comme le souligne Najlaa, Soudanaise membre du groupe Sudanese translators for change : « Nous avons subi plusieurs coups d’Etat militaires depuis une cinquantaine d’années. La victoire n’est pas encore là. La résistance doit continuer. »
Un message, un commentaire ?