Tiré du blogue de l’auteur.
Les militaires au pouvoir : un bilan catastrophique
Le 25 octobre de l’année dernière, le général Al-Burhan a effectué un coup d’État au Soudan, en suspendant la Constitution et en arrêtant les membres du gouvernement, ainsi que le chef d’Etat Hamdok. Depuis, la rue soudanaise ne cesse de contester le coup d’état qui a brisé les rêves de liberté et de démocratie de la révolution de 2018.
Ce coup d’État a fait tomber le pays dans une grave crise économique et politique. En effet, depuis octobre dernier, la communauté internationale, à la suite des Etats-Unis, a suspendu l’aide financière en direction du Soudan pour condamner les pratiques anti-démocratiques de Burhan, ce qui a plongé le pays dans une grande instabilité. A cause de cela, des conflits se sont déclenché quasiment partout dans le pays, au sud comme à l’ouest, au centre comme à l’est. Cela est dû en partie à l’incapacité des putschistes de contrôler le pays, mais également au rôle actif joué par les membres de l’ancien régime encore au pouvoir, qui cherchent à mettre le feu aux poudres partout dans le pays en fournissant des armes et en soutenant certaines factions contre d’autres.
Devant cette situation catastrophique, la mobilisation n’a jamais cessé au Soudan, du 25 octobre 2021 à aujourd’hui. Chaque semaine, les comités de résistance, organisations locales auto-gérées, actrices à la fois des mobilisations et de la solidarité de quartier, ont lancé des manifestations (voir notre article sur les comités de résistance) ; et des grèves ont eu lieu toute l’année, bloquant plusieurs secteurs. La mobilisation n’a pas eu lieu que dans la capitale, mais également dans toutes les villes du pays.
Un an de répression et la lutte continue
En réalisant ce coup d’Etat, le Conseil militaire a sapé la transition démocratique dans laquelle s’était engagé le Soudan. Depuis cette date, le régime continue de commettre des violences contre les civils, à la fois dans les manifestations mais aussi en-dehors, en arrêtant les opposant-e-s politiques et les membres des comités de résistance dans la rue ou à leur domicile. Les « violations des droits de l’homme » pratiquées par les autorités vont de pair avec l’utilisation d’armes de répression interdites sur le plan international, notamment l’utilisation de balles en caoutchouc et de balles réelles, l’utilisation intensive de gaz lacrymogènes et le ciblage des manifestants avec les gaz, ainsi que le viol des manifestantes, et enfin le fait de couper les réseaux de communication et Internet pour empêcher les rassemblements pacifiques d’avoir lieu. Selon les syndicats des médecins, la répression depuis un an aurait fait plus de 116 mort-e-s et 7000 blessé-e-s.
Retour sur les événements les plus marquants de l’année
Octobre 2021
Le 25 octobre 2021, avant même d’écouter à la télévision le premier discours d’Al Burhan annonçant le coup d’Etat, les rues de Khartoum et d’autres villes soudanaises se sont remplies de manifestant-e-s qui rejetaient le coup d’État, aux cris de "Le retour en arrière, pas question !". Ce jour-là, les cortèges de manifestant-e-s ont réussi à atteindre les environs du commandement général de l’armée au centre de la capitale. Les forces putschistes ont affronté la foule et ont tué sept manifestant-e-s, faisant de nombreux-ses autres blessé-e-s et prisonnier-e-s, tandis que Khartoum était complètement bouclée par des barricades. Une désobéissance civile complète a également été organisée, à laquelle ont participé des institutions gouvernementales et privées pendant plusieurs jours, paralysant la capitale. (voir notre article)
Cinq jours plus tard, le 30 octobre, la première « millioneya » (manifestation d’un million de personnes) s’est organisée contre le coup d’État, réclamé par les comités de résistance soudanais ainsi que certains partis politiques. La manifestation a eu un grand succès, malgré l’interruption du service Internet, dont les militants au Soudan dépendent principalement pour faire leurs appels à manifester. Les rues ont été remplies à Khartoum, Khartoum Nord et Omdurman, et d’autres manifestations ont eu lieu dans plus de 20 villes en dehors de la capitale. Le même jour, des millions des Soudanais ont manifesté dans le monde entier en solidarité avec le peuple soudanais dans leur combat pour la liberté et la démocratie. (voir notre article)
Novembre - Décembre 2021
Après cela, les manifestations se sont poursuivies à hauteur de deux par semaine, dans différents quartiers de la capitale, mais loin des quartiers de pouvoir pour des raisons de sécurité. Le 1er novembre a marqué le début d’un mouvement désobéissance civile à Khartoum ainsi que dans d’autres villes.
Le 12 novembre, après qu’Al -Burhan ait formé un nouveau conseil souverain composé majoritément des chefs des mouvement armés, les universités de Khartoum, Al Gezira, et de cinq autres villes ont suspendu les cours pour une période indéterminé en rejet du coup d’Etat.
