Ceux et celles qui observent la scène syndicale depuis longtemps constatent que la mobilisation et la détermination des travailleurs et des travailleuses du secteur public est beaucoup plus forte qu’en 2010 ou encore en 2005. Pas étonnant, lorsqu’on constate que le revenu des travailleurs et des travailleuses est inversement proportionnel à l’endettement des familles au Québec. Pas étonnant lorsqu’on voit les nouveaux mandarins du réseau public multiplier les mesures de toutes sortes pour contrôler, surveiller et mettre en compétition la main-d’œuvre. Pas étonnant que les travailleurs et les travailleuses veuillent sortir dans la rue d’autant plus qu’ils et qu’elles doivent intervenir auprès d’une population écopant elle aussi des mesures d’austérité que ce soit sur le plan des services publics ou des programmes sociaux.
Alors que les mouvements sociaux ont mené leurs propres luttes depuis quelques mois, il est stimulant de voir le mouvement syndical emboiter le pas et mener sa lutte par le biais de la grève. Jusqu’à récemment, l’escalade anticipée en commençant par des grèves rotatives en allant jusqu’à une grève générale les 1,2 et 3 décembre semblait porter fruit. Il serait d’ailleurs souhaitable que le front commun décide de revenir sur sa décision de suspendre les mandats de grève des journées de décembre. La réponse aux propos méprisants de Monsieur Coiteux indiquant que les demandes du front commun sont à des années-lumière des positions du gouvernement ne doit pas passer uniquement par les tables de négociations. La réponse doit se faire sur les piquets de grève et dans la rue.
D’autant plus que tout le monde le sait sans vraiment en parler, un spectre plane au-dessus de la tête des syndiqué-es : celui de la loi spéciale. Assisterons-nous à une réédition de 2005, alors que le gouvernement Charest à l’époque avait décrété une loi spéciale après seulement trois de jours de grève ? L’idée ici n’est pas de jouer au devin, mais d’effectuer une analyse stratégique tenant compte de l’ensemble des possibilités envisagées par l’adversaire. Dans ce sens, le recours à une loi spéciale est envisagé par Coiteux et Couillard dans la mesure où cette loi permettrait au gouvernement de maintenir une autorité sur le mouvement syndical et lui permettrait aussi de « contrôler » les dépenses de l’État aux dépens des besoins et des droits de travailleurs et des travailleuses de l’État. Disons les choses comme elles sont : si les conditions de travail des employés du système public sont malmenées, cela a un effet direct sur les services. Ce sont des classes avec un plus grand nombre d’élèves, des coupures dans les services aux élèves en difficulté, moins d’infirmières pour soigner un plus grand nombre de patients, plus d’attente et un moins bon suivi dans les points de service de l’État. Les contribuables paient suffisamment d’impôts et de taxes pour mériter de meilleurs services qu’ils n’en obtiennent, pour cela il faut cesser de croire qu’on peut financer des multinationales, comme Bombardier, et exiger des concessions des travailleuses et travailleurs des services publics, dont la majorité sont des femmes. Or, nous pensons que nous ne devons pas être défaitistes ou immobilistes et que nous devons dès maintenant avertir le gouvernement québécois qu’il ne doit pas refaire le coup au secteur public comme il l’a fait en 2005 : faire semblant de négocier – émettre un délai (rappelons-nous la dinde de Noël de Madame Jérôme Forget !) et ensuite évoquer un problème de sécurité nationale pour mettre fin à la négociation et à mobilisation.
La question de la loi spéciale est l’enjeu le plus important pour le maintien de la mobilisation dans le cadre de la négociation du secteur public. C’est la réponse à la loi spéciale qui sera le principal déterminant de la mobilisation à venir dans le secteur public. Il serait trop facile pour le ministre Coiteux de reprendre la même stratégie que celle de ces collègues de 2005. Cette décision ne doit rester sans réaction.
Par ailleurs, il serait trop facile pour les centrales syndicales de dire qu’il est impossible de défier la loi spéciale, car les impacts seraient trop négatifs pour les membres. L’application de la loi spéciale sans contestation politique de la part du mouvement syndical serait un recul démocratique très important dans la mesure où les demandes des syndiqués ne seraient pas reconnues et que les règles en matière de négociation seraient complètement bafouées.
Peut-on défier une loi spéciale ? Les étudiants et les étudiantes l’ont fait au printemps 2012 en occupant la rue et en sollicitant l’appui de la population. Comment peut-on le faire dans le mouvement syndical ? Nous ne voulons pas être des donneurs de leçons ou encore des « gérants d’estrade », mais nous pensons quand même qu’une stratégie devrait être réfléchie par les directions syndicales : celle de l’alliance large avec les mouvements sociaux. Si nous pensons qu’il est stimulant de voir le mouvement syndical mener sa bataille, il serait encore plus stimulant de voir le mouvement syndical se battre solidairement avec les mouvements sociaux. Il y a eu tellement de rendez-vous ratés en 2005, en 2011 et en 2012 entre le mouvement syndical et les mouvements sociaux. Ne serait-il pas le temps de converger ensemble en intégrant les différents fronts de lutte et les différents acteurs progressistes du Québec dans une même lutte commune contre le gouvernement libéral ?
Nous sommes à l’heure du dialogue stratégique regroupant les syndicats, les organisations communautaires et populaires, les groupes de femmes, les groupes écologistes ainsi que les groupes politiques. C’est la meilleure stratégie pour se battre contre l’austérité et empêcher de recourir à des méthodes coercitives comme des lois spéciales. Les centrales syndicales sont un puissant levier social, il est temps de l’utiliser au bénéfice de tous : en solidarité avec les étudiants, les travailleuses et travailleurs du communautaire, mais surtout pour le maintien et l’amélioration des services publics. Rappelons au gouvernement Couillard que le principe d’égalité des chances et la justice sociale sont plus importants que des faibles baisses d’impôts pratiquement annulées par toutes les hausses de tarifs. Il n’est jamais trop pour bien faire !