Le 13 novembre les comités de résistance ont appelé à une manifestation qui a été rejointe en masse. Des « hackers » ont réussi à rétablir internet, d’où les nombreuses vidéos publiées en ligne qui ont pu montrer au monde entier la détermination des Soudanais-e-s. Huit manifestant-e-s ont été tué-e-s par la répression des militaires.
Le 21 novembre, Hamdok a été libéré et a signé un accord avec Al-Burhan. Cet accord a été vécu comme une trahison par la population soudanaise, qui est sortie les 25 et 30 novembre pour manifester son opposition (voir notre article). Le slogan des « 3 Non » est apparu à ce moment-là : « Pas de négociations [avec les militaires], pas de compromis, pas de capitulation ! ».
Le 19 décembre, une immense manifestation a eu lieu dans tout le pays. A Khartoum, les manifestations ont pris une dimension insurrectionnelle avec l’occupation de la place du palais présidentiel par les manifestant-e-s. (voir notre article)
Janvier 2022
Début janvier, les manifestations ont repris, avec les familles de martyrs en tête des cortèges. Le début de l’année a également été marqué par des sit-ins au Nord du pays, et blocages de la route entre le Soudan et l’Egypte menés par les agriculteurs, soutenus par les comités de résistance locaux, pour demander au gouvernement d’intervenir contre la montée des prix de l’électricité. Les manifestant-e-s laissaient passer les convois urgents et les ambulances mais bloquaient les convois qui nourrissent les échanges entre l’armée soudanaise et l’Egypte, afin d’affaiblir le gouvernement.
Le 17 janvier, une grande manifestation a eu lieu, mais a été réprimée à un niveau tel qu’on surnommera cet événement par la suite : « le massacre du 17 janvier ». Les syndicats de médecins ont estimé que ce jour-là, la barre des 100 manifestant-e-s tué-e-s depuis le coup d’Etat a été atteinte. Pour réagir à ce massacre, deux jours de grève générale ont été organisés pour pleurer les martyr-e-s et soutenir leurs familles.
Janvier annonce aussi le retour des violences au Darfour, avec le massacre de 7 personnes par les Janjaweed le 21 janvier. Les camps de déplacés, dont le camp de Zamzam, ont également manifesté et organisé des blocages de la route entre El-Fasher et Nyala pour condamner les attaques qu’ils subissaient.
Février 2022
Le 8 février, les barricades bloquant les routes entre le Soudan et l’Egypte dans le Nord du pays ont été démantelées par la force par l’armée soudanaise. Immédiatement après la dispersion des sit-ins, les comités de résistance locaux sont revenus à la charge pour reprendre les blocages de route, qui se sont poursuivis encore plusieurs semaines.
Le 15 février a lieu une nouvelle manifestation de masse, suivie jusqu’à la fin de mois de plusieurs « manifestations surprises » et spontanées partout au Soudan, dans une volonté des comités de résistance de faire monter la pression sur le pouvoir. La manifestation « brise tes chaînes » du 22 février a été organisée pour demander la libération des prisonniers politiques.
Pour terminer ce mois exceptionnel de mobilisations, le 28 février par les comités de résistance du Grand Khartoum ont publié officiellement leur charte « pour renverser le coup d’Etat du 25 octobre », fruits de mois entier de travail de réflexion pour proposer une nouvelle constitution démocratique pour le Soudan.
Mars 2022
Mars a été marqué par le grand cortège du 8 mars organisé par les féministes soudanaises, qui a tristement été suivi de l’arrestation par les forces de sécurité de plusieurs figures féministes de la contestation.
Des grèves d’enseignant-e-s ont eu lieu à Kassala, ainsi que des grèves d’étudiant-e-s à Nyala, Atbara, Khartoum et Damazin pour protester contre l’insécurité alimentaire. Les lycéen-ne-s de plusieurs villes au Darfour-Sud ont également fait grève pour protester contre les attaques qui ont ciblé leurs enseignant-e-s, provoquant la fermeture des écoles.
Le 23 mars, les comités de résistance du Grand Khartoum ont appelé à paralyser la capitale en reconstruisant des barricades partout dans les villes : c’était le « jour des barricades ».
Avril- mai 2022
Le 1er avril, les violences au Darfour ont repris, pour continuer tout au long du mois d’avril. Les Forces de Support rapide ont fait au moins 200 mort-e-s au sud du Darfour, dans la région de Jabal-Moon. Dans tout le pays, des manifestations de soutien ont eu lieu pour demander que cessent ces violences, avec des pancartes : « Tout le pays est le Darfour ».
Le 6 avril, une « millioneya » a eu lieu pour célébrer l’anniversaire des révolutions soudanaises de 1985 et 2019. Des milliers de personnes sont sorties manifester contre le régime militaire dans tout le pays, malgré le jeûne du ramadan et les températures avoisinant les 40°C . Dans ces conditions particulièrement difficiles, une belle solidarité a été mise en place par la population pour soutenir les manifestant-e-s. (voir notre article)
D’autres grandes marches ont lieu durant les mois d’avril et mai. Devant le constat de l’échec, à la fois politique et économique, de son gouvernement, Al-Burhan a annoncé la levée de l’état d’urgence le 30 mai 2022, pour préparer l’atmosphère d’un dialogue national dans le but de mettre fin à la crise politique actuelle.
Juin- Juillet 2022
Le mois de juin 2022 est marqué par les grèves pour des motifs économiques : des employés des barrages pendant plusieurs semaines, des employés du ministère de finances au Sud du Darfour, des personnels hospitaliers. Les militant-e-s de l’Etat de Sennar ont également organisé un mouvement de protestation contre la vente de terrains de la ville par le gouvernement à des entrepreneurs privés.
Le mouvement révolutionnaire a repris en force le 30 juin, lors d’une manifestation de masse suivie immédiatement par des sit-ins un peu partout dans le pays, dans plus de 40 villes soudanaises, pour demander le départ immédiat des militaires. Ces sit-ins ont finalement été dispersés dans la violence le 11 juillet.
Suite à cette intense mobilisation, le 4 juillet 2022, Al-Burhan a annoncé la dissolution du Conseil de souveraineté de transition et le retrait de l’armée du processus politique une fois qu’un nouveau gouvernement aurait été formé, donnant un peu d’espoir pour une issue prochaine.
Août 2022
Au mois d’août, les mobilisations ont plutôt concerné des problématiques locales.
Des sit-ins ont été organisés début août, le premier dans l’Etat du Nil pendant deux semaines pour demander la fin des opérations minières par les compagnies russes qui polluent l’eau et les sols ; le second à Port-Sudan, suivie d’une grève dans tous les ports, contre les discriminations envers la jeunesse « Beja ».
Face aux massacres dans la région du Nil Bleu qui a fait des centaines de victimes, les organisations de la société civile ont organisé une assistance humanitaire pour les déplacés.
Septembre 2022
Le mois de septembre a été marqué par les tentatives d’unification entre les différentes forces de l’opposition, qui tentent de forger de nouvelles alliances et de proposer un texte constitutionnel commun.
En pleine crise économique, les grèves ont repris fin septembre à Damazin, Khartoum, El Fasher, El Gedaref et Kadugli contre la montée des taxe.
Enfin, le 30 septembre, des milliers de manifestant-e-s sont descendu-e-s dans les rues de Khartoum, Wad Madani, Nyala, Dongola et Atbara à l’appel des comités de résistance, pour entamer un mois entier de mobilisation afin d’obtenir le départ définif des militaires.
Octobre 2022
Tout le long du mois d’octobre, des manifestations ont lieu un peu partout au Soudan pour exiger le passage du pouvoir des militaires aux civils, un an après le coup d’Etat.
Le 6 octobre, les comités de résistance ont publié une nouvelle « charte révolutionnaire pour l’établissement du pouvoir du peuple ». Depuis le mois de juin, ils travaillaient à l’unification des deux chartes proposées, l’une par les comités du Grand Khartoum, l’autre par ceux de Wad Madani (capitale de l’Etat de Gezira). La nouvelle charte a été signée par 55 comités de résistance et autres organisations révolutionnaires.
La veille du 25 octobre, des pages appartenant aux Comités de résistance ont révélé une campagne d’arrestations au hasard lancée par les forces de sécurité, en prévision es manifestations. Ainsi, Un grand nombre de militants, du quartier du marché arabe, ont été arrêtés par des agents de sécurité masqués dans des véhicules. Les capitales (Khartoum, Bahri, Omdurman) ont connu un déploiement massif des forces de sécurité.
Malgré les coupures d’internet, mardi 25 octobre, pour l’anniversaire du coup d’Etat, une immense manifestation a eu lieu à Khartoum et dans le reste du pays. Des affrontements ont eu lieu entre la sécurité soudanaise et les manifestants, et un manifestant a été tué par un véhicule des forces de sécurité.
En fin de compte, un an après le coup d’Etat, le bilan est que le régime militaire a démontré sa faiblesse et son incapacité à diriger le pays. La détermination du peuple soudanais, malgré l’intense répression qu’il a du affronter, reste intacte pour réclamer un gouvernement civil. Il faut continuer à espérer que le travail d’unification des forces de l’opposition aboutisse pour faire sortir le Soudan de la crise politique dans laquelle il est plongé depuis un an.
Par : Equipe de Sudfa
Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’amis et militants français et soudanais. On se donne pour objectif de partager et traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan, et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page facebook. Vous pouvez également nous retrouver sur notre site internet : sudfa-media.com. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ».
